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Sauf ma mère

Sauf ma mère

Publié le 4 oct. 2020 Mis à jour le 11 janv. 2022 Culture
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Sauf ma mère

Avec Sauf ma mère, Serge Le Vaillant, producteur et animateur de radio qu’on a pu entendre la nuit pendant de longues années sur France Inter (dans son émission Sous les étoiles exactement), nous offre son premier roman. Parfois les premiers essais se révèlent être des coups de maître, et si je n’irais pas jusqu’à porter Sauf ma mère aux nues, il n’en reste pas moins un excellent bouquin, riche, drôle, très agréable à lire et au style enlevé.

On suit les aventures de Jean-Louis, dit
Jean-Louis le gorille, fils à la Guenon. La Guenon, vous l’aurez compris, c’est le mignon petit surnom de sa môman chérie. J’écris les aventures de Jean-Louis, mais le terme plus exact serait plutôt la déchéance de Jean-Louis…
Jean-Louis Boulard donc, est routier. Était routier en réalité, puisqu’à 63 ans il est un tout récent retraité. C’est d’ailleurs au moment de la retraite que la
Jocelyne, sa connasse de femme, a décidé de demander le divorce. Cette emmerdeuse l’a même viré de chez lui, si bien que le Jean-Louis a dû repartir habiter chez sa mère, la-dite Guenon donc. Et si la Guenon n’est plus une jeunette, elle continue à mener son monde à la baguette, bon pied bon œil. Jeune retraité, nouveau célibataire, Jean-Louis a tout son temps pour lui et va principalement l’utiliser pour picoler avec Olivier, un paumé de son âge avec qui il va forger une solide et virile amitié alcoolisée, mais aussi pour se consacrer dans son ancienne chambre d’adolescent à son train électrique, au visionnage de vieilles cassettes vidéo de famille et à l’écriture. L’écriture oui, car Jean-Louis va en profiter pour écrire son histoire, ses souvenirs, et plus particulièrement ses relations, pour la plupart conflictuelles, avec les femmes. Sa femme Jocelyne, enfin son ex, sa mère, mais aussi sa fille Paméla, sa voisine, sa belle-sœur Mireille, Stéphanie son ancienne maîtresse, Patricia qui tenait un relais routier qu’il fréquentait du temps qu’il roulait encore, et quelques autres par-ci par-là. Alors oui, Jean-Louis c’est pas un pro du dictionnaire et du bescherelle, il écrit un peu comme il pense, et il sait bien qu’il ne passera jamais dans « les journals », mais il s’en fout, il écrit quand même sur toutes ces bonnes femmes. Et il vit bordel.

Sauf ma mère, photographie de Robert Doisneau

 

Décidément, il n’y a pas de personnages que j’apprécie plus que les losers qui sont pathétiques tout en parvenant à rester sympathiques. Et c’est clairement le cas de Jean-Louis. Il est bourré de défauts, c’est certain, c’est parfois aussi un sacré connard faut bien le dire, mais on ne peut pas ne pas se prendre d’affection pour lui malgré tout. Il a un regard simple et décalé, décomplexé et par moments hilarant sur la vie qui fait que certaines choses parfois réellement dramatiques se transforment dans sa bouche et sous sa plume en situations comiques. Et dans cette simplicité se bousculent à la fois gravité et légèreté sur un même plan d’égalité. Il peut être grossier et attendrissant dans la même phrase, et je trouve cette alchimie absolument géniale à lire. Parce que c’est divertissant, souvent très bien tourné, parce que ça a l’apparence de la légèreté tout en ayant une vraie profondeur, parfois même témoigner d’une vraie tristesse mais sans aucun larmoiement ni apitoiement. D’ailleurs je me rends compte que je parle de la verve de Jean-Louis Boulard, mais c’est bien entendu celle de Serge Le Vaillant qui transpire de tout son talent d’auteur et de conteur.

Je ne le fais pas souvent, mais j'ai bien envie de vous citer un passage où Jean-Louis tente le tout pour le tout avec Jocelyne, histoire que vous captiez bien l’ambiance de la chose…

 

« Vraiment, elle avait été très sympathique jusqu’à ce que je déconne à nouveau. Faute de rassembler en moi suffisamment de courage ou d’inconscience pour la tuer. Faute de trouver dans mon cœur assez de veulerie pour me prosterner à ses genoux et l’implorer de ne point me quitter, je m’étais convaincu de lui mettre une pétée.
J’étais résolu à la prendre debout, devant l’évier où elle stationne bien souvent. À la cosaque, comme un vrai viril qui porte le pantalon chez soi. J’avais espoir de lui remettre ainsi les idées en place, en lui foutant autant qu’elle pourrait en prendre, sans caresse ni préliminaires inutiles. Manière de lui rappeler qui était le patron. J’avais préparé mon coup, si je puis dire. L’opération commando devait se dérouler durant le petit déjeuner car je me réveille généralement avec une demi-molle. Un phénomène bien connu et que Victor Hugo, lui-même, à ce que j’ai entendu à la radio, nommait les matins triomphants.

Nous étions dans la cuisine. Le café gouttait. Jocelyne lavait quelques couverts sales de la veille. J’avais écrasé ma deuxième clope dans le cendrier en granit de Bénodet. J’y étais allé direct comme un seul homme. J’avais relevé sa combinaison avant de coller mon bide contre ses reins. Elle n’avait eu aucune réaction, pas même de surprise. Elle continuait de frotter une poêle. J’avais cherché à me concentrer en regardant ses miches, ses jambons, mais je les voyais mal. Et puis, mon regard était tombé sur ses putains de chaussons. Je n’ai jamais pu les blairer ces saloperies de savates rouge et or qu’elle traînait depuis des années. J’avais été incapable d’avoir la trique. Quant à lui demander de l’aide, comme d’habitude, je ne pouvais pas y compter. »

 

C’est du même tonneau tout du long, et j’avoue que je me suis bidonné plus d’une fois comme un con, seul avec mon livre dans les mains.

 

J’ai vraiment adoré lire la vie de Jean-Louis, aussi bien passée que présente, avec ce ton très franchouillard, très populo et ce style bien imagé que le titre du roman à lui seul laisse imaginer. Si j’ai trouvé la fin un peu abrupte elle est à l’image de l’histoire : à la fois dure et drôle. Pour moi il s’est agi d’un véritable coup de cœur, d’une vraie belle découverte que ce roman, et cet auteur là. Un peu le même effet que m’avait fait Laurent Chalumeau sur Le Siffleur. En tout cas je conseille vivement ce livre, Sauf ma mère vous fera passer un très bon moment. Et le second roman de Serge Le Vaillant, Chez les grecs,  est d’ores-et-déjà sur ma pile de bouquins en attente de lecture. J’ai hâte.

Cet article a été initialement publié sur mon blog : www.moleskine-et-moi.com

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