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Les trois saisons de la rage

Les trois saisons de la rage

Publié le 13 mai 2021 Mis à jour le 11 janv. 2022 Culture
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Les trois saisons de la rage

Attention coup de cœur !

Il est des livres comme ça, qui vous prennent sans prévenir. On ne les avait même pas vus venir pour tout dire. Et paf ! Surprise totale, plaisir intense. On en reste un peu sur le cul, et il nous faut un peu de temps pour s’en remettre. Quand c’est aussi bon que ça, qu’est-ce que c’est puissant l’inattendu !

 

C’est ce qui s’est passé pour moi et ce roman. Honnêtement, je ne saurais même plus dire exactement comment j’en suis venu à le lire. Le titre certainement, la quatrième de couverture peut-être également, avaient dû m’attirer, je n’en ai plus le souvenir exact. Ce que je sais c’est que j’y suis allé un peu à l’aveugle, et que je ne m’attendais pas à grand-chose, et c’est justement grâce à cela que j’ai été cueilli par ce livre.

 

L’auteur, Victor Cohen Hadria, nous plonge dans la seconde partie du XIXème siècle, en pleine campagne normande. Dans la première partie du roman, on suit un échange épistolaire entre deux médecins, le médecin de campagne du village normand de Rapilly Jean-Baptiste Le Cœur et le médecin-major Charles Rochambaud, parti à la guerre avec l’armée de Napoléon III pour la campagne d’Italie, confronté aux forces autrichiennes. En réalité le docteur Rochambaud écrit pour le compte du jeune soldat normand Brutus Délicieux, illettré, et le docteur Le Cœur en fait de même pour sa fiancée restée au pays, la jeune Louise. Dans la seconde partie du roman, la plus volumineuse également, on lit le carnet quotidien que tient le docteur Le Cœur. Il y relate ses journées, les malades qu’il visite, des plus riches (nobles et bourgeois) aux plus pauvres (paysans et prostituées). On y lit toutes les difficultés qu’il rencontre pour imposer la science et la médecine dans ce monde rural des années 1860 où la religion mais aussi les superstitions de toutes sortes rythment encore un quotidien âpre et difficile. D’ailleurs ses relations avec le curé et le sorcier-rebouteux du coin sont très intéressantes et montrent comment la médecine est alors considérée. Et puis Le Cœur, tout médecin humaniste qu’il est, n’en reste pas moins un homme, et son veuvage commence à lui peser. Son carnet sera donc aussi l’occasion pour lui de retranscrire ses aventures sentimentales et sexuelles ponctuées de nombreuses conquêtes à travers la campagne normande qu’il sillonne à cheval.

 

Les trois saisons de la rage a donc plusieurs facettes. Bien entendu il y a une plongée dans l’histoire relativement récente de nos campagnes (on ne remonte qu’à peu près de 150 ans dans le temps) qui s’avère en tous points vraiment intéressante. Il y a un portrait de médecin de campagne humaniste et qui se bat contre les croyances de toutes sortes, depuis celles véhiculées par la religion omniprésente jusqu’à celles plus traditionnelles qui consistent à croire par exemple que la saleté protège de la maladie et des infections. Il y a une approche plus psychologique mais aussi sociétale, où l’on peut mesurer comment le désir, la jalousie, le pouvoir et le sexe ont toujours été au cœur des relations humaines, fussent-elles corsetées par la morale et la rigueur religieuse. Et il y a une vision encore balbutiante de la médecine moderne, avec les recherches du docteur sur la rage, le tout début des vaccins, l’idée naissante que l’hygiène et la propreté sont primordiales pour la santé, et de manière plus générale un regard à la fois humain et scientifique sur la condition humaine. D’ailleurs je n’ai pas pu m’empêcher de faire un parallèle entre certaines réflexions du docteur Le Cœur et celles du docteur Bruno Sachs dans le roman La Maladie de Sachs de Martin Winckler que j’avais déjà tant aimé lire. C’est le même esprit, à plus d’un siècle d’écart, qui anime ces deux médecins de campagne de la littérature française.

 

J’ai été conquis par cette lecture, malgré un thème et un contexte qui a priori ne m’auraient pas attiré plus que cela. Il faut dire aussi que Victor Cohen Hadria sait rendre ses personnages vrais et attachants. Il sait aussi, et de quelle manière, manier une langue belle et fluide. C’est à la fois bien écrit, agréable à lire et beau à « entendre »… vous savez cette petite voix intérieure, au fond de vous, quand vous lisez un bouquin ? Eh bien qu’est-ce qu’elle sonne bien quand elle se promène sur les phrases de ce livre… C’est à la fois classique et moderne, drôle (car il y a de l’humour en plus de tout le reste qui émaille ce récit) et intelligent, réaliste et humaniste, touchant et passionnant.

Un dernier mot, sur la fin du roman. Brusque, inattendue, marquante, que j’ai eu tout d’abord un peu de mal à accepter tant elle survient beaucoup trop rapidement à mon goût (et pourtant le roman en édition originale frôle les 500 pages…). Et pourtant elle conclut avec force une histoire riche. Je me suis rendu compte par la suite, en y repensant à froid, que bien que marquante elle ne prend pas le pas sur le reste du livre : c’est tout le roman qui reste en mémoire pas sa seule fin, ce qui est bien la preuve que l’œuvre est pleine et complète, du début à la fin.

 

J’ai réellement adoré ce roman, et je ne peux que vous conseiller de vous ruer dessus. N’ayez pas peur du nombre de pages, du nombre de personnages, du contexte austère ou de sa construction peut-être un peu déstabilisante au premier abord. Ce livre est une pépite.

Cet article a été initialement publié sur mon blog : www.moleskine-et-moi.com

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