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Voici l'homme

Voici l'homme

Publié le 7 mai 2022 Mis à jour le 7 mai 2022 Culture
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Voici l'homme

Attention classique.

L’auteur, Michael Moorcock, est un grand nom de la littérature de genre du XXème siècle. Il est surtout et très largement connu pour sa série de romans mettant en scène Elric, un de ses personnages cultes. Sauf que c’est de la fantasy pure et dure, genre qui ne m’a jamais attiré, et que je n’ai donc pas lu. Mais Moorcock n’a pas fait que ça, loin s’en faut, et il s’est aussi laissé aller à écrire de la SF et du Fantastique sans grand gars balèze qui manie l’épée comme un cure-dent.

 

Il y a donc de cela trop d’années pour que je me le remémore sans me mettre à pleurer à chaudes larmes sur tout ce temps qui a filé à la vitesse de la lumière depuis lors, j’avais lu Voici l’homme de Michael Moorcock, mais dans sa version courte, dans le format nouvelle. C’était dans une compilation de textes de SF dont le thème commun était le voyage à travers le temps. Thème classique mais que j’adore. Ce qui me fascine au-delà de tout, c’est de voir comment les auteurs jouent avec le principe de paradoxe temporel quasiment inévitable dans ce type de récit (un peu moins systématique quand il s’agit de voyage vers le futur, comme dans la fameuse Machine à explorer le temps de H.G. Wells ou encore Le Voyageur imprudent de René Barjavel). Cherry on the cake, le voyage temporel dont il est question ici, va voir comme destination le Moyen-Orient du début de notre ère, au moment où un certain Jésus va se faire tristement connaître en finissant sur une croix devenue le symbole d’une des plus influentes sectes religions des 2000 dernières années… S’il est bien une période et un sujet qui m’intéressent tout particulièrement ce sont ceux-ci, et une histoire qui mette en parallèle les récits religieux et les croyances avec les réalités historiques ne pouvait que m’attirer encore plus.

Combo gagnant donc, du moins pour le fond, avec Voici l’homme, dont je vais quand même vous parler un peu de l’histoire avant de vous dire tout le bien que j’en ai pensé et pourquoi vous devez le lire (ou le relire) si ce n’est déjà fait…

 

Londres, années 60. Karl Glogauer a une vie compliquée. Entendez par là pas très passionnante, et assez triste, pour ne pas dire misérable. D’origine juive, élevé en milieu chrétien, nanti d’une mère tyrannique qui lui aura laissé de belles séquelles, il est du genre paumé dépressif, sentimentalement à la ramasse, sexuellement névrosé et se cherchant entre relations hétéro insipides et homosexualité refoulée. Passionné par Jung mais psychiatre raté, il n’est pas croyant mais est fasciné par le symbole de la croix. Quand l’occasion lui est présentée de servir de cobaye pour une expérience de voyage dans le temps par un inventeur génial et fou de ses connaissances, Karl accepte et choisit sa destination : la Galilée en l’an 28 de notre ère. L’objectif de Karl est de rechercher Jésus et d’assister à sa crucifixion, histoire de savoir une bonne foi(s) pour toutes si ce qui est raconté dans la Bible est vrai ou non. Contre toute attente, le voyage dans le temps va fonctionner, à ceci près que son chronoscape vient se crasher en plein désert palestinien et est définitivement hors d’usage. Karl n’a pas les connaissances scientifiques nécessaires à sa remise en état… Le héros va aller de surprise en surprise, puisqu’il va rencontrer celui qu’il ne tardera pas à identifier comme Jean le Baptiste, chef de la secte des esséniens qui cherchent à soustraire le pays du joug des Romains. Mais quand il lui pose la question au sujet de Jésus le Nazaréen, la réponse de Jean le Baptiste est inattendue : « c’est qui ? » lui répond-il en substance ! La quête de Karl s’annonce plus compliquée qu’il ne l’avait imaginée...

 

J’ai commencé ce papier en qualifiant ce récit de classique, ce qu’il est assurément je pense. Aussi y a-t-il de fortes chances que vous ayez déjà lu ou entendu parler de cette histoire, y compris de son développement et de sa fin. Et bien qu’il soit plus aisé de parler de Voici l’homme et de sa grande richesse thématique en en dévoilant la conclusion, je vais tout de même essayer de ne pas tout raconter ici, pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas et voudraient se lancer dans la lecture du roman.

 

Bien que le roman de Moorcock soit par certains aspects ostensiblement ancré dans les années 60 (la remise en cause de l’ordre religieux, les prémisses de la libération sexuelle, le culte autour de Jung) il n’en reste pas moins terriblement moderne à mes yeux sur bien des points.

Par son écriture directe et cash (pour ne pas dire brutale), par le coup de poker qui consiste à mettre en scène en personnage principal un héros qui n’en est pas un du tout, et qu’on aurait plutôt tendance naturellement à ne pas aimer tant il sort du cadre et qu’il semble faible et pitoyable, et par l’audace qui habite l’auteur quand il décide de revisiter et de donner une autre version d’une période charnière de l’Histoire, celle qui va voir la naissance du Christianisme. À sa sortie, ce roman écrit en 1968 a choqué. Il a été ouvertement qualifié de blasphémateur. Évidemment, pour moi qui considère le droit de blasphémer comme un des plus importants garants de la liberté d’expression et de conscience, c’est une motivation supplémentaire à lire ce livre et à le faire connaître plus qu’il ne l’est déjà. Il a choqué car il a donné une autre version des personnages du Nouveau Testament. Même si on n’a pas été très assidu au catéchisme, on a tous en tête les grandes lignes de ce que racontent les Évangiles, la personnalité et la vie de Jésus sont pour ainsi dire présentes telles des images d’Épinal dans la conscience populaire.

 

Or Michael Moorcock va un peu bousculer tout ça. Pardon, dynamiter tout ça. Et ce faisant, il touche directement au sacré, à ce qu’on ne remet pas en cause parce que ce serait mal, parce qu’on nous a toujours dit que ça s’est passé comme ça et qu’on n’a même pas cherché à y réfléchir et à remettre quoi que ce soit en question. La définition même du blasphème : la remise en question du dogme.

Karl Glogauer va, au cours de son aventure, rencontrer plusieurs personnages bibliques, mais ils ne seront pas tous fidèles à l’image classique qu’on a d’eux. Sans vouloir trop en dévoiler, mais pour vous donner une idée plus précise de la relecture proposée par Moorcock, sachez par exemple que Karl va rencontrer Marie*. Mais que la Marie qu’il croise sera plutôt du genre Marie-couche-toi-là que Vierge Marie…

De la même façon, l’écrivain aborde le sujet des miracles (qui parsèment l’existence du Christ) et en donner une interprétation toute personnelle, à base de science et de psychologie, vus avec l’œil d’un homme du XXème siècle. Encore des remises en cause, encore du blasphème…

 

Mais attention cependant, si ce roman est certes provocateur à l’endroit des bigots les plus recroquevillés sur les textes sacrés, s’il foisonne d’humour (parfois noir) dans son approche des personnages bibliques, il n’en reste pas moins un formidable fourmillement d’idées, et possède une vraie profondeur aussi bien sur le plan historique et philosophique que dans la psychologie des personnages et la mise en abyme de l’individu face à l’Histoire. D’ailleurs le seul point de ce récit qui se révèle être de la SF à l’état pur reste le concept de départ, celui du voyage dans le temps. Une fois celui-ci effectué, on est dans un tout autre genre et si je devais le qualifier je parlerais plutôt de sciences humaines que de Science-Fiction.

 

Voici l’homme, ou Ecce Homo pour citer Ponce Pilate** dans le texte (sacré, ça va sans dire), est de ces livres qui font aimer la littérature de genre, qui font réfléchir en se divertissant, qui sous couvert d’humour et de provocation se veulent avant tout malins et plus profonds qu’ils n’en ont l’air.

 

Et comme si le texte ne suffisait pas, la couverture de l’édition L’Atalante qui reprend la toile de Salvatore Dali, Corpus hypercubus, devrait finir de vous convaincre de vous y plonger.

 

* me reviennent de façon subliminale ces quelques mots, à dire avec la voix de Pierre Bellemare : « Joseph j’ai du retard, je crois bien que tu m’as bombé la galette »…

** « fils de … fils de pute ! » De manière toute aussi subliminale que précédemment.

Cet article a été initialement publié sur mon blog : www.moleskine-et-moi.com

 

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