En finir avec Eddy Bellegueule (2014) Édouard Louis
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En finir avec Eddy Bellegueule (2014) Édouard Louis
Être né quelque part, pour celui qui est né, c'est toujours un hasard
En février 2014, quand Édouard Louis publie En finir avec Eddy Bellegueule, il a 21 ans. Étudiant ensociologie à l'École normale supérieure de Paris, c’est un disciple de Didier Eribon qui fut son professeur à Amiens et qui publia cinq ans plus tôt Retour à Reims. Le livre du jeune homme est un succès en librairies, et créé assez rapidement la polémique. Beaucoup expliquent ce succès inattendu par le contexte social. Depuis la fin 2012 en France, plusieurs manifestations sont organisées par le pour et les anti « mariage pour tous ». Les contestations se poursuivent après la promulgation de la loi, le 17 mai 2013, date symbolique puisqu’il s’agit de la Journée internationale contre l'homophobie et la transphobie. Or, le sujet du livre d’Édouard Louis, c’est, entre autres choses, les brimades homophobes dont l'auteur a été victime durant son enfance, dans un village de Picardie.
Le début
Le jeune Eddy se trouve dans un couloir de son collège quand deux garçons lui crachent à la figure. L’un est grand, a des cheveux roux, l’autre est petit, et a le dos voûté. « Prends ça dans ta gueule », lui lance le grand aux cheveux roux. Eddy ne sait pas comment réagir, il se trouve démuni face à cette violence. Il a peur de la réaction de ses agresseurs ; pourtant, la violence, il est habitué à la regarder, entre son père qui, bourré, provoque d’autres hommes, et son frère qui ne manque jamais un prétexte pour affirmer sa virilité. Oui mais voilà, Eddy a 10 ans, il a envie de se faire des amis, et ne s’attendait pas, quand il a vu s'approcher ces deux garçons, qu’ils allaient s’en prendre à lui. Or, la première chose qu’ils lui demandent c’est : « C’est toi le pédé ? », une phrase que le jeune homme ne cessera de ressasser durant son adolescence.
Analyse
La lecture d’En finir avec Eddy Bellegueule ne laisse pas indifférent, tant par le contenu des faits qui y sont racontés que par le style avec lequel Édouard Louis déploie son récit. Certes, c’est une auto-fiction, mot magique qui renferme à la fois « auto » et « fiction », permettant par là-même toutes sortes d’interprétations parfois contradictoires mais toutes aussi légitimes les unes que les autres. On est d’abord surpris par la violence avec laquelle Édouard Louis raconte les agressions et les insultes homophobes dont il a été victime durant toute son enfance. Il n’épargne rien au lecteur, tout comme ses prétendus amis, et d’ailleurs il écrit toujours le mot ami en italique, afin de bien insister sur ce point, et même sa famille, n’épargnaient rien au garçon qu’il était. Puis par la description sèche d’un milieu ouvrier, à qui d’aucuns ont encore du mal à accorder une place légitime dans la littérature contemporaine.
Ainsi, on a parfois le sentiment qu’Édouard Louis s’adresse, de sa position de chercheur en sociologie et d’intellectuel parisien, à des élites pour leur montrer l'existence, voire l’essence de ce lumpenprolétariat. Il décrit du reste très bien combien ces privilégiés ne se rendent pas compte de leur propre condition d’une part, et surtout de la violence symbolique qu’ils exercent parfois envers leurs semblables, dont ils n’acceptent pas la différence, et qui, de leur côté, ne peuvent pas s’imaginer s'extraire de leur milieu, dans le sens où ils ne savent pas le penser, car on ne leur a pas appris, pas transmis. Tout comme le petit Eddy, qui va mettre longtemps avant de se faire nommer Édouard. Car En finir avec Eddy Bellegueule, c’est un regard rétrospectif sur une enfance que l'auteur vient tout juste de quitter. On s’étonne de cette constante ambivalence de ce jeune homme tiraillé entre son milieu d’origine et celui qu’il a intégré.
Car Édouard Louis se définit comme un transfuge de classe, se revendiquant de l’œuvre et des travaux indépassables de Pierre Bourdieu, mais aussi, au-delà de Didier Eribon, d’une autrice comme Annie Ernaux. Et l’on a l'impression, en lisant En finir avec Eddy Bellegueule, qu’il a honte à la fois de son milieu d’origine et de sa trajectoire personnelle, comme si au fond de lui persistait le sentiment de sa propre trahison, et presque aussi, de façon plus inconsciente, de son illégitimité. Son écriture balance sans cesse entre une préciosité parfois maladroite lorsqu’il analyse ses mésaventures et une rudesse lorsqu’il cite, dans des verbatims aux accents sociologiques assez lourds, les propos des membres de sa famille. Ce qui rend le récit, présenté comme un roman, parfois indigeste, malgré la force incontestable de son propos.