Escorte
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Escorte
L’auteure d’Escorte se nomme Mélodie Nelson. Comme vous l'aurez deviné, c’est un nom de plume emprunté à la discographie de Serge Gainsbourg. Mélodie Nelson est une jeune femme québécoise, qui raconte dans ce livre son expérience dans le monde de l’escorting. Une escorte ? c’est une variation un peu plus luxueuse de la prostituée classique. Elle n’officie pas dans les rues mal famées ni dans des arrières salles de bars louches, mais reçoit dans de luxueux appartements ou de beaux hôtels. Pour un tarif de 200 $ de l’heure, elle assouvit les fantasmes des clients prêts à y mettre le prix.
L’escorting, Mélodie y est venue assez simplement. La jeune femme avait 19 ans, était étudiante en lettres à l’université et mariée à Samuel, son premier petit ami. Pour s’en sortir financièrement, Mélodie accumule en plus de ses heures de cours un petit boulot d’appoint dans une librairie. Un job mal payé et pas forcément très enthousiasmant. Sexuellement libérée, sa relation de couple est assez libertine, son mari accepte qu’ils aient d’autres partenaires de temps à autres. Alors quand une de ses amies lui parle du boulot d’escorte, avec l’accord de Samuel elle se lance dans l’aventure.
C’est ainsi qu’intégrée au sein d’une agence, elle travaille plusieurs jours par semaine en tant qu’escort-girl, et se fait beaucoup d’argent assez rapidement.
Elle raconte au gré des différents chapitres ses rencontres. Ses collègues escortes avec lesquelles elle partage les appartements où elles reçoivent les clients. Ses employeurs et le chauffeur qui se charge de l’emmener et de la récupérer quand elle est en « déplacement » chez un client. Et bien entendu les hommes qu’elle rencontre, qui la paient et qu’elle fait jouir (ou pas). De toutes origines, de tous âges, de toutes catégories socio-professionnelles, de tous physiques.
Je ne savais pas réellement à quoi m’attendre en lisant ce bouquin. J’imaginais vaguement un truc un peu trash voire glauque, l’histoire clichée de la jeune fille pauvre forcée à se prostituer pour survivre et le vivant très mal. En réalité j’avais tout faux. On se rend compte en lisant le bouquin que Mélodie (qui officie sous le pseudo de Marissa) ne correspond pour commencer pas du tout au portrait d’une victime. Non seulement elle a choisi librement de se prostituer, mais en plus elle le vit relativement bien, et y trouve même une façon de s’épanouir. Si son intérêt principal est bien entendu de toucher beaucoup d’argent, ce n’est pas le seul gain qu’elle retire de son activité. Elle se retrouve avec beaucoup de temps à elle, temps qu’elle passe la plupart du temps à dépenser son argent du reste. Et puis elle prend aussi du plaisir à son activité. Du plaisir sexuel parfois, même si c’est loin d’être de manière systématique, mais surtout elle a visiblement du plaisir et de la fierté de donner du plaisir aux hommes. Son fantasme à elle, c’est d’être le fantasme des autres...
Mélodie Nelson, aimable petite conne... ?
De ce point de vue, ce récit autobiographique est inattendu. Certes son activité n’aura pas que des conséquences positives pour elle, mais sur le long terme ce ne sera pas destructeur, bien au contraire même. Elle ira même jusqu’à y vivre une expérience à la Pretty Woman, rencontrant l’amour auprès d’un de ses clients réguliers (pour la petite histoire : ils sont toujours en couple et ont eu une petite fille ensemble). On échappe dans cette histoire à toute la panoplie de violences, de drogues et d’abus qu’on associe généralement à la prostitution. Ce qui d’ailleurs nourrit aussi les critiques à l’égard de ce témoignage, car si on accepte l’idée qu’il ne soit pas édulcoré, il est accusé cependant de montrer un aspect trop flatteur de cette profession taboue et qui ne reflèterait la réalité que d’une infime partie des travailleuses du sexe. Oser dire qu’une prostituée assume et se sente « bien » dans son activité choque, et cette affirmation passe pour être l’arbre qui cache la forêt dans ce milieu qu'on associe bien plus souvent à souffrances et problèmes.
Personnellement cela ne m’a pas choqué, en tout cas pas de ce point de vue. Mélodie Nelson relate son expérience, et ne cherche à aucun moment à présenter son cas comme une généralité. En tout cas je n’ai pas ressenti à la lecture de volonté en ce sens de sa part. Elle ne passe pas sous silence les problèmes liés à la prostitution, mais elle se limite à parler de ce qu’elle a vécu et expérimenté. Là-dessus je trouve qu’il n’y a rien de critiquable.
Pour autant j’en ai des critiques à formuler. D’un tout autre genre. Le principal étant que je me suis à plusieurs moments ennuyé à la lecture de ce bouquin pourtant pas bien épais.
Il faut préciser qu’au départ, Mélodie Nelson s’est faite connaître par son blog où justement elle relatait ses expériences. Devant le succès de ses écrits sur la toile, un éditeur l’a contactée pour lui offrir de publier son histoire sous forme d’un roman. Une partie du livre est donc directement inspirée du blog, ce qui s’en ressent grandement. Le style d’écriture reste très simple, il se veut ouvertement moderne et trash mais à l’arrivée je l’ai trouvé bien plat. Certes on a notre lot de crudité pour tout ce qui concerne le sexe et les descriptions de ses diverses prestations. Mais le ton employé... je ne sais pas, ça m’a paru fade, trop impersonnel, typé blog. En tout cas détaché ça c’est certain. Ce que j’en retiens, c’est qu’à l’évidence ce qui pour certains déchaîne les passions, elle, n’en fait pas une montagne. Le cul c’est du cul, point barre. Ça n’a rien de sacré, le sexe est une activité comme une autre pour elle, à ceci près que ça rapporte gros et que parfois ça lui donne du plaisir. Là dessus je n’ai d’ailleurs pas grand-chose à redire, et qu’on la partage ou non chacun est libre d’avoir sa conception de la chose.
A contrario, ce qui m’a plus marqué, c’est tout ce qui semble avoir beaucoup d’importance à ses yeux et qui m’apparaît d’une futilité navrante à moi. Les marques, les fringues, la junk food, le maquillage et le shopping. Je ne me suis pas amusé à compter le nombre de références qui émaillent le texte, mais ça m’a fait l’effet d’une indigestion. Si faire la liste de ce qu’on aime ou de ce qu’on s’achète peut, pourquoi pas, alimenter un blog à tendance fashion, ça ne fait pas un livre. Et ce n’est pas parce que dans sa liste de courses elle ajoute des préservatifs au goût pamplemousse acidulé et des piles pour son vibro que ça va la rendre intéressante. Ce côté hyper matérialiste tendance mode (ne nous leurrons pas, on en a tous un) m’a franchement saoûlé. Honnêtement, même comme matière à un « blog de fille » je trouverais ça d’une pauvreté désespérante, nourrissant tristement le cliché de l’écervelée de base qui raconte sa life. Oui sa « life », j’utilise le terme à dessein, le texte étant truffé de mots anglais et d’expressions québécoises. Évidemment cela s’explique par l’origine de l’auteure, mais ça ne passe pas franchement inaperçu, et malgré quelques explications spéciales pour les non-québécois, tout n’est pas toujours très clair à la première lecture.
Là où je reste dubitatif, c’est quand je lis les interviews et la présentation qui est faite de Mélodie Nelson. Devenue chroniqueuse pour la presse féminine au Canada, en plus de son occupation de blogueuse, elle avance souvent la littérature comme passion et se destine à écrire à présent que son premier bouquin a remporté un relatif succès. D’ailleurs pour rappel, avant de laisser tomber ses études pour l’escorting, elle était en fac de lettres. Mais voilà, dans ce que j’ai lu (que ce soit dans l'écriture ou les thèmes abordés), sans vouloir me montrer méchant ou méprisant, je n’ai pas trouvé grand-chose de très « littéraire ». Mais je m’avance peut-être en me permettant de douter du talent d’écrivain de cette jeune femme, l’avenir le dira.
Alors voilà, pour résumer un peu tout cela, je dirais que Escorte n’est pas un mauvais livre, sur certains points il est même intéressant, mais il souffre malgré tout de plusieurs défauts. Mais malgré ces défauts je ne peux pas complètement le déconseiller ne serait-ce que pour le regard très particulier qu'a eu l’auteure sur le monde de l’escorting. Mais si le bouquin vaut le coup, c’est plus pour la description de certaines situations que sur une quelconque réflexion plus profonde liée au sujet. Tout au moins peut-on se rendre compte qu’une escorte ne répond pas fatalement à l’idée préconçue de la pauvre fille victime de sa condition. Qu’on peut faire le commerce de son corps sans que l’esprit ne sombre forcément dans la débauche ou une quelconque dépendance. Et surtout qu’une prostituée est avant tout une femme et pas une bête curieuse, avec ses préoccupations de femme, sa vie de femme, ses envies de femmes. Pas plus passionnante qu’une autre, pas moins non plus.
Quant à Mélodie Nelson elle-même (enfin son personnage de papier) que dire ? Fashion victime et libertine décomplexée (oh le bel euphémisme) d’accord, mais on n’en saura pas beaucoup plus. C’est en fait surtout là-dessus que j’ai été un peu déçu : elle aura réussi à mixer du sexe cru et des préoccupations futiles. Et le cocktail n’est pas aussi détonant qu’on aurait pu croire.
Cet article a été initialement publié sur mon blog : www.moleskine-et-moi.com