Épisode 78 : Scepticisme
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Épisode 78 : Scepticisme
- Comte Siegfried, êtes-vous bien sûr de ne rien avoir de plus à confesser ?...
Quelques jours ont passé et Siegfried se trouve, comme c'est très régulièrement le cas, chez le Père Adalbéric pour le sacrement de pénitence et pour recevoir l'absolution.
C'est loin d'être la première fois que Siegfried remarque une forme de scepticisme et d'insatisfaction chez le Père Adalbéric. En fait, c'est une chose qui dure pratiquement depuis le début, depuis que le Père Adalbéric est le prieur du château. Siegfried en a tellement pris l'habitude depuis tout ce temps qu'il n'y fait même plus attention. C'est à peine s'il a remarqué que le scepticisme du Père Adalbéric ne fait que s'accentuer avec les années. C'est encore l'une de ces choses que Siegfried tient pour acquises dans son environnement : après tout, chacun est ce qu'il est, les gens sont ce qu'ils sont, chacun son caractère et puis basta. Le Père Adalbéric affiche toujours cet air sceptique chaque fois que Siegfried vient à confesse, ça fait partie de sa façon d'être, peut-être est-ce là l'attitude rituelle que les prêtres doivent prendre quand ils entendent leurs pénitents, qu'est-ce qu'il en sait ? Et si ça s'accentue avec le temps, c'est peut-être une question d'âge et de vieillissement, tout simplement. Les gens deviennent plus grincheux quand ils avancent en âge, c'est connu. Lui, Siegfried, il n'est pas prêtre, il ne passe pas son temps à en fréquenter, et il y a bien d'autres choses dont il doit se préoccuper. Donc il n'y a jamais accordé plus d'attention.
Mais jamais encore le Père Adalbéric n'avait exprimé son scepticisme aussi explicitement de vive voix.
A-t-il le droit de le faire d'ailleurs ?
Pris par surprise, Siegfried ne sait pas trop quoi en penser, mais sa toute première réaction dans l'instant, passé la surprise et l'étonnement, est de se dire : "Mais de quoi se mêle-t-il ?"
- Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?
- J'ai depuis toujours, ou peu s'en faut, l'impression que vous ne dites pas vraiment tout ce que vous avez à dire.
- Et d'après vous, que devrais-je avoir à dire, que je ne dirais pas ?
Le Père Adalbéric sourit.
- Ça, ce n'est pas moi qui peux le savoir. Vous seul le savez.
Siegfried rejette la tête en arrière et le menton en avant.
- C'est bien ce qu'il me semblait. En d'autres mots, tout ce que vous croyez en la matière - et peut-être en d'autres aussi - n'est que le fruit de votre imagination.
- Disons plutôt de mes observations.
- Ah oui ?... C'est vrai que de votre chapelle et de votre étude, vous en voyez des choses.
- Probablement plus que vous le pensez, comte Siegfried.
- Hum. À mon humble opinion, si vous me permettez cette... observation, vous en entendez bien plus que vous en voyez.
- Ce que j'entends reste scellé.
- Mais n'est pas oublié pour autant.
- Dieu l'oublie.
- Dieu peut-être - mais vous ?
- J'ai plusieurs sources pour comprendre la nature humaine.
- Oh. Monsieur est savant.
- D'abord, on dit "Mon Père". Ensuite, je suis plus âgé que vous, et suffisamment vieux pour avoir vu beaucoup de choses et accumulé une grande expérience de la vie. Je suis même assez âgé par rapport à vous pour mériter votre respect de ce seul fait. Enfin, n'oubliez pas que je vous connais, vous, la comtesse Mélusine et vos enfants, depuis plus de vingt ans. C'est moi qui vous ai mariés. Vos enfants, je les ai tous vus naître. C'est moi qui les ai baptisés. C'est moi le premier qui leur ai donné une instruction religieuse - et pas que religieuse d'ailleurs puisque c'est moi qui leur ai appris à lire et à écrire. Je connais chacun de vos domestiques par son nom, tout autant que vous. Je vis moi aussi dans ce château. J'ai bien entendu des oreilles pour entendre, mais aussi des yeux pour voir. Un cerveau pour me faire ma propre opinion, avec une conscience guidée par la Bible et par notre sainte Mère l'Église. J'ai d'ailleurs étudié les saintes Écritures bien longtemps avant vous, bien plus en profondeur aussi, j'ai dû le faire pour pouvoir devenir prêtre. C'est une chose nécessaire quand on a la charge de guider les consciences et les âmes. Et j'ai eu bien des occasions de voir le monde avant d''être le prieur de ce château et de ses habitants. Donc, oui, on peut considérer que je suis un peu plus savant que vous avez l'air de le croire, comte Siegfried. Oui, je connais la nature humaine - la nature humaine en général, et la vôtre en particulier. Et cela mérite un peu plus de respect que ce que vous venez de m'en accorder.
Un court silence s'installe. Siegfried se calme et baisse la tête.
- Je vous demande pardon, mon Père.
- Bien, j'aime mieux ça.
Une courte pause, puis :
- Donc je vous repose la question, comte Siegfried. Êtes-vous bien sûr d'avoir dit tout ce que vous aviez à dire ?
Siegfried ne répond pas.
- N'oubliez pas qu'il ne s'agit pas de moi, mais de votre rapport à Dieu et à Notre Seigneur Jésus-Christ, et de votre propre salut éternel. Moi, je ne suis qu'un intermédiaire.
- Pourquoi pensez-vous que je n'ai pas tout dit ? De toute façon, avec ou sans vous, Dieu sait ce que j'ai ou non sur la conscience. Puisque Dieu sait tout.
Enfin - il paraît.
- Dieu sait tout ce que nous avons ou non sur la conscience, c'est un fait. Mais pour nous pardonner, il a besoin de la manifestation de notre repentir. Vous-même, pardonneriez-vous à quelqu'un qui aurait fait du tort à vous-même, à votre famille, à vos biens ou à vos projets, s'il ne vous demandait pas expressément votre pardon ?
- Je n'ai pas la prétention d'être Dieu, mon Père.
- À la bonne heure ! Mais le feriez-vous ?
- J'avoue que même si une telle personne me demandait mon pardon, j'aurais du mal à le lui accorder.
- Ce qui humainement se comprend. Mais finiriez-vous quand même par le faire ?
Un silence s'installe. Que Siegfried finit par rompre.
- Honnêtement, je l'ignore.
Le Père Adalbéric assure sa position.
- Ne pensez-vous pas que vous manquez gravement de compassion ? N'oubliez pas que la compassion et la miséricorde figurent parmi les premières qualités d'un bon chrétien.
Un bon chrétien. Parce que vous croyez peut-être que je suis encore un bon chrétien. Allez vous faire foutre. J'essaie juste de sauver ce qui peut encore l'être, c'est tout. Si quelque chose peut encore l'être. Alors foutez-moi la paix avec vos leçons de morale.
- Notre Seigneur Jésus-Christ, qui est le tout premier modèle de tout bon chrétien, est allé jusqu'à pardonner sur la croix à ceux-là mêmes qui étaient en train de le crucifier. Et aussi au bon larron, qui s'est repenti devant lui.
- Je n'ai pas la prétention d'être Notre Seigneur Jésus-Christ, ni même de l'égaler en quoi que ce soit. D'ailleurs, si je me rappelle bien ce que j'ai lu dans les Écritures, les soldats qui le crucifiaient ne lui ont jamais demandé pardon, ni pendant ni après.
- La prière exacte de Notre Seigneur était : "Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font".
Siegfried s'énerve et secoue la tête.
- Quelle blague. "Ils ne savent pas ce qu'ils font". Ouais, mon œil. Ils savaient tout de même bien qu'ils étaient en train de clouer un homme sur une croix, non ?
- Oui. Mais ils ne savaient pas qu'ils y clouaient un innocent. Et ils savaient encore moins qui ils y clouaient. Sinon il y aurait eu largement de quoi déclencher la colère de Dieu. Mais ce n'est pas le propos. Le propos est que vous pourriez déjà confesser votre manque de compassion envers votre prochain. Ce qui serait déjà un grand progrès.
- Les irréprochables n'ont besoin de la compassion de personne.
- Certes. Êtes-vous irréprochable, comte Siegfried ?
Siegfried affronte silencieusement le Père Adalbéric du regard.
Ce dernier hoche légèrement la tête.
- C'est bien ce qu'il me semblait. Et cela correspond bien également aux échos que j'ai pu avoir de votre dernier accès de colère. Qui fut particulièrement épique d'après ce que j'ai pu en comprendre.
- C'est ma femme qui vous a raconté tout ça ?
- Pourquoi pensez-vous en particulier à la comtesse Mélusine ?
- Allez, mon Père - puisqu'il paraît que je dois vous appeler ainsi. Ne faites pas l'innocent. Je sais très bien que vous lui avez accordé un très long entretien pas plus tard qu'il y a quelques jours.
Siegfried arbore un sourire triomphant.
- Moi aussi, vous savez, j'ai mes propres sources d'information. Ce n'était pas bien difficile d'ailleurs. Tout le monde au château est au courant, vous savez. Ça a bien surpris tout le monde, d'ailleurs. Mais on ne cache jamais bien longtemps quelque chose dans un château. Surtout quand il s'agit de quelque chose d'inhabituel. Vous devriez le savoir. Mon Père.
Le Père Adalbéric soutient le regard de Siegfried, garde le sien légèrement oblique, et reste sérieux et imperturbable.
- Comme dans un petit village. Tout le monde y sait tout sur chacun. Mais pour exactement la même raison, je n'ai pas eu besoin d'elle pour être au courant de la dernière démonstration de votre tempérament... pour le moins irascible. Cet accès de colère épique a eu lieu devant de nombreux témoins. D'aucuns murmurent même que vous vous seriez allé jusqu'à vous en prendre à votre épouse. Et comme vous pouvez vous en douter, rien de tout cela ne m'a été relaté sous le secret de la confession.
- Qui a osé vous dire que je suis allé jusqu'à m'en prendre à ma femme ?
- Même si cela ne m'a pas été relaté sous le secret de la confession, permettez-moi de rester discret sur mes sources. D'ailleurs vous devriez bien en avoir une idée. Vous savez qui était présent ce jour-là sur place.
- Oui, et je compte bien m'occuper de cela dès que nous en aurons fini avec notre affaire.
- Et même si vous le faites, croyez-vous que cela va changer quoi que ce soit ? Cela va-t-il changer quoi que ce soit à ce que vous avez fait ?
- Ou pas fait. Au moins cela apprendra à ces personnes un minimum de respect.
- Pouvez-vous m'assurer, ici sur place et dans le cadre de votre confession, que vous ne vous en êtes pas pris à la comtesse Mélusine ? que vous n'avez pas levé la main sur elle ? que vous ne l'avez pas menacée ni dégradée en aucune manière ? que ce soit par la parole ou par le geste ? ou même en pensée ou en intention, dans le secret de votre cœur ?
Là encore, Siegfried garde le silence en fixant du regard le Père Adalbéric.
- Jusqu'où faudra-t-il que vous alliez avant qu'enfin quelqu'un vous arrête, comte Siegfried ?... Cela fait bien trop d'années déjà que vous vous noyez dans vos propres excès. Je suis resté en retrait pendant des années, parce que je pensais que vous alliez vous calmer et vous améliorer avec le temps. Mais il n'en est rien. Bien au contraire, au cours du temps, votre tempérament n'a fait que s'aggraver. J'ai cru que l'approfondissement de votre vie spirituelle par la prière, par le jeûne, par l'étude et par la pénitence allait vous calmer et vous rendre meilleur. Mais il n'en a rien été, si ce n'est pour votre générosité envers l'Église, pour laquelle je vous remercie d'ailleurs au nom du clergé, dont je fais partie. Vous affirmez veiller au salut de votre maisonnée, de votre ville et de votre comté, mais tout ce que vous faites, c'est les opprimer sous des règles que même l'Église ne leur impose pas. Tout votre discours ne parle que de peur et de châtiment, jamais de salut. Même vos enfants vous redoutent plus qu'ils ne vous aiment, combien de fois vous l'ai-je déjà dit ? En attendant, vous vous êtes écroulé en beauté sur le premier de vos vœux - un vœu que personne, pas même Dieu, ne vous obligeait à faire, car en honorant votre épouse, vous ne faites rien d'autre que votre devoir conjugal. Un devoir auquel j'ai trop longtemps pensé que c'était votre épouse qui se soustrayait. Vous avez fait ce vœu sans la consulter, sans aucun égard pour la façon dont elle pouvait en souffrir. Vous redoublez d'excès dans les pénitences les plus sévères dont on conseille même aux moines de ne pas abuser, mais rien de tout cela ne semble vous apporter la paix. Et pourtant, à chaque fois que je reçois votre confession, il n'y a rien que de très ordinaire et de tout à fait véniel. Alors même que vous donnez l'impression d'être constamment en fuite devant une urgence. Comment voulez-vous que je ne m'interroge pas ? De bien moins instruits que moi le font. J'ai gardé le silence et toute ma réserve pendant toutes ces années, mais maintenant je ne peux plus me taire et j'estime qu'il est plus que grand temps d'élever enfin la voix et de vous demander où donc vous courez comme cela. Devant quoi fuyez-vous ainsi ? Quelle faute avez-vous donc commise dont vous ne croyez pas être absous ? Quel péché grave tentez-vous ainsi d'expier ? Et pour autant que je sache, en vain ? Alors même qu'il vous suffirait d'avoir l'humilité de reconnaître vos fautes, vos erreurs et vos péchés pour que Dieu, dont le cœur n'est que miséricorde, vous les pardonne et les oublie ? Parlez, comte Siegfried, parlez maintenant, tant que vous êtes vivant, tant qu'il n'est pas encore trop tard ! Réalisez-vous seulement que vous pourriez mourir demain ? Cette vie sur terre ne tient qu'à un fil ! Quand vous serez mort, il sera trop tard pour regretter quoi que ce soit. Les jeux seront faits. Je vous en conjure, comte Siegfried, parlez tant qu'il en est encore temps !
Musique : Above and Below - Björn Rohde
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