Chapitre 22

Florence, 6/10/21

Une délicieuse odeur qui me ramène en enfance, vient chatouiller mes narines alors que nous pénétrons dans la vieille bâtisse. De doux souvenirs m’envahissent et je me revois trente ans en arrière lorsque chaque année, le 2 février, je me retrouvais chez ma grand-mère pour fêter la chandeleur. Elle avait coutume de tenir une pièce dans une main et la poêle de l’autre. Si la première crêpe lancée atterrissait parfaitement, sans pli, cela présageait une bonne année d’un point de vue financier.

• Hmmm ! Ca sent trop bon, s’exclame Clara. Merci Berengère !
• Coucou Clara ! Ta journée s’est bien passée ?
• Oui, super ! Tout le monde a présenté son exposé et Valentine nous a fait faire des jeux avec les yeux bandés pour qu’on comprenne ce que c’est que d’être aveugle.
• Et pourquoi donc ?
• Elle est en train de perdre la vue. Je t’en avais parlé.
• Ah oui, je me rappelle maintenant. Elle fait de l’athlétisme, c’est bien ça ?
• Oui, tout à fait. Elle nous a parlé de sa maladie et tu sais pas qu’elle fait des courses malgré son handicap ! lui explique ma fille en écarquillant les yeux. C’est fou, non ?
• Impressionnant, en effet !
• J’ai essayé de courir les yeux bandés avec Célia qui me tenait par le bras… Eh bien, je peux te dire que c’est hyper difficile. J’avais toujours peur de tomber, de me cogner dans quelque chose, de trébucher. Quand je pense qu’elle, elle fait de la vitesse, en plus ! Je suis scotchée !

Je prends part à la conversation.

• Et tu sais dans combien de temps, elle risque de devenir complètement aveugle ?
• Non, c’est difficile à dire, mais d’après son médecin, elle ne pourra bientôt plus ni lire ni écrire.
• Elle pourra encore rester dans votre école ?
• Pour le moment, oui. Elle est très intelligente. Elle comprend vite et elle enregistre tout. La maîtresse a dit qu’elle l’interrogerait à l’oral. Valentine nous a dit qu’elle espérait pouvoir continuer ainsi le plus longtemps possible tant qu’elle le pourra. En parallèle, elle souhaite intégrer l’équipe nationale d’athlétisme handisport. Elle passera des qualifications dans son club actuel et si elle réussit, c’est le club qui prendra en charge sa scolarité avec des professeurs particuliers. Tu te rends compte qu’elle rêve des jeux paralympiques ? Ça serait trop cool de la voir un jour à la télé.

Cette soudaine projection dans le futur m’attriste. Je sais que Clara ne sera plus là pour la voir si un jour Valentine réalise son rêve. Je change de sujet pour ne pas me laisser aller à la mélancolie.

• Regarde la toile que j’ai peinte cet après-midi.
• Waouh ! C’est trop beau, Maman ! Quel talent tu as. J’espère te ressembler quand je serai plus grande.
• Merci, ma petite émereaude.

Je me lève de table pour mettre fin à cette conversation dont la tournure me fait décidément bien mal au cœur.

Après qu’elle ait terminé ses devoirs et pris sa douche, j’invite Clara à parler de son exposé sur les rennes à tous les habitants du Hayon réunis pour le repas du soir. Je la laisse terminer avant de lui annoncer :

• J’ai une surprise pour toi, Clara.
• Ah oui ? demande-t-elle en fronçant les sourcils.

Je l’invite alors à déballer le cadeau qui contient les billets du voyage et le livret de l’agence qui présente toutes les activités de la semaine en Laponie. Clara saute de joie et fait plusieurs fois le tour de la table en courant et en brandissant les billets :

• Merci ! Merci ! C’est trop cool ! J’en r’viens pas !

Puis elle se met à chanter à tue-tête :

• Je vais aller en Laponie, Laponie, Laponie !!
• Tu peux remercier Cézanne et Bérengère, c’est grâce à eux si nous pouvons partir. Ils nous ont payé le voyage et je le leur rembourserai quand je pourrai.

Clara se précipite vers eux et les enlace fougueusement avant de dévorer le catalogue des yeux.

• Je suis trop impatiente d’être à Noël ! J’aimerais déjà y être ! Vraiment mer…

La dernière syllabe est absorbée par une quinte de toux. Je ne sais pas si elle a pris froid chez Célia ce week-end ou si c’est un symptôme de sa maladie. Je sais que sa tumeur peut toucher ses organes vitaux et notamment sa respiration. Je ne suis donc pas rassurée. J’ose espérer que ce n’est qu’un léger refroidissement, même si je sais que désormais je vivrai toujours avec l’angoisse de quelque chose de plus grave. Je chasse ces idées sombres de ma tête. Ce soir, j’ai toutes les raisons d’être heureuse et je suis persuadée que des rêves enneigés, peuplés de rennes et de lutins, vont accompagner la nuit de Clara. Je la trouve particulièrement fatiguée d’ailleurs. Moi aussi j’ai envie de rêver de Noël en compagnie de Lapons, enfin plutôt de Sami.

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Lapons, enfin plutôt de Sami.