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Chapitre 40

Chapitre 40

Publié le 29 mai 2025 Mis à jour le 29 mai 2025 New Romance
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Chapitre 40

Il y a parfois des matins où les choses paraissent exactement à leur place, mais où l’air, lui, porte autre chose. Une crispation infime. Un calme trop maîtrisé.


Ce n’est pas un bruit. Pas un geste. C’est un climat. Comme une pression atmosphérique qui pèse sur les épaules dès qu’on franchit la porte.


Je descends les quelques marches menant au laboratoire, sac en bandoulière, cheveux tirés, concentrée. La lumière des néons est vive, l’odeur du chocolat chaud flotte dans l’air, les plaques sont déjà empilées, les balances prêtes. Et pourtant, je perçois ce flottement étrange, comme si tout s’était légèrement déplacé durant la nuit.


Je pose mes affaires dans le vestiaire, enfile ma veste blanche, lisse le tablier devant moi. À peine arrivée dans la pièce principale, mon regard capte un détail : le mouvement, là-bas, au fond. Il découpe une bande de biscuit avec une application presque clinique, chaque geste millimétré, son corps tendu comme un arc prêt à rompre. Rien d’anormal en apparence. Et pourtant, il y a dans cette précision quelque chose d’un peu trop contenue. D’un peu trop contrôlée.


Je salue l’équipe. Les voix sont basses, les sourires polis. Sophie m’adresse un bref regard, presque comme une alerte. Et puis je le vois.


Celui qui n’était pas là hier.


Accoudé à une des étagères en inox, un gobelet de café à la main, il discute avec Rémi, visiblement à l’aise. Il a l’élégance bien droite de ceux qui n’ont pas besoin de prouver qu’ils sont là pour impressionner. Grand, la trentaine à peine passée, la barbe sculptée avec soin, des cheveux sombres ramenés en arrière sans une mèche de travers. Il porte une veste de pâtissier neuve, visiblement sur mesure, avec une aisance presque indécente. Mais ce sont ses yeux qui attirent. Froids. Calculés. Ils observent, pesant chaque geste, chaque parole autour de lui comme un négociateur en terrain conquis.


Quand il se tourne vers moi, il a déjà ce demi-sourire prêt à être activé.


— Steve Klein, dit-il en me tendant la main. Nouvelle recrue. Le directeur m’a dit que le labo avait une perle rare… Je voulais voir par moi-même.


Je serre sa main. Brève, ferme. Il a la poignée de main d’un homme sûr de lui, parfaitement calibrée. Il la relâche doucement, ses yeux restant sur moi une seconde de trop.


— Paule De Luca.


— Bien sûr. La Toque d’Or. Je vous ai regardée. Vous aviez une précision… chironomique, presque chorégraphique. Impressionnante.


Son compliment est bien formulé, presque trop. Il a cette maîtrise dans le ton, ce dosage parfait entre admiration et assurance. Mais ses yeux trahissent autre chose : une façon de scruter, de jauger, qui n’a rien d’innocent.


Je hoche la tête, polie, sans excès.


— Merci.


Je passe. Je me rends à mon poste. Mais déjà, je sens son regard accroché à mon dos, comme un fil invisible. Et je sens aussi l’autre regard. Celui que je connais par cœur. Il n’a pas besoin de se tourner. Son silence pèse. Sa manière de ranger une lame dans son bac est plus sèche qu’à l’ordinaire. Il n’a pas bougé d’un centimètre, mais je sens l’alerte dans sa posture. Tendu. Mais en retrait.


Le travail reprend.


Steve circule. Il parle à tout le monde, rapidement intégré. Il a lu les publications techniques, connaît les dernières tendances en pâtisserie moléculaire, cite des concours et des noms avec aisance. Il s’extasie devant la texture d’une ganache, complimente Nicolas sur la cuisson de ses choux, s’incline avec respect devant Sophie qu’il appelle “madame la précision”.


Il est charmant. Trop peut-être.


— Et ce sabayon revisité sur ton entremets “Contrepoint”, tu travailles sur stabilisation ou sur contraste de température ? demande-t-il en me rejoignant. J’ai vu une interview de toi sur le site du concours, mais tu n’entrais pas dans le détail.


— Ça dépend des phases. Mais je n’utilise pas de stabilisateur industriel.


— Excellent choix. Je savais que tu avais du fond, pas juste du style.


Il me tutoie déjà. Comme s’il n’attendait pas qu’on lui en donne l’autorisation. Je reste vague. Professionnelle. Il insiste. Un peu trop. Et je sens que certains membres de la brigade tendent l’oreille, amusés ou surpris. Mais moi, je sens que l’atmosphère change. S’épaissit.


Il s’installe à mon poste. Observe mes gestes, me pose des questions. Rien d’offensif. Rien que je puisse recadrer sans paraître sèche. Mais je sens qu’il cherche à comprendre mes angles morts.


Derrière nous, les mouvements du chef sont devenus plus saccadés.


— Trop rapide sur la prise, Rémi. Ralentis. Tu veux que ta mousse soit stable ou qu’elle se barre dès la prise au froid ?


Rémi se fige. Hoche la tête. Reprend. Le ton n’a pas changé. Mais la lame est là. Dans la voix. Tranchante.


Un peu plus tard, c’est Sophie qui se fait reprendre sur l’orientation d’un montage.


— C’est pas une géométrie approximative qu’on sert à ce niveau. Tu recommences. Et t’alignes. Comme prévu.


Même Nicolas reçoit une remarque sur la température de sa pâte.


Et puis, doucement, c’est mon tour.


Je finis un dressage. Il s’approche. J’attends la validation. Mais il fronce à peine les sourcils.


— C’est propre. Mais t’étais plus précise la semaine dernière. Tu veux que je te ressorte la fiche du concours pour comparaison ?


Il ne me regarde pas quand il le dit. Il recule déjà, son tablier noué comme une armure. Il a recommencé. Sans éclat. Sans colère. Juste ce ton acéré. Ce retour à la verticalité. À la distance.


Et Steve ? Lui, il a levé un sourcil. À peine. Il a vu. Il a compris.


Mais il garde ce petit sourire en coin. Et ça, je sens que ça ne fait que commencer.


Quand la pause arrive, je m’échappe. Je passe la porte de service et sors dans la ruelle latérale. L’air est vif. Il me mord les joues. J’en ai besoin.


Je m’appuie contre le mur. Je ferme les yeux. Et je l’entends.


Ses pas. Puis sa respiration, pas encore stabilisée.


Il reste en retrait. À deux mètres. Mains dans les poches.


— Il a ce genre de sourire, souffle-t-il, celui qui veut tout dire sauf ce qu’il dit.


Je ne réponds pas. Il ne m’attend pas encore.


— Ce n’est pas lui le problème. C’est ce que ça me réveille. Ce que ça bouscule en moi. Ce que j’ai cru avoir muselé.


Je me tourne lentement.


— Je croyais que j’avais gagné ce combat. Et ce matin… j’ai senti l’ancien moi. Celui que tu as vu au début. Tranchant. Hautain. Imperméable.


Il lève les yeux vers moi. Il a cette expression nue, honnête.


— Et ça, je le refuse. Même si je le ressens. Même si je me contracte quand je te vois sourire à une voix qui n’est pas la mienne.


Je m’approche. Je pose une main sur lui. Il est brûlant.


— Tu n’es plus cet homme. Tu t’ouvres. Tu avances.


Il hoche la tête. Un geste minuscule.


— Mais je suis en chantier. Et toi, t’as l’air finie.


Je le fixe. Et doucement, je réponds :


— Tu n’es pas une ruine. Tu es un lieu habité. Et j’ai choisi d’y rester.


Il ferme les yeux. Longuement.


— Alors reste. Même quand je suis tordu.


— Je reste. Mais à une condition.


Il attend.


— Que tu me laisses, moi aussi, être déséquilibrée. Cabossée. Et qu’on arrête de faire semblant d’être forts pour l’autre.


Il acquiesce.


Et je sais que le combat vient juste de commencer. Mais cette fois, on y va ensemble.


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