La vieille dame faisait défiler les pages de l’album tel un jeu de cartes prêt à être distribué.
L’ancien élève arrêta d’un doigt ferme le battement pour concentrer l’attention sur la classe de Certificat d’Étude 1
avec ses 36 élèves affichés sur trois rangs.
Il se remémorait la prise avec ses camarades qui dans les deux lignes du fond étaient juchés debout sur un banc tandis que devant eux se tenait la première garde.
Que de visages sérieux sur cette photo, tous cravatés sous le pull à rayures, faisant mentir les pitreries dont ils avaient été capables.

- Vous étiez un gentil garçon Victor, juste un peu paresseux. Philippe et Marcel étaient plus turbulents mais pas bien méchants. Et Gaston mon dieu, quel cancre !

Quelle n’avait pas été la surprise de Victor lorsqu’il avait reconnu parmi les pensionnaires de la maison de retraite madame Caint leur ancienne institutrice. Philippe
qu’il avait accompagné dans sa visite hebdomadaire à sa grand-mère,
ne la savait même pas là.

L’aînée avait ranimé avec ses lunettes rétro - les odeurs de craie, les lancers d’éponge et les tables de multiplication répétées sans relâche.
- Ah cela restera mes plus belles années d’enseignement !

Son sourire le chercha, penché qu’il était sur les minois pour mieux les identifier et avant d’avoir pu y répondre, il murmura :
- Mais bon dieu c’est Eugène …

L’institutrice le regarda interloquée puis le garçon montré sur l’image.
Elle demeura quelques instants sans réaction.
- Vous avez dit Eugène ?

Il confirma
mais le regard féminin demeura vide malgré son insistance sur quelques anecdotes.
À croire que pour elle Eugène n’avait jamais existé.

Le plus étrange était d’avoir fugacement éprouvé un sentiment similaire en découvrant le gamin sur le cliché.

Photo de couverture et illustration : Chantal Perrin Verdier