Chapitre 20
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Chapitre 20
Chapitre 20
Florence, 5 octobre
J’ai eu un petit pincement au cœur ce matin quand j’ai déposé ma fille à l’école. Hier, elle m’a montré son exposé sur les rennes et j’ai bien compris qu’elle rêve d’aller en voir en Laponie et d’y rencontrer le Père Noël. Comme je me suis promis d’exaucer tous ses voeux, j’ai fait des recherches sur internet et j’ai vite déchanté. Il nous faudrait au moins trois mille euros pour faire ce voyage toutes les deux. Je n’ai pas d’économies, je vis simplement et je n’ai pas de revenus réguliers. En choisissant de venir habiter ici, je pensais lui offrir une richesse de cœur, lui inculquer des valeurs auxquelles je crois, basées sur le respect de la nature et la consommation de produits de saison et locaux. Je pensais lui faire apprécier les petits bonheurs de la vie que sont l’amitié et le respect des autres. Je voulais l’éloigner de la ville, de sa pollution, de son stress, de son isolement aussi. En ville, on ne connaît pas ses voisins. J’ai fait le choix de cette vie et aujourd’hui, je me retrouve prise au piège. J’ai abandonné le luxe et la sécurité financière en démissionnant. Avec cet emploi, j’aurais sans doute un peu d’argent de côté ou j’aurais pu me permettre d’en emprunter à la banque, mais dans ma situation actuelle, c’est impossible. Comment faire pour réunir une telle somme ? Je réfléchis à la possibilité de travailler à l’extérieur, mais je manque de temps. Il faudrait par ailleurs que les horaires soient compatibles avec la fabrication du fromage et les ventes sur les marchés pour que je puisse conserver notre logement actuel. Pour bien faire aussi, il faudrait réserver dès maintenant. C’est une destination très prisée pour Noël et les quelques dernières places disponibles ne tarderont pas à trouver preneur. Je suis désespérée et c’est dans cet état d’esprit que je rejoins Thomas pour préparer le prochain marché.
Je lui explique ce qui me ronge et au bout de quelques minutes, il me fait part d’une idée lumineuse selon lui :
- L’année dernière, pour Noël, nous avions mis en place une action de solidarité. Au marché de Noël d’Avioth, nous avions proposé à nos clients de confectionner des boîtes, une pour chaque enfant des Restos du Cœur de notre secteur. Chacune devait contenir ces cinq choses : un objet pour apporter un peu de chaleur comme un bonnet par exemple, puis un produit d’hygiène, une carte de vœux personnalisée, un jouet et une friandise. Ces boîtes ont remporté un franc succès auprès de nos clients. Ils ont sollicité leurs enfants en leur proposant de gâter un enfant dont ils ne connaissaient que l’âge, le sexe et le prénom puisque le secret professionnel oblige les Restos du Cœur à ne pas dévoiler les noms de leurs bénéficiaires. Nos clients ont été très réceptifs à cette opération d’aide aux plus démunis et même hyper enthousiastes, je dirais.
- C’est une superbe initiative. J’adore totalement au projet, mais je ne vois pas où tu veux en venir.
- Cette année, au vu du succès rencontré par notre première édition, nous aurions aimé étendre l’initiative à tous les bénéficiaires des restos du Cœur de notre secteur et pas seulement aux enfants. Nous pensions chapeauter tout cela en achetant nous-mêmes les denrées et en vendant les boîtes à un prix forfaitaire. Les bénéfices seraient reversés à une association locale. Nous n’avons pas encore choisi laquelle, mais pourquoi ne pas se servir de cet argent pour financer votre voyage, à toi et à Clara. Je suis sûr que tous les habitants du Hayon seraient d’accord.
- C’est très gentil de ta part, mais ça me gêne de profiter de la générosité des donateurs.
- Je comprends, mais pense à Clara.
A ces mots, je m’effondre en pleurs. Je ne fais que ça de penser à ma fille. Je n’ai jamais mendié. Je n’ai pas envie de commencer. Je n’ai pas non plus envie qu’on s’apitoie sur mon sort, ni sur celui de ma fille. Et puis, elle ne doit pas savoir qu’elle est malade.
- Ne me dis pas ça !
- Excuse-moi ! J’ai été maladroit. Personne en dehors du Hayon ne saura ce qu’on fait de cet argent.
Je suis un peu déstabilisée par les propos de Thomas. Sa proposition me tente car je suis désespérée, mais elle me dérange. J’ai l’impression d’être malhonnête, mais en même temps, je me sens coincée. Que faire d’autre pour gagner de l’argent et rapidement ? C’est vrai que proposer cette opération « boîtes de Noël » dès maintenant permettrait de payer un acompte et de réserver le voyage. Donc j’hésite.
**
Je m’installe pour peindre le Hayon sous la brume. L’air est vif, mais il n’y a pas de vent. Bien habillée et équipée de gants, je m’assieds face à l’horizon sur le banc en bois, fabriqué par Théo. J’ai besoin de retrouver mon calme et je sais que cette activité va me faire du bien. Dès les premiers coups de pinceaux, je sens la pression s’évacuer. Tous mes muscles se relâchent et je fais le vide dans ma tête. Le froid et l’humidité réveillent ma blessure au poing. Heureusement, ni fracture, ni entorse, juste un peu de « vernis arraché » et un bel hématome. Je ne vais pas m’éterniser dehors car mes doigts s’engourdissent déjà. Dans mon dos, Bérengère et Cézanne sont arrivés sans que je m’en rende compte. Ils me demandent la permission de s’installer près de moi, puis s’asseyent de chaque côté de mon chevalet.
- C’est très joli, commence Bérengère.
- Je trouvais le Hayon tellement beau avec ces bandes de brume que j’ai eu envie de le peindre.
- Tu as beaucoup de talent, enchaîne Cézanne.
Le silence s’installe, mais avant qu’il ne devienne trop pesant, Bérengère prend son courage à deux mains :
- Thomas nous a expliqué pour le voyage en Laponie et nous aimerions t’aider. Nous avons des économies et nous pouvons t’avancer les frais.
- C’est gentil, mais…
Je n’ai pas le temps de finir ma phrase que Cézanne me coupe :
- Tu nous rembourseras quand tu pourras. Si tu ne pars pas en Laponie avec Clara, nous nous en voudrons de ne pas t’avoir t’aidé alors que nous en avons les moyens.
- Je t’en prie, accepte, insiste Bérengère en joignant les mains en guise de prière.
Je suis émue par tant de bienveillance. Je me suis promis de réaliser les rêves de Clara et aller voir les rennes en Laponie en est un. Epuisée par toutes les émotions contradictoires, mais aussi soulagée, je me mets à pleurer. Cette fois-ci, c’est de joie.
- Merci, vous êtes tellement aimables.
Je me laisse aller contre Bérengère qui me tend les bras, en prenant garde de ne pas tâcher sa veste de peinture avec le pinceau que je tiens toujours dans ma main droite. Puis, j’étreins Cézanne.
- Pour nous, ce n’est pas grand-chose. Nous nous sentons bien impuissants face au malheur qui frappe à ta porte et nous sommes heureux de pouvoir apporter notre petite contribution à votre bonheur à toutes les deux.
Cézanne me tend une enveloppe contenant deux billets pour un séjour de cinq jours et quatre nuits à Rovaniemi, au village du Père Noël pendant les vacances de Noël. Une boule dans ma gorge empêche mes mots d’atteindre la sortie :
- C’est un voyage organisé avec plein d’activités. Vous allez visiter la maison du Père Noël, découvrir son village illuminé pour Noël, faire une balade avec des rennes, avec des chiens de traineau, sur une motoneige et vous allez même pêcher sur un lac gelé.
Je suis ébahie. J’imagine déjà l’émerveillement dans les yeux de Clara. Sans eux, je n’aurais jamais pu réunir assez d’argent pour faire ce voyage et encore moins participer à toutes ces activités. J’ai hâte d’annoncer la bonne nouvelle à ma fille.
- Merci, vraiment ! On ne se connaît pas encore beaucoup, mais je peux vous garantir que je vous rembourserai jusqu’au dernier centime.
- Ne t’inquiète pas pour ça. Nous sommes heureux de pouvoir t’aider, comme nous venons de te le dire.
Je me demande ce qui a amené ce couple de cinquantenaires ici. Ils sont plutôt discrets. Je sais juste que c’est ici qu’ils se sont rencontrés. Quand j’en aurai l’occasion, je creuserai, mais pour le moment, j’ai une bonne nouvelle à annoncer et un voyage à organiser. Je me sens guillerette. Après avoir décompressé en peignant, j’ai retrouvé plein d’énergie grâce à la perspective de faire plaisir à Clara. J’ai désormais un but à atteindre et une échéance à préparer. Je me sens revigorée et enthousiaste. L’après-midi prend une meilleure tournure que le début de journée.
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