Episode 61 : Reprogrammation
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Episode 61 : Reprogrammation
J’avais six ans quand le monde s’est effondré – enfin, le véritable Moridan avait six ans. Moi, je n’existais pas encore quand ces foutus globes ont débarqué. Quand la Terre s’est rebellée et que les mers et les océans se sont déchaînés. Quand le sol s’était mis à trembler et que les continents ont disparu un à un…
Je n’existais pas et pourtant mon esprit était envahi par ces images d’horreur. Dans ma mémoire, les souvenirs d’un autre avaient été imprimés. Tout me paraissait si réel… Je me souvenais parfaitement de ce sentiment de peur et d’impuissance face à ce spectacle apocalyptique. De l’odeur qui flottait dans l’air chargé de poussière. De la chaleur des flammes qui ravageaient tout sur leur passage. Des cris des survivants qui ne comprenaient pas ce qu’il venait de se passer. De tous ces corps sans vie qui recouvraient le sol noir de cendres… mais ce n’était qu’illusion, car avant l’année 2361 – soit seize ans après cette catastrophe planétaire – je n’appartenais pas encore à ce monde.
John m’avait amené vers celui qu’il appelait Doc. Pas de prénom. Pas de nom. Juste ce surnom débile parce que c’était une véritable pharmacie ambulante : amphète, anti-douleur, antidépresseur… Ce type avait dû dévaliser toutes les pharmacies de la planète pour disposer d'un stock pareil !
Bref. Doc m’avait fait visionner une vidéo qui m’était adressée. C’était le moi avant la reprogrammation, il y a cinq ou six ans. J’étais sacrément remonté contre le système. Je me prenais pour un John Connor, prêt à sauver le monde de tous ces connards au pouvoir. Sans aucune explication, je me demandai de faire confiance à ce type curieux et d’accepter qu’il me branche à un vieil ordi pour que je retrouve tous mes souvenirs. Je redeviendrais le Moridan d’avant… laissant derrière moi celui d’aujourd’hui. Tirant un trait sur ces dernières années. Comme si je n’avais jamais existé.
– Il doit bien y avoir une autre solution pour qu’il retrouve ses souvenirs !
Léila se tenait derrière moi. Le regard menaçant, elle avait crié contre Doc. Mais ce vieux débris ne répondit rien. Il se contenta de hausser les épaules avant de sortir de la pièce.
– C’est parfaitement absurde. C’est une nouvelle reprogrammation qu’ils te proposent !
– Pourquoi ça te met dans cet état, Léila ? Je pensais que tu serais heureuse de retrouver l’homme que tu aimais…
Une petite femme nous avait rejoints. La soixantaine. Coupe masculine. Posture rigide. Probablement un ancien militaire. Elle s’approcha de Léila et l’observa longuement.
– Nouvelle enveloppe... Très intéressant !
Elle tourna autour de ma coéquipière, l’examinant sur toutes les coutures. Après quelques secondes, elle s’intéressa enfin à moi.
– Moridan ! J’imagine que vous n’avez aucun souvenir de moi… Je me présente, Caporal Rifl. J’étais votre bras droit, en quelque sorte, avant votre départ.
– En quelque sorte ?
Elle se racla la gorge avant de répondre avec dédain :
– Oui, après votre chère et tendre ici présente…
De toute évidence, ce n’était pas le grand amour entre les deux femmes. Sur le visage de Léila, je pouvais lire du mépris et de la colère. Les poings serrés et les lèvres pincées… Son apparence avait beau être différente, je la connaissais par cœur. Ses attitudes, ses réactions… au fond, elle était toujours la même. Et à ce moment précis, elle se retenait de lui cracher son venin en pleine figure.
– Doc m’a dit que vous ne vouliez pas effectuer le transfert de données. Vous m’aviez prévenu que cela pourrait arriver… que vous ne voudriez pas perdre à nouveau vos souvenirs. Mais ce que vous avez vécu ces cinq dernières années ne compte pas et…
– Ces cinq dernières années ne comptent pas ? Vraiment ? Elles ont fait de moi ce que je suis, effaçant cet anarchiste qui n’hésitait pas à tuer des centaines d’innocents pour arriver à ses fins ! J’ai l’impression que cette reprogrammation est le seul truc positif de toute ma chienne de vie.
Le Caporal Rifl était rouge de colère. Elle nous regardait, Léila et moi, à tour de rôle, ne sachant quoi dire. Elle avait compri que leur plan avait échoué. Que jamais son cher Moridan ne reviendrait et elle avait visiblement du mal à le digérer.
– Très bien, nous avons tout notre temps… vous resterez ici jusqu’à ce que vous ayez retrouvé la raison.
Et sans nous laisser le temps de répondre, elle sortit en claquant la porte derrière elle. Une putain de porte en acier capable de résister à la force de Léila. Nous étions tous deux pris au piège, encore une fois.
Texte de L.S. Martins (35 minutes chrono, sans relecture).
D'après Image par Ulrich B. de Pixabay : Destruction Guerre Impuissance - Photo gratuite sur Pixabay