La Fiancée du pirate
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La Fiancée du pirate
Pas de nom de famille, juste un prénom, Sarah, et une discographie limitée à un 45 tours en 1978, soit deux chansons : Peut-être bien que j’t’aime et Pour le café reviens demain.
La chanteuse est assise au piano, échevelée, en robe blanche, surexposée comme une biche prise dans les phares d’une voiture, elle fixe l’objectif, les yeux écarquillés. Elle a les doigts plaqués sur le clavier. Sur le piano, on voit l’album Burnin’ des Wailers, comme si Sarah cherchait à revendiquer quelque chose, mais difficile de savoir quoi. Au dos de la pochette, il y a six petites vignettes, dans lesquelles on voit la chanteuse poser et faire la folle, jouer à la poupée, déguisée façon cabaret ou safari, et un texte lunaire signé Boris Bergman, co-auteur de Pour le café reviens demain. Bergman est un parolier reconnu, qui a notamment signé des textes pour Alain Bashung, et pas des moindres : Gaby oh Gaby et Vertige de l’amour, les premiers grands succès du chanteur. On se demande un peu ce qu’il est venu faire ici :
« Fiancée du Pirate, échappée d’un opéra à 3 sous pour attérir (sic) sur une Carthage de carton pâte, elle vous fera une danse des 7 voiles en vous tirant son irrévérence, ainsi soit-elle ».
La face A est encore assez classique et plutôt sympathique, même si les chœurs sur le refrain partent déjà un peu partout et laissent présager le grand n’importe quoi, qui arrivera sitôt le disque retourné. Dans Pour le café reviens demain, Sarah ne chante plus vraiment, elle cliquette comme une poupée désarticulée, perchée, très haut dans les aigus. Et les paroles sont à l’avenant, truffées de jeux de mots bizarres :
« Mon doux Guesclin je suis ton serf »
« T’as le don qui choque moi le sang chaud »
(Où sont passés les moulins?)
« Alexandre mon coq errant »
Il y a quelques astuces d’écriture un peu faciles et sans conséquence :
« Tu es miso, je suis maso »
«Tu es Zorro, je suis zéro »
« Toi le jobard, moi la barjo »
Le second (barjo) n’étant que le verlan du premier qui s’est démocratisé au point de supplanter le terme d’origine, mais le même mot donc, quoi qu’il en soit)
On trouve aussi des allusions scabreuses :
« Sus au dragon, vas-y mon prince
Viens donc investir mes provinces »
Une référence aux grands classiques de la chanson :
« Tu sens si bon le sable chaud »
(Mon légionnaire, Édith Piaf)
Mais la palme revient tout de même au refrain, génial évidemment :
« Accroche-toi Ben Hur
Sur mon tempo bats la mesure
Arrête ton char Tarzan
Tu vas te planter y a du vent ».
Si on prend la seconde partie de ce refrain seule, cela n’a aucun sens : « Arrête ton char Tarzan »… Tarzan se promène sur des lianes, de branche en branche, en slip et en criant, pas sur un char. C’est bien l’évocation de Ben Hur dans la phrase précédente qui va légitimer et donner du sens à la suite. C’est plutôt malin et subtil comme écriture, contrairement à ce qu’on pourrait croire. Les dérapages sont contrôlés, et cela contribue au grand bazar qu’est cette chanson… bizarre.
Morceau à écouter ici