Conversation secrète (The Conversation, Francis Ford Coppola, 1974)
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Conversation secrète (The Conversation, Francis Ford Coppola, 1974)
"Conversation secrète" est le chaînon manquant entre "Blow-up" (1966) de Michelangelo ANTONIONI et Blow Out" (1981) de Brian DE PALMA. Il est également indissociable de son contexte historique, celui du scandale du Watergate et des thrillers paranoïaques des années 70. Cependant, en dépit des apparences il ne s'agit pas du tout d'un film politique. Son véritable sujet est celui d'une aliénation individuelle. Sa fin horrifique a d'ailleurs quelque chose à voir avec "Shining" (1980) dans le sens où on assiste au dérèglement mental d'un homme coupé des autres et du monde et à des visions cauchemardesques de débordement sanguinolent à l'intérieur d'un hôtel. Le héros, Harry Caul (son nom évidemment résonne comme "Call") remarquablement interprété par Gene HACKMAN n'est pas sans évoquer Gerd Wiesler dans "La Vie des autres" (2006). D'abord parce qu'ils font le même métier consistant à espionner les autres et donc à vivre leur vie par procuration. Ensuite parce qu'il s'agit de portraits de deux hommes rongés par la solitude car incapables de communiquer normalement avec autrui, incapables d'intimité comme le montre leurs appartements impersonnels (celui de Harry finit même complètement saccagé à cause de sa recherche de micros cachés à l'intérieur). Dans les deux films, la question de l'humanité de ces hommes agissant avec le professionnalisme méticuleux voire maniaque d'une machine est posé. Dans les deux films, les deux hommes sont pris dans un dilemme moral: dénoncer ou protéger ceux qu'ils espionnent. La musique sert d'exutoire dans les deux cas, Gerd Wiesler écoutant celui qu'il espionne en jouer ("La sonate de l'homme bon") et Harry Caul jouant du saxophone autour d'un orchestre exclusivement composé de machines qui conforte le spectateur dans l'idée qu'il a affaire à un sociopathe. Plusieurs scènes montrent par ailleurs Harry incapable de faire confiance à qui que ce soit et donc à nouer des liens, qu'ils soient amicaux ou amoureux. Cela recoupe la paranoïa du personnage car à chaque fois qu'il se retrouve en compagnie d'amis ou d'une femme, il a peur d'être espionné/trahi et cela s'avère comme hasard souvent vrai. Ses seuls moments d'abandon se situent au coeur d'un cauchemar avec la femme qu'il est chargé d'espionner ou bien au confessionnal. Car Harry Caul à la différence de Gerd Wiesler est aussi un homme très religieux, son catholicisme fervent le plongeant dans la culpabilité liée aux conséquences de ses actes.
"Conversation secrète" est aussi un régal de mise en scène avec cette alternance de scènes dans des "arènes" publiques comme le parc de San Francisco ou le parking attenant à l'atelier d'écoutes souterrain et de lieux censés être privés mais truffés d'écoutes ce qui rapproche les USA de cette époque par certains aspects d'une dictature. L'effet de répétition est particulièrement efficace puisque la conversation enregistrée dans le parc au tout début du film et qui ne cesse d'être réécoutée en boucle est peu à peu décryptée par Harry Caul comme par le spectateur qui peut y voir plusieurs niveaux de signification. Certains des propos tenus peuvent ainsi s'appliquer à Harry lui-même, presque toujours isolé dans le cadre et confèrent au film parallèlement à la musique une profonde mélancolie "Chaque fois que je vois un de ces vieux types, je pense toujours qu’il a été un bébé… Où sont sa mère, son père, ses oncles, maintenant ?". Et quand on voit la réaction de Harry face à ce qui s'apparente à un meurtre (se blottir sous les couvertures) on se dit qu'à force de fuir le contact avec ses semblables, Harry est resté un vieil enfant qui n'a jamais grandi et jamais pu découvrir son identité. En cela il n'est pas si différent de Michael Corleone, autre homme aliéné et solitaire qui au lieu de construire sa propre personnalité a préféré se mouler dans le rôle du Parrain en payant le prix fort.