Baisers volés (François Truffaut, 1968)
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Baisers volés (François Truffaut, 1968)
Près de dix ans se sont écoulés depuis "Les quatre cent coups" (1959) et six depuis "Antoine et Colette" (1962). Antoine Doinel (Jean-Pierre Léaud) est désormais un jeune adulte qui se caractérise par son instabilité tant professionnelle qu'amoureuse*. "Baisers volés" prend la forme d'un conte initiatique quelque peu chaotique et parfois transgressif. Au début du film, Antoine Doinel n'a pas évolué depuis "Antoine et Colette". Il vit à l'hôtel, courtise une fille Christine (Claude Jade) qui accepte de le fréquenter mais repousse ses avances et est régulièrement invité par les parents de Christine qui semblent l'avoir adopté. Soit exactement le schéma de "Antoine et Colette". La brève rencontre avec Colette (Marie-France Pisier) qui s'est mariée et a eu un bébé avec l'homme qu'elle a choisi dans le volet précédent souligne par contraste le caractère d'éternel adolescent de Antoine Doinel. Le seul changement par rapport à "Antoine et Colette" est outre la couleur le fait qu'on y aborde de front la sexualité (on est en 1968). Une sexualité qui ne semble pas avoir beaucoup évolué non plus depuis le XIX° siècle avec la dichotomie vierge/putain. D'un côté la jeune fille de bonne famille que l'on fréquente depuis des années mais qui, cornaquée par les parents semble inapte au désir. De l'autre, le déchargement des pulsions dans des hôtels miteux auprès de filles qui le sont tout autant.
Mais il est temps que tout cela change (outre le contexte de 1968, François Truffaut était impliqué dans un mouvement de soutien à Henri Langlois qui avait été limogé de la cinémathèque ce qui explique que le film s'ouvre justement sur l'entrée de la cinémathèque en grève). Tel Oedipe, Antoine Doinel en vient à tuer le père (le détective qui lui a fourni un emploi stable et s'appelle justement Henri) et coucher avec la mère (Fabienne Tabard à travers laquelle il trahit la déontologie du cabinet dans lequel l'a fait entrer Henri) pour au final parvenir enfin à susciter le désir de Christine qui profite de l'absence des parents pour le faire venir et coucher avec lui. Conséquence paradoxale, Doinel qui était jusque là inadapté se transforme en être socialisé prêt à se fondre dans la case du mariage bourgeois. Et ce en tuant ce qu'il y a de romanesque, passionné, exalté en lui, caractérisé par la lecture des romans de Balzac, en particulier "Le Lys dans la vallée" lecture projetée ensuite sur "l'apparition" magnétique de Fabienne Tabard, elle-même jouée par la non moins magnétique Delphine Seyrig. C'est d'ailleurs les scènes avec elle qui m'avaient le plus marquées au premier visionnage du film. Les expressions de son visage lorsqu'elle entend que Antoine est fou amoureux d'elle, la considère comme une femme exceptionnelle. Et puis son discours dans la chambre d'Antoine dans laquelle elle vient lui confirmer qu'elle est bien une femme qui "n'est pas au-dessus de ça" et non une "apparition". Cette folie, on la retrouve à la fin dans le discours du personnage mystérieux qui suit Christine comme une ombre et lui fait une déclaration incongrue alors même qu'elle projette de se marier avec Antoine. C'est la part irréductible de romanesque qui ressurgit dès que la triste réalité routinière menace de s'installer...
* En le revoyant, la filiation avec la trilogie de Cédric Klapisch mettant en scène Romain Duris dans le rôle de Xavier à plusieurs étapes de sa vie m'a paru évidente. Et très récemment le premier tome de la BD de Riad Sattouf intitulé "Le jeune Acteur" qui raconte le casting et le tournage de "Les Beaux Gosses" et donc la rencontre avec Vincent Lacoste qui était alors collégien établit un parallèle explicite avec la découverte de Jean-Pierre Léaud par François Truffaut. En effet Riad Sattouf a un projet au long cours impliquant de suivre celui avec lequel il a établi une relation quasi filiale jusqu'à l'âge de 76 ans!