Les Nouveaux chiens de garde (Gilles Balbastre et Yannick Kergoat, 2012)
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Les Nouveaux chiens de garde (Gilles Balbastre et Yannick Kergoat, 2012)
A sa sortie, le documentaire, librement adapté du livre éponyme de Serge Halimi sorti en 1997 et réactualisé en 2005 a été critiqué pour ses prises de position tranchées, s'en prenant aussi bien à la droite qu'à la "gauche caviar". Mais en le revoyant, je suis frappée surtout par sa pertinence, sa clairvoyance. Car ce qu'il décrit va au-delà d'une critique de la collusion entre hommes politiques, capitaines d'industries et journalistes aux ordres. Il décrit une lutte des classes de moins en moins larvée entre une élite qui sous le masque d'une apparente diversification des médias contrôle en réalité tous les rouages de l'information par le jeu de la concentration d'entreprises et de l'uniformité sociale (le film met en évidence l'interchangeabilité de ces hommes et de ces femmes issus du même milieu social et passé par le moule des mêmes grandes écoles ou universités prestigieuses) et une masse dangereuse qu'elle cherche à manipuler pour la dépouiller de ses acquis sociaux. Avec pour enjeu la "réforme" de la société française, la rhétorique progressiste étant devenue dans leur bouche une novlangue dissimulant un projet en réalité réactionnaire. En effet ce que cette élite a en ligne de mire, c'est l'Etat-providence de l'après-guerre mis en place par une Résistance dans laquelle les communistes exerçaient une forte influence. C'est cet héritage (services publics, sécurité sociale, régimes spéciaux) qu'il s'agit de liquider à coup de "réformes" néo-libérales présentées comme les seuls remèdes raisonnables face au chômage et au déficit. Et face à la résistance des classes moyennes et populaires, on brandit les supposées "rigidités" de la société française avec pour cible les fonctionnaires, accusés de s'accrocher à leurs "privilèges" et les syndicats ouvriers et jeunes des "quartiers" présentés comme de nouveaux barbares ne sachant exprimer leur colère que par la violence.
Mais ce constat salutaire permettant de mettre sur le devant de la scène des voix quasi absentes des médias (et pour cause) n'est pas pour autant un pensum rébarbatif. Au contraire, les réalisateurs ont opté pour un ton résolument satirico-ludique avec des incrustations et des effets de montage, de mise en abîme et de bande sonore hilarants. C'est ainsi que l'on suit avec autant d'amusement que d'effarement le parcours de Michel Field, ex-rebelle rentré dans le rang, celui du vieux briscard Alain Duhamel mangeant à tous les râteliers, les renvois d'ascenseurs entre le triumvirat Lagardère-Elkabbach-Drucker ou Isabelle Giordano et l'entreprise pour laquelle elle offre des prestations rémunérées, la réaction moqueuse de Anne Sinclair et de Christine Ockrent, femmes de ministres niant la continuité de la main-mise du pouvoir sur les médias depuis la fin de l'ORTF ou bien au contraire assumant à l'image de Franz-Olivier Giesbert qu'il est bien normal que "le pouvoir (du capital) s'exerce (sur les médias)". On se régale également devant l'obséquiosité du "journalisme de compagnie" devant les puissants au travers de l'exemple de Laurent Joffrin et de Jacques Chirac ou des révélations concernant les "experts", ces économistes, chercheurs, universitaires présentés comme des spécialistes objectifs alors qu'ils sont des émissaires des milieux économiques chargé de répandre la doxa libérale (les experts d'un autre avis sont quant à eux écartés des médias ce que le documentaire montre également). Et tout ce beau monde de se retrouver une fois par mois au dîner du Siècle à l'hôtel Crillon, place de la Concorde pour accorder leurs violons (et défendre leurs intérêts de classe) dans l'omerta la plus complète. A l'aune de ce documentaire de 2011, on comprend mieux pourquoi le débat démocratique est singé par de faux "contradicteurs" (Ferry/Julliard par exemple) en réalité copains comme cochons, pourquoi un Fillon ou un Delevoye cherchent à comprendre qui "les ont balancé" plutôt que de faire amende honorable devant les français ou bien pourquoi un Yves Calvi a autant de haine vis à vis des gilets jaunes, les enjoignant à se calmer avec le même ton condescendant (qui sent son mépris de classe) qu'en son temps David Pujadas à l'égard de Xavier Mathieu, le porte-parole syndical de Continental. Un ton mordant qui tranche avec celui, velouté et précautionneux employé avec les patrons. L'image du chien remuant la queue devant le su-sucre du maître et montrant les dents devant l'intrus s'impose tout naturellement.