Foutaises (Jean-Pierre Jeunet, 1989)
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Foutaises (Jean-Pierre Jeunet, 1989)
"Foutaises" qui signifie "chose insignifiante, sans intérêt" est un petit concentré de sept minutes de tout ce qui fait la magie du cinéma de Jean-Pierre JEUNET. Son générique est le parfait prototype de celui de "Delicatessen" (1990) (bien que la première phrase soit "j'aime pas les étalages de boucherie" on retrouve des acteurs tels que Marie-Laure DOUGNAC et Chick ORTEGA) et son contenu ressemble beaucoup au début de "Le Fabuleux destin d Amélie Poulain" (2001) puisqu'il est construit sur le principe d'une liste binaire en forme de "j'aime" et "j'aime pas" renvoyant à Georges Pérec. Dit comme cela, ça paraît simpliste mais en fait, pas du tout car ce langage renvoie à celui de l'enfance et l'inventaire nostalgique qui suit fait penser à la petite boîte-madeleine de Dominique Bretodeau, ce quinquagénaire qui par le biais des traces matérielles de son passé, renouait avec son enfance, les émotions qui allaient avec et pouvait enfin communiquer avec son petit-fils. Là c'est "la muse" de Jean-Pierre JEUNET qui s'exprime face caméra, Dominique PINON (j'ai lu ce terme dans un article et j'ai trouvé le détournement de ce terme tellement amusant que je le place ici), avec son éternel faciès d'enfant-clown qui se remémore depuis le décor neutre de sa chambre ce qu'il aime (ou n'aime pas) aujourd'hui mais surtout ce qu'il aimait (ou n'aimait pas) hier. Et c'est là qu'intervient le plus l'aspect proustien du cinéma de Jean-Pierre JEUNET. Car comme Amélie Poulain, le héros de "Foutaises" se connecte au monde par les sensations et se remémore le passé par elles, le petit beurre ayant remplacé la madeleine à l'heure du goûter "Quand j’étais gosse, j’aimais l’odeur du pain grillé, le matin, le plastique à recouvrir les livres, à la rentrée, et puis les petits pots de colle blanche, à l’école. J’aimais prendre les escalators dans le mauvais sens, dérouler la toile cirée, et fouler la neige immaculée. Mais j’aimais pas, et j’aime toujours pas, les cadavres des sapins de Noël sur les trottoirs en janvier." Les images qui accompagnent les propos de Dominique PINON accentuent cette nostalgie par leur effet rétro, aspect présent dans tout le cinéma du réalisateur. Dans "Foutaises" on est plongé dans les années trente et soixante (époque de l'enfance du réalisateur) au travers de l'évocation des départs en vacances en train qui sentent fort les premiers congés payés et aussi via des images abîmées de vieux films français tels que "Le Quai des brumes" (1938), d'anciens acteurs tels que Richard WIDMARK ou de vieilles séries comme "Thierry la Fronde" (1963) ou encore d'images de BD franco-belges.
Et c'est là que "Foutaises" prend tout son sens. Car en fait c'est une antiphrase. Jean-Pierre JEUNET laisse entendre à travers son catalogue poétique que ce qui fonde notre identité se trouve dans l'enfance et que celle-ci construit son rapport au monde par les sensations, ces fameux "tout petits plaisirs" qui semblent insignifiants alors qu'ils sont la clé du bonheur qu'on peut emporter partout avec soi à l'image du sable de la plage que l'on retrouve des mois après à l'intérieur des pages du livre lu à ce moment-là. Le fait d'en conserver la mémoire fait de nous des êtres humains à part entière alors que ceux qui l'ont oublié sont coupés d'eux-mêmes et des autres.