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Le Bonheur (Agnès Varda, 1965)

Le Bonheur (Agnès Varda, 1965)

Veröffentlicht am 23, Jan., 2020 Aktualisiert am 23, Jan., 2020 Kultur
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Le Bonheur (Agnès Varda, 1965)

Entre deux films de Jacques DEMY, "Vouloir le bonheur, c'est déjà un peu le bonheur" ("Lola")(1960) et "Il faut croire à la vie, il faut croire au bonheur" ("Parking")(1984), Agnès VARDA propose pour son troisième long-métrage sa propre réflexion sur le bonheur. Où son contraire n'est pas très loin. Agnès VARDA décrit en effet son film comme une belle pêche rongée par un ver. Et c'est exactement l'impression que procure un film filant la métaphore du jardin d'Éden et du fruit défendu, un film qui suscite émerveillement et malaise profond. 

Émerveillement tout d'abord car "Le Bonheur" est avant tout un magnifique objet d'art destiné à combler nos sens. Agnès VARDA conçoit déjà son film en plasticienne en le plaçant à la fois sous le signe des impressionnistes et des "Les Parapluies de Cherbourg" (1964) de Jacques DEMY. Le travail sur les couleurs primaires et complémentaires y est primordial avec ces fondus au rouge, bleu, jaune, ces murs violets et vert pomme anti-naturalistes et ces scènes-tableaux champêtres évoquant tour à tour Monet, Manet, Renoir et Van Gogh (pour la présence récurrente du tournesol). La musique n'est pas en reste avec une utilisation expressive d'airs de Mozart. 

Mais cette fête des sens, cette célébration de la vie débouche sur la mort. Les contraires se touchent chez Agnès VARDA. Et une citation pourrait bien donner la clé du film. Il s'agit d'un extrait du "Le Déjeuner sur l'herbe" (1959) de Jean RENOIR, mise en abyme évidente dans lequel Paul MEURISSE dit que le bonheur c'est la soumission à l'ordre naturel. Or quand on voit la petite famille de Jean-Claude DROUOT (devant et derrière la caméra, Agnès VARDA manifestant ainsi son goût pour la confusion des genres et des niveaux de réalité) s'approcher en se tenant la main, elle nous fait penser aujourd'hui au logo de "La famille pour tous" défendant justement cet "ordre naturel" qui est en réalité une construction sociale: papa, maman et leurs deux chères têtes blondes partent pique-niquer un dimanche à la campagne comme on peut l'observer aujourd'hui avec ces familles aux membres indistincts qui font du vélo dans les bois à la périphérie des villes. Mais ce tableau édénique est subtilement perverti par la discrète dévotion au père-roi. C'est en effet en l'honneur de sa fête que la petite famille est partie s'aérer et pendant que monsieur dort, madame (Claire DROUOT) s'occupe de tous les détails matériels. Il n'y a donc pas la moindre parité dans ce couple et la suite va le confirmer lorsque la tyrannie du désir masculin s'épanouit. Tout en douceur et avec un "sourire qui tue", monsieur annonce à madame qu'il a une maîtresse mais que c'est juste du bonheur en plus dont ils profiteront. La preuve, il lui fait aussitôt l'amour avec plus de fougue que jamais puisque grâce à la polygamie, il est au summum de sa puissance virile. Madame est assommée par la nouvelle mais n'a pas voix au chapitre puisque son mari a défini ce qu'elle devait ressentir. Il ne la voit en effet que comme un prolongement "tout naturel" de lui-même et non comme une personne autonome. Il peut d'ailleurs s'imaginer qu'elle n'a pas fait exprès de tomber dans la rivière (ce qui est peut-être vrai d'ailleurs tant cette femme est aliénée). C'est également tout naturellement que sa maîtresse (Marie-France BOYER) prend la place de sa femme une fois celle-ci disparue, démontrant ainsi que les femmes réduites à un rôle n'ont pas d'identité propre: elles sont interchangeables. Et voilà comment on peut dépeindre l'horreur de la dépersonnalisation sous un soleil éclatant, avec la plus suave félicité apparente et les meilleures intentions du monde. Terrifiant.

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