Trop belle pour toi (Bertrand Blier, 1989)
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Trop belle pour toi (Bertrand Blier, 1989)
Bernard (Gérard DEPARDIEU) a "tout pour être heureux" selon l'expression consacrée: une grande maison qui ressemble aux salles de réception d'un hôtel 5 étoiles, une épouse magnifique (Carole BOUQUET), de beaux enfants, un groupe d'amis, un bon travail. Mais tout cela est si parfait que cela en devient irréel. D'ailleurs Bernard semble presque déplacé dans un tel univers dans lequel il ne fait juste que passer, comme s'il était un simple visiteur. Bientôt, il s'éprend de Colette (Josiane BALASKO) une secrétaire intérimaire au physique quelconque et d'un milieu social beaucoup plus modeste. Mais le rêve d'exotisme de Bernard tourne court dès qu'il s'englue dans la routine de Colette. Au lieu de la rondeur de ses formes et de la blancheur des draps, c'est le bruit infernal du train qui passe sous les fenêtres, la grisaille, le jardin en friches, son peignoir usé et son vélo peu glamour qu'il voit. Des "tue-l'amour" pour cet amateur de Schubert qui ne sait plus très bien où il vit ni ce qu'il veut. Au risque de s'y perdre et de tout perdre.
Avec son style si reconnaissable fait de narration non linéaire, d'adresse directe aux spectateurs, de langage sans filtre (social), d'un mélange de provocations triviales et d'envolées lyriques passionnées flirtant avec la grâce, Bertrand BLIER réinvente le triangle amoureux et le romantisme en cassant les codes habituels, donnant à Carole BOUQUET et à Josiane BALASKO de beaux rôles à contre-emploi. La gravure de mode qui fait rêver tous les mecs devient une épouse trompée par un homme qui reporte son désir sur un fantasme ancillaire*, lui-même évanoui dès qu'il se concrétise véritablement. Cela souligne assez bien le vide qui se cache derrière les images ainsi que la nature éphémère du désir qui repose sur le manque et qui est souvent dramatiquement confondu avec l'amour. En effet dès que celui-ci est comblé, il se porte automatiquement sur un autre objet, démontrant par là même qu'il chosifie ses cibles. Florence est considérée comme un beau bibelot dans un superbe écrin et au bout d'un moment la médiocrité de la vie de Colette la renvoie elle aussi aux objets dont elle s'entoure (bon marchés, usés). On pourrait dire que Bernard se comporte comme un drogué de la passion amoureuse qui cherche désespérément à combler un vide intérieur. Il carbure à la musique, mélancolique et mortifère de Schubert devant cette illusion qui lorsqu'elle se dissipe ne lui laisse le choix qu'entre un objet précieux et un objet de consommation ordinaire. Le cri de la fin est-il le signe d'une prise de conscience de cette impasse existentielle?
* "Le Bruit des glaçons" (2010) reprend un schéma de ce type sauf que les amants sont sur un pied d'égalité face à la mort qui les suit partout.