

Chapitre 76
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Chapitre 76
Paule
Le réveil n’a pas sonné. Il n’en avait pas besoin. Il était là uniquement pour donner une illusion de structure, une marque posée sur un matin trop dense, trop plein. Ce n’est pas un son qui a rompu le silence de la chambre, mais l’absence d’un souffle. Celle de Samuel.
Je me suis éveillée sans comprendre d’abord, flottant entre les brumes de la nuit et le poids indistinct de ce jour qui s’annonçait. J’ai tendu la main. Le drap était encore tiède. Mais il n’était plus là.
Alors j’ai ouvert les yeux.
Il était debout, nu, face à la fenêtre entrouverte, les bras croisés contre lui-même, comme s’il tentait de se maintenir en place. Les lumières de la ville dessinaient des ombres mouvantes sur sa peau. Ses épaules étaient tendues. Son dos droit. Il ne tremblait pas. Et pourtant, je sentais le vacillement dans tout son être. C’était un matin d’armure. Un matin de combat.
Je suis restée là quelques secondes, sans parler. J’ai glissé les draps sur moi, repoussée par ce silence trop chargé pour être brisé. Puis je me suis levée, lentement. Pieds nus sur le parquet frais. Un pas, puis un autre, jusqu’à lui.
Je n’ai pas demandé s’il avait dormi. Je savais que non.
J’ai posé mes bras autour de sa taille, ma joue contre ses omoplates. Il a fermé les yeux, juste un instant. Un seul. Mais je l’ai senti. Ce soupir invisible, ce battement infime.
— Tu es prêt ? ai-je murmuré contre sa peau.
Il n’a pas répondu. Il a seulement incliné la tête. Un hochement presque imperceptible. Il n’avait pas besoin de mots. Son corps entier était une réponse.
Dans la cuisine, la lumière du matin tombait en biais sur la table encore vide. Samuel préparait un café qu’il ne boirait pas. Ses gestes étaient calmes, méthodiques, mais je voyais dans chacun d’eux la tension contenue, l’énergie canalisée comme un fil tendu prêt à rompre.
Sa veste de concours était suspendue à la poignée de la porte. Blanche, immaculée, rigide. Un uniforme de guerre.
Je me suis approchée. J’ai posé ma main sur sa nuque. Elle brûlait.
— Samuel…
Il n’a pas bougé.
Alors je l’ai contourné. Je me suis mise face à lui. Et là, j’ai vu. Ce qu’il cachait derrière cette façade de calme. Ce qu’il essayait de retenir, de contrôler. Son regard n’était pas perdu. Il était immense. Trop grand pour cet espace restreint, trop vaste pour ce matin trop ordinaire.
— Tu n’as plus rien à prouver, ai-je dit doucement. Tu n’es pas là pour leur plaire. Tu es là pour te dire, pour t’écrire.
Il a fermé les yeux. Un bref instant. Puis les a rouverts. Et dans ce regard-là, j’ai lu quelque chose que je n’avais jamais vu avec autant de netteté : un mélange de gratitude, de peur, et d’une tendresse brute, presque animale.
Le centre des congrès bourdonnait déjà. La foule. Les équipes. Les caméras. Les murmures excités. Les concurrents ajustaient leurs vestes, certains souriaient, d’autres transpiraient déjà. La tension était partout, dans chaque pas, chaque regard échangé.
Samuel ne parlait pas. Il avançait comme un funambule sur un fil invisible. Chaque geste était mesuré. Chaque silence, habité.
Quand il est entré dans la zone de préparation, quelque chose s’est figé en moi. Il appartenait déjà à cet espace. À cette scène. À ce moment. Plus rien ne lui appartenait, pas même moi. Il était seul. Seul face à ce qu’il avait construit depuis des mois. Depuis des années.
Il a enfilé sa veste.
Et j’ai senti, dans le public, un frisson passer. Même ceux qui ne le connaissaient pas savaient. Ils sentaient que quelque chose allait se jouer ici. Quelque chose de plus grand que la compétition.
Le concours a commencé.
Dès les premiers gestes, j’ai su. Il ne s’agissait pas de pâtisserie. Il s’agissait de lui. Il livrait une part de lui-même dans chaque mouvement, dans chaque coupe, chaque mesure, chaque détail. Il sculptait du sucre comme on sculpte un passé. Il montait sa pièce comme on bâtit un rêve. Il dressait la composition avec la minutie d’un homme qui cherche à raconter une histoire sans prononcer un mot.
Et cette histoire, je la connaissais. C’était la nôtre. Notre lumière. Nos silences. Notre combat.
Il a enchaîné les étapes avec une précision chirurgicale. Mais jamais froide. Chaque geste était vibrant. Organique. Il ne cuisinait pas. Il transmettait. Il incarnait. Il offrait.
Autour de lui, certains accéléraient. D’autres ralentissaient, cherchant leur souffle. Lui ne bougeait pas dans le tempo. Il était ce tempo. L’œil fixé sur son objectif, le corps parfaitement aligné à l’intention. Il était magnifique. Terriblement vivant.
Et moi, dans la foule, je ne respirais plus.
L’annonce a été longue à venir. Les délibérations traînaient. Le public frémissait. Les rumeurs enflaient. On murmurait son nom, mais aussi ses défauts supposés. Trop distant. Trop froid. Trop parfait. Mais moi, je savais ce qu’il y avait sous cette perfection : le feu, le chaos maîtrisé, la douleur transformée.
Quand le jury est monté sur scène, l’air est devenu irrespirable.
Et puis :
— Médaille d’or : Samuel Williams, pour sa pièce “Équilibre”.
Le monde s’est arrêté. Et a repris. En cris. En applaudissements. En larmes.
Je n’ai pas pu m’empêcher de pleurer. J’ai vu son regard me chercher. Et j’ai su que ce n’était pas le trophée qu’il attendait. C’était ce regard-là. Le mien. Il voulait savoir si j’étais fière. Et je l’étais. Plus que je ne l’aurais cru possible.
Il est monté sur scène. Il a levé sa médaille.
Et c’est là que le monde a basculé.
— Williams.
Un seul mot. Jeté comme un couteau.
Samuel s’est figé.
Son corps entier s’est tendu, comme s’il venait de heurter un mur invisible. Il a levé la tête. Ses yeux ont balayé la foule, soudain fébriles, inquiets, presque affolés. Je ne voyais rien, moi. Je n’avais entendu qu’un mot, lancé dans le vacarme — Williams. Une voix. Tranchante. Dérangeante.
Son bras est retombé. Lentement.
Mais lui… lui s’était déjà éloigné de la lumière.
La foule continuait d’applaudir. Je le regardais, et je ne voyais plus que ça : ses épaules crispées, sa mâchoire tendue, ses lèvres entrouvertes comme s’il avait oublié comment respirer. Et puis, soudain, il s’est tourné vers moi.
Ses yeux ont accroché les miens.
Un regard. Brut. Nu.
Un regard qui disait tout. La peur. L’urgence. La question silencieuse : Tu es là ? Tu tiens ?
Et puis…
Une détonation.
Brutale. Implacable.
Le silence. Le vrai. Celui qui ne laisse plus rien passer à part laisser la place au noir.

