

Chapitre 6
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Chapitre 6
Je pensais que le silence du soir calmerait enfin le tumulte. Que les néons éteints, les fours refroidis et les bruits de la brigade évanouis me libéreraient de ce poids. Mais je me trompais. Dès que je ferme les yeux, il revient. Samuel. Avec cette même intensité, ce regard qui me suit même en pensée, comme une empreinte brûlante laissée au creux de ma mémoire. Ce regard-là, ce n’est pas une simple attention. C’est une question constante, un défi sans fin. Il veut voir jusqu’où je peux aller, ce que je suis prête à risquer, ce que je suis capable d’endurer pour exister à ses yeux — ou à ceux du métier.
Il me hante. Pas comme un souvenir qu’on voudrait oublier. Plutôt comme une obsession qui colle à la peau, et qu’on gratte jusqu’à l’os. Il est là, dans mes gestes, dans ma respiration, dans le moindre battement de mon cœur quand je passe la porte du laboratoire. Je ne dors plus vraiment. Je pense, je repense, et je le sens… partout.
Chaque jour, il me pousse. Chaque regard, chaque remarque — parfois sèche, parfois à peine murmurée — me met face à mes limites. Et pourtant, au lieu de fuir, je m’y jette. Je veux comprendre pourquoi. Pourquoi moi. Pourquoi lui.
Je déteste cette sensation d’être mise à nu, chaque faille inspectée comme s’il cherchait la fracture parfaite par laquelle tout faire s’écrouler. Mais je déteste encore plus l’idée de ne pas être à la hauteur de son exigence.
Il m’oblige à me regarder en face. À voir cette part de moi que j’ai toujours cachée : l’ambition féroce, la peur de ne pas suffire, le besoin de prouver que je suis capable de tenir dans ce monde de feu. Et parfois, quand je réussis à le suivre, à ne pas fléchir, à lui tenir tête, alors je ressens une puissance étrange. Comme si j’avais, pour un instant, dominé le monstre.
Mais est-ce vraiment lui, le monstre ?
Ou est-ce moi, quand je me laisse transformer par cette tension ?
Je ne sais plus.
Je remonte au laboratoire, tard. Trop tard. Les lieux sont vides, plongés dans une semi-pénombre. L’air porte encore l’odeur du caramel cuit, de la vanille, et cette chaleur résiduelle qui flotte comme un souvenir. J’avance doucement, comme si mes pas eux-mêmes craignaient de troubler ce calme artificiel.
Et il est là.
Debout. Immobile. Appuyé contre l’étagère de métal, bras croisés, regard posé sur moi avant même que je ne sois entrée. Comme s’il m’attendait. Comme s’il savait que je viendrais.
— Vous saviez que je viendrais, dis-je en m’arrêtant net, la voix plus posée que je ne l’aurais cru.
Il ne répond pas tout de suite. Il se redresse lentement, détache ses bras, et s’avance dans la lumière diffuse.
— Je te connais. Tu n’aimes pas laisser les choses en suspens. Et tu veux comprendre.
Je reste droite. Chaque mot me traverse, me bouscule, me désarçonne.
— Pourquoi vous faites ça ? Pourquoi est-ce que vous me poussez toujours à bout ? Est-ce un jeu ? Un test ? Un besoin de contrôle ?
Ma voix est calme, mais mon ventre, lui, est noué. J’ai préparé ces questions toute la journée. Elles brûlent sur ma langue depuis des heures.
Il me regarde sans fuir, sans ciller. Puis il répond, lentement :
— Parce que tu peux mieux faire. Et parce que tu mérites mieux que ce que tu crois pouvoir donner. Mais pour ça, il faut aller là où ça fait mal.
— Ce n’est pas votre rôle de me briser, répliqué-je aussitôt. Je ne suis pas une pâte à malaxer jusqu’à ce qu’elle cède.
Un rictus presque triste passe sur son visage.
— Je ne cherche pas à te briser. Je cherche à voir si tu es capable de rester debout quand tout en toi veut tomber. Ce métier… il ne fait pas de cadeau. Tu ne l’apprendras pas dans un livre. Tu l’apprends avec les nerfs. Avec le feu.
Je détourne un instant les yeux. Mon cœur cogne dans ma poitrine.
— Vous appelez ça de la passion, mais parfois, ça ressemble à de la cruauté.
Il s’approche encore. Il est proche maintenant, trop proche. Je sens son odeur : le sucre chaud, la fatigue, quelque chose de presque animal.
— Tu te trompes, murmure-t-il. La passion, la vraie, elle ne caresse pas. Elle brûle. Elle consume. Elle fait mal. Mais elle laisse une trace inaltérable. C’est comme ça que tu sauras si tu vis pour ce que tu fais… ou si tu fais juste semblant.
Un silence. Et puis je lève les yeux vers lui, cette fois sans ciller.
— Et vous ? Vous vivez pour ce que vous faites… ou vous vous cachez derrière ? Est-ce que vous brûlez aussi ? Ou est-ce que vous êtes simplement… le feu ?
Il me fixe. Il ne recule pas. Ne sourit pas.
— Je suis ce feu qui brûle tout ce qui s’approche. Mais je peux aussi réchauffer… ceux qui savent s’y approcher sans fuir.
Il me laisse là, sur cette phrase suspendue, comme un fil tendu entre deux abîmes.
Je ne bouge pas. J’ai envie de hurler. De pleurer. De rire. Tout à la fois.
Parce que je comprends enfin. Ce n’est pas une déclaration. Ce n’est pas une main tendue. C’est un défi. Un aveu. Un avertissement.
Et moi… je suis au bord.

