

Chapitre 21
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Chapitre 21
Je ne dors pas.
Depuis qu’il est parti, je reste éveillée avec son « Tu me rends fou » coincé dans la gorge comme une écharde. Ça tourne en boucle, pas comme une blessure, non. Comme une vérité qui me dérange parce qu’elle arrive trop tard.
Le lendemain, je suis la première au labo. Je travaille sans parler, sans même croiser son regard. Il arrive en retard. Une chose rare. Et sans dire un mot. Encore plus rare.
Il fait comme si rien ne s’était passé. Mais tout a basculé.
La brigade le sent. L’atmosphère est lourde, irrespirable. Même Addison, pourtant habituellement détachée, garde les yeux baissés. Michael, lui, me lance un regard inquiet. Il sait. Ils savent tous. Quelque chose s’est brisé, mais ils n’osent pas regarder les morceaux.
Samuel donne ses ordres, mécaniquement. Sa voix est posée, trop posée. Une façade. Une armure. Mais ses gestes sont trop brusques. Il cogne plus qu’il ne dirige. Il veut se remettre dans son rôle. Le chef, le prédateur, l’intouchable. C’est son territoire. Son pouvoir. Et moi, j’en suis sortie.
Mais ce qui le détruit, ce n’est pas que je sois partie. C’est que je ne veuille pas revenir.
À la pause, il me suit dans la réserve. Il referme la porte. Son corps remplit l’espace comme une menace.
— Tu crois que ça peut se passer comme ça ? Tu fais ta vie de ton côté et moi la mienne ? On fait semblant ? On s’évite comme deux collégiens ?
Je ne le regarde pas. Je continue à ranger des boîtes. Lentement. Détachée.
— Ce n’est pas une question de croire. C’est ce que je fais.
— Tu me provoques ?
— Non. Je te rends ta liberté.
Il rit. Froidement. Un rictus sans humour.
— Tu ne m’as jamais eu en cage, Paule. T’as juste cru pouvoir m’apprivoiser.
Je me retourne, enfin. Je le fixe. Directement. Et il recule d’un pas, à peine. Mais je le vois. Je le sens. Il perd pied.
— Non, Samuel. Ce que j’ai cru, c’est que derrière ta brutalité, il y avait quelqu’un. Quelqu’un de vivant, de vrai. J’ai eu tort.
Un silence. Long. Il me jauge, comme s’il cherchait à savoir si je bluffe.
Puis il s’approche. Trop près. Sa voix tombe, grave, basse, presque un murmure menaçant.
— Tu veux que je t’embrasse ou que je t’étrangle ?
Je ne bouge pas.
— C’est ça le problème, Samuel. T’as jamais su faire la différence.
Il claque la boîte contre l’étagère. Un bruit sec, violent. Puis il recule. Il fulmine. Ses mains tremblent. Il veut me secouer, me faire plier. Mais je tiens debout. Cette fois, je ne suis plus la proie.
— Tu me rends fou, répète-t-il. Encore plus féroce. Tu m’as retourné. T’as tout déréglé. Et maintenant tu crois que tu peux juste t’éloigner ?
Je le fixe, calmement.
— Je ne crois rien. Je le fais.
Il me regarde encore. Il lutte avec lui-même. Avec sa rage. Avec moi. Et finalement, il tourne les talons et sort, en refermant la porte comme on ferme un livre qu’on n’arrive plus à lire.
Je reste seule, dans cette petite pièce étroite, le cœur battant. Ce n’est pas une victoire. C’est un vide.
Mais un vide que j’ai choisi.
Je retourne dans le labo une vingtaine de minutes après lui. Mon visage est fermé. J’ai encore les mots de Samuel dans la peau. Le feu qu’il traîne derrière lui comme un incendie mal maîtrisé.
Mais à ma grande surprise, l’ambiance a changé.
Addison est au téléphone, concentrée, tendue. Michael regarde l’écran de son poste avec des yeux ronds. Samuel, lui, s’est figé devant la table de dressage, bras croisés, mâchoire crispée.
Je n’ai pas besoin qu’on me fasse un résumé. L’écran affiche un logo bien connu : La Toque d’Or, concours culinaire national, réputé, impitoyable. C’est un tremplin. Un miroir. Un piège.
Addison raccroche.
— C’est confirmé, dit-elle. Ils veulent une délégation de notre labo pour représenter la région. Une équipe de deux. Présentation d’une création sucrée en duo.
Michael se tourne vers moi.
— Ça pourrait être vous deux, souffle-t-il.
Samuel ne dit rien. Mais je sens déjà son esprit en marche. Il calcule. Il projette. Et je comprends, d’un seul coup, ce qui va suivre.
— Paule, dit-il. Tu travailles sur des associations aromatiques originales depuis des semaines. J’ai vu ce que tu testais la semaine dernière avec les agrumes fermentés et la fève tonka. Je veux ça. Avec moi.
Je le fixe. L’audace de sa demande me glace. Travailler avec lui, alors qu’il a lui-même mis fin à tout en décrétant que notre relation devait rester professionnelle ? Alors qu’il ne fait que ravager ce qu’il touche dès qu’on s’approche trop près ?
— Je veux gagner. Et je ne vois personne d’autre ici capable de se hisser à la hauteur de ce que j’ai en tête.
C’est peut-être un compliment. Mais c’est dit comme une assignation. Un constat glacial. Son regard est froid. Mais dans ses yeux, une faille. Une urgence. Une brûlure.
Je devrais refuser. Lui tourner le dos. Mais une autre voix en moi répond. Celle qui a besoin de prouver. De créer. Celle qu’il a réveillée malgré lui.
Il fait un pas vers moi, me frôle discrètement le bras.
— Viens. Pas ici.
Il m’entraîne quelques pas à l’écart, dans l’angle discret entre la chambre froide et la zone de découpe, là où les voix se perdent dans le souffle des extracteurs. Personne ne peut nous entendre.
— Très bien, je dis. Mais on fixe les règles.
Il arque un sourcil.
— Des règles ?
— On se voit uniquement pour travailler. Les séances se font dans le labo ou dans un espace neutre. On ne revient pas sur ce qui s’est passé. Pas d’ambiguïtés. Pas de fausses pistes.
Il me regarde. Il hésite. Puis hoche la tête.
— Marché conclu.
Et à cet instant précis, je me rends compte que je viens de dire oui à la chose la plus dangereuse qui soit : un projet commun avec un homme qui m’a quittée… et que je désire encore.

