

Chapitre 55
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Chapitre 55
Le service du soir touche à sa fin. Dans le laboratoire, l’atmosphère est dense, marquée par l’intensité de la journée. La chaleur accumulée reste suspendue entre les murs carrelés, et les voix, peu à peu, se taisent. Chacun vaque aux dernières tâches avec une concentration feutrée. Les gestes sont précis, les regards sérieux. Mais sous la rigueur, il y a autre chose. Une harmonie fragile, comme un fil tendu entre nous tous. Ce n’est pas le calme après la tempête. C’est autre chose. Une manière plus douce de tenir ensemble.
Et dès l’après-midi, je le sens. Quelque chose flotte dans l’air, sans que je sache le nommer. Des regards. Des sourires discrets. Une chaleur dans les gestes. Comme si une vérité me frôlait sans se dire. Comme si chacun savait quelque chose que je ne sais pas encore. Je me surprends à croiser les yeux de Camille, de Sophie, de Michael. Et à chaque fois, un petit hochement de tête, un pli doux au coin des lèvres. Steve aussi m’adresse un regard presque bienveillant, sans la distance habituelle. Je ne comprends pas.
Pas encore.
Samuel nous rassemble ensuite dans le coin vitré du laboratoire. Ce n’est pas un lieu officiel, mais c’est ici qu’il préfère parler vrai. Il est debout, les bras croisés, le torchon toujours à l’épaule. Camille s’approche, concentrée. Steve reste un peu en retrait. Michael et Sophie s’installent sur les tabourets. Moi, je me tiens près du marbre, les bras légèrement posés, le cœur plus rapide qu’il ne devrait.
— Je ne vais pas vous refaire l’historique, commence Samuel. Ce qu’on a traversé, vous l’avez tous vécu. Chacun à votre manière. Et je ne veux pas qu’on fasse comme si de rien n’était. Pas ici.
Sa voix est basse. Calme. Mais chaque mot pèse. Il parle avec cette intensité tranquille qui ne laisse aucune place à l’esquive.
— On a eu des coups durs. De l’usure. De la méfiance. Et pourtant, vous êtes restés. Vous avez bossé. Mieux que jamais. Et ça, je le vois. Et je compte dessus.
Il marque une pause, ses yeux posés sur chacun de nous.
— À partir d’aujourd’hui, on avance ensemble. Plus de mascarade. Plus de demi-vérités. Vous avez un problème, vous venez me voir. Une idée ? Vous la proposez. Un doute ? Vous le dites. Ce laboratoire n’est pas une pyramide. C’est un cercle.
Un silence s’installe. Pas tendu. Réceptif. Camille hoche la tête. Sophie aussi. Même Steve souffle un « compris » presque respectueux. Mais les regards vers moi, eux, persistent. Plus présents. Presque affectueux. Quelque chose se trame. Je le sens. Mais personne ne dit rien.
Pas encore.
La brigade finit par se disperser, un à un. Il ne reste plus que lui et moi. Le laboratoire vidé, silencieux. Le soir a basculé doucement dans la nuit. Je nettoie un moule à entremets quand je le sens approcher. Il ne parle pas tout de suite. Je sens juste sa présence, familière, ancrée. Et puis il dit, dans un souffle presque contenu :
— Tu es sous-cheffe à partir de lundi.
Je relève les yeux, brusquement. Il m’observe sans détour. Calme. Sûr de lui.
— Je l’ai appris juste après le service du midi. Mais je voulais attendre qu’on soit seuls. Que ce soit toi et moi.
Je reste figée. Une seconde. Deux. Mon souffle suspendu. Mon cœur cogne. Et soudain, tout prend sens. Les regards, les sourires, cette bienveillance silencieuse. Ils savaient. Ils savaient tous.
La joie me prend de court. Elle monte d’un coup, vive, brûlante. Elle me soulève de l’intérieur. J’ai envie de rire, de pleurer, de m’élancer quelque part. Mais je reste là. Clouée par l’intensité de ce moment.
— C’est vrai ? murmuré-je, presque incapable d’y croire.
— C’est mérité, dit-il. Et c’est le moment.
Je ne trouve rien à répondre. Alors je tends la main. Je prends la sienne. Je la serre.
Et je sais, sans le moindre doute, que quelque chose se scelle entre nous.
— Cette place… elle te va. Tu y es légitime.
Je baisse les yeux. Je sens cette chaleur sourde remonter dans ma gorge.
— Je la tiens parce que tu m’as fait confiance.
— Non, Paule. Tu la tiens parce que tu la mérites. Et j’espère que tu ne l’oublieras pas… quand tu prendras toute la place qu’elle demande.
Son regard ne me quitte pas. Il est calme. Fier. Mais pudique, aussi. Comme s’il déposait quelque chose de précieux devant moi, sans attendre de réponse.
La nuit est tombée depuis longtemps quand nous quittons le laboratoire. Une nuit moite, enveloppante, qui rend la ville presque silencieuse. Nous marchons sans parler, côte à côte, nos pas en rythme, nos corps fatigués, mais apaisés. L’air est tiède. Je sens sur ma peau l’odeur du sucre, de la vanille, des heures passées à produire. Et je sens, dans le creux de mon ventre, cette vibration joyeuse qui ne veut pas s’éteindre.
Samuel ne parle pas. Mais il est là, pleinement. Il ouvre la porte. Il ne dit pas « entre ». Il me laisse passer. Il referme doucement derrière moi. Ce soir, il ne précède pas. Il accompagne.
La lumière de la chambre est allumée, comme il me l’avait dit. Une lumière chaude, douce. Il ne fait aucun geste démonstratif. Il se dirige simplement vers la cuisine, sort deux verres, verse de l’eau. Il me tend le mien. Ses yeux croisent les miens.
— Tu veux prendre une douche ? dit-il.
Je hoche la tête. Il sait. Il sait que ce soir, je veux juste que rien ne bouge trop vite.
Je file dans la salle de bain. Quand je reviens, mes cheveux encore humides, il est là. Installé sur le canapé. Il a enfilé ce t-shirt que j’aime, un peu large, usé juste ce qu’il faut. Il me regarde, puis me tend une couverture.
Je m’installe contre lui. Ma tête sur son épaule. Sa main vient se poser sur ma cuisse, simplement. Et nous restons ainsi. Longtemps.
Il lit un moment. Je l’écoute respirer. Son souffle profond. Rassurant.
Puis il pose le livre.
— Tu veux que je t’ajoute ton nom sur la boîte aux lettres ? demande-t-il, sans me regarder.
Je tourne lentement la tête. Je le fixe, incrédule.
— À condition que ce soit écrit en lettres dorées, murmuré-je avec un sourire en coin.
Il sourit aussi. Enfin. Un vrai sourire. Un de ceux qui ne cherchent rien. Qui donnent tout.
Je ris doucement. Puis je l’embrasse. Pas longtemps. Pas pour faire taire. Juste pour dire : oui.
Ce soir, on ne fait rien. On ne dit pas plus.
Mais tout est là. Absolument tout.

