

Chapitre 59
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Chapitre 59
Samuel
Il y a quelque chose.
Mais ce n’est pas clair. Pas défini. Plutôt un flottement. Un changement imperceptible dans l’air qu’elle déplace, dans ses silences qui s’étirent un peu plus que d’habitude. Rien de suffisamment concret pour que j’en parle. Juste un pressentiment.
Paule est là. Elle est tendre, douce, drôle comme toujours. Mais parfois, quand elle croit que je ne la regarde pas, son regard se perd. Il se trouble, comme une eau qu’on vient à peine de troubler d’un geste furtif. Et alors je me tais. Parce que je ne veux pas briser ce qu’elle tient encore entre ses mains fermées.
Depuis que la nouvelle du concours est tombée, j’ai été emporté dans un tourbillon. Une énergie que je ne pensais plus retrouver. Des nuits courtes, des carnets qui s’accumulent sur la table basse, des idées griffonnées à la hâte, des compositions esquissées dans ma tête à toute heure du jour. Elle a été là pour tout. Elle a souri, m’a écouté, m’a même soufflé une ou deux pistes à sa manière. Elle ne s’est jamais éloignée. Et pourtant…
Quelque chose se passe en elle. Et je ne sais pas quoi.
Je ne suis pas du genre à forcer. Je sais ce que c’est, le silence. Je sais que parfois, on se tait parce qu’on ne sait pas encore comment poser les mots. Ou qu’on n’est pas prêt à affronter les conséquences de ce qu’ils provoqueront. J’ai appris à respecter ce temps-là.
Mais ça ne veut pas dire que je ne remarque rien.
L’autre soir, elle a eu un geste étrange. Elle s’est arrêtée au milieu du salon, le regard figé dans le vide. Elle avait une pile de linge dans les bras, et je l’ai vue, l’espace d’un instant, comme si elle portait beaucoup plus que du tissu. J’ai voulu lui poser une question. Et puis j’ai reculé. Elle a repris son mouvement, comme si rien ne s’était passé.
Depuis, je reste en retrait. Je veille. Je capte chaque battement plus fragile, chaque sourire qui tarde à venir. Je l’observe quand elle dort, quand elle cuisine, quand elle arrive le matin avec les cheveux encore en bataille, une chaussette de travers. Il n’y a pas de faille visible. Mais quelque chose flotte, entre deux respirations.
Je ne lui ai rien dit.
Mais mon corps, lui, a enregistré cette sensation. Et elle ne me quitte plus.
Aujourd’hui, je rentre plus tôt que prévu. Le laboratoire est calme. Les tests avancent bien. Steve assure. L’équipe tourne sans heurts. Tout semble aller. À la maison aussi, tout semble aller. Mais ce soir, en la voyant m’attendre sur le canapé, ses jambes repliées sous elle, son thé refroidi entre les mains, je sens que ce “tout va bien” est tissé d’un fil trop tendu.
Je m’assieds près d’elle.
Elle sourit. Comme si rien ne clochait.
Et pourtant.
— Tu penses à quoi ? je demande, presque distraitement.
Elle relève la tête. Ses yeux me cherchent, m’observent. Puis elle secoue la tête.
— À rien de spécial. Je suis juste fatiguée.
Je hoche la tête. Je n’insiste pas. Mais je note que c’est la troisième fois qu’elle me donne cette réponse cette semaine.
Un silence s’installe. Il n’est pas lourd. Mais il n’est pas naturel non plus.
Je pose une main sur son genou. Elle ne la repousse pas. Mais elle ne réagit pas non plus. Je caresse doucement le tissu de son pantalon. Son regard s’échappe vers la fenêtre.
Et soudain, je sens que je dois dire quelque chose. Ne pas laisser ce silence s’installer trop longtemps.
— Si jamais tu veux parler, tu sais que je suis là, hein ?
Elle tourne à nouveau la tête. Elle sourit. Un sourire doux. Mais je vois bien qu’elle se protège.
— Je sais. C’est juste une période chargée. Je vais bien.
Je garde son regard un peu plus longtemps.
— Tu es sûre ?
Elle baisse les yeux. Ses doigts se serrent un peu sur la tasse.
— Oui. Vraiment. Je crois que je me pose trop de questions, c’est tout.
Je fronce légèrement les sourcils.
— Sur quoi ?
Elle hésite. Elle va répondre. Puis se ravise.
— Sur la vie. Sur… ce que tout ça veut dire. Ce qu’on construit. Ce qu’on imagine. Ce qu’on croit contrôler.
Je la regarde. Je comprends qu’elle parle de plus que nous, et pourtant je sens que nous sommes au cœur de ce qui l’agite.
— Tu veux dire, ce qu’on imagine à deux ?
Elle ne répond pas. Mais elle lève les yeux vers moi. Et je crois y lire un début de panique.
Alors je m’adoucis.
— Paule, je ne suis pas devin. Mais je sais reconnaître quand quelqu’un réfléchit à voix basse. Et tu es en train de penser fort, en ce moment.
Elle rit un peu. Un rire nerveux. Puis se lève.
— Tu veux du thé ? Je crois qu’il en reste dans la bouilloire.
Je la regarde s’éloigner. Elle fuit. Ce n’est pas un mensonge. Mais c’est une fuite. Je la laisse faire. Pour ce soir.
Mais en moi, le doute a pris racine. Léger. Pas oppressant. Pas violent. Juste là. Comme une promesse d’orage à l’horizon.
Je ne la brusquerai pas. Je ne lui arracherai rien.
Mais j’attendrai.
Et je me tiendrai prêt.
Parce que je sais que quelque chose approche.
Et que quoi que ce soit… je veux être là quand elle le posera entre mes mains.

