

Chapitre 43
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Chapitre 43
Samuel
Je claque la porte derrière moi. Mais ça ne suffit pas. Rien ne suffit. Pas le bruit sec du battant, pas l’adrénaline, pas le froid soudain du couloir. Je suis rempli. Saturé. De colère. De honte. De quelque chose d’encore plus ancien, de plus sombre, qui me colle à la peau comme une suée froide. Je traverse le couloir sans voir personne. Je pourrais bousculer quelqu’un sans m’en rendre compte. Je ne sais même pas où je vais. Je veux juste m’éloigner. Sortir. Respirer. Fuir.
Je pousse la porte arrière du laboratoire, celle qui donne sur la cour technique. L’air s’engouffre contre moi comme un coup de poing. C’est brutal, direct, presque douloureux. Mais pas assez. Pas assez pour laver ce que je viens de faire. Je titube jusqu’au mur opposé et m’y plaque, comme si j’avais besoin de me retenir. Ma main tremble. Je serre les dents. Fort. Je sens ma mâchoire grincer sous la tension. Je retiens un cri. Un hurlement. Un truc primitif qui monte de mes entrailles.
Putain. Je l’ai blessée. Et pas par accident. Non. Je l’ai blessée volontairement. Avec des mots choisis. Tranchants. Avec une précision détestable. Avec cette part de moi que je hais — celle qui sait exactement où viser, où appuyer, où détruire. Et je l’ai utilisée. Sans hésiter. Pourquoi ? Parce qu’elle m’a dit : « Tu veux une médaille, Samuel ? » Et que cette phrase a brisé une digue en moi. Pas à cause d’elle. Pas vraiment. À cause de lui. De mon père.
Je le revois. Toujours. Sa bouche pincée, son regard terne, glacé. Sa voix : sèche, insensible, répétitive comme une sentence. « Tu veux une médaille ? » Chaque fois que j’essayais de bien faire. Chaque fois que je me dépassais. Chaque fois que je tendais la main, espérant juste une étincelle de reconnaissance. Chaque fois, il me laissait avec cette phrase. Comme une baffe bien nette. Et ce matin, dans la bouche de Paule, ce n’était pas elle. C’était lui que j’ai entendu. Son sarcasme. Son mépris. Son poison.
Alors j’ai frappé. Pas physiquement. Je n’ai jamais eu besoin de ça. Moi, je frappe avec la voix. Avec le silence. Avec l’indifférence glacée que j’ai apprise de lui. Je sais comment faire mal sans élever le ton. Et je l’ai fait. À elle. Je me laisse glisser le long du mur. Mes jambes ploient sous moi. Je m’effondre comme un vieux meuble. Le béton me mord le dos à travers ma chemise. Mais je ne ressens rien. Rien de ce qu’il faudrait. Ma tête cogne contre la pierre. Je ferme les yeux.
Qu’est-ce que je suis en train de devenir ? Je lui avais promis. Je lui avais juré que je ne serais jamais ce type-là. Celui qui blesse. Celui qui fuit. Celui qui se ferme. Celui qu’elle a connu à son arrivée. Celui qu’elle regardait comme on regarde une cage. Et ce matin, j’ai été pire. Calculateur. Glacial. Mesquin. Je revois son visage au moment où les mots ont atterri. Le moment où quelque chose en elle s’est tu. Le regard qui s’est éteint. Elle ne m’a pas giflé. Elle ne m’a pas crié dessus. Elle s’est juste… rétractée. Comme un animal qui encaisse un coup sans comprendre pourquoi.
Et c’est là que j’ai su. Je l’ai cassée. Et je l’ai fait exprès. Parce que j’avais mal. Parce que je me sentais menacé. Parce que je me sentais invisible. Et la seule manière que j’ai trouvée pour exister à ses yeux, c’était de devenir une plaie. La jalousie. Ce poison, je le connais. Il a été versé dans mon biberon. Mon père était jaloux de moi. De son propre fils. Il ne supportait pas que je le dépasse, que je brille, que j’avance sans lui. Il me voulait docile, mais pas éteint. Silencieux, mais pas faible. Parfait, mais pas humain.
Et maintenant… Me voilà. Le dos contre un mur, la gorge nouée, les mains vides. En train de devenir exactement ce que je me suis juré de ne jamais être. Je ferme les yeux. Inspire. Essaye de retrouver un souffle. Un sens. Une ancre. Mais rien. Je n’ai même pas la force de rentrer. Je sais qu’elle est encore là. Dans le laboratoire. Qu’elle tient bon. Qu’elle serre les dents. Qu’elle fait ce que moi je ne sais plus faire : rester. Moi, je suis celui qui s’échappe. Celui qui s’enfuit en se croyant lucide. Celui qui ne laisse derrière lui que des fragments.
Je sors mon téléphone. L’écran est noir. Pas de message. Pas d’appel. Et je n’en mérite pas. Je me relève. Mes genoux sont raides, mes jambes douloureuses. Je me sens vieux, usé, vidé. Mais je marche. Je traverse la rue. Je ne sais pas où je vais. Je m’en fous. Je veux juste m’user à force de marcher. Je longe les rues, les vitrines, les passants. Je suis transparent. Je ne croise aucun regard. Et si je le faisais, je détournerais les yeux.
Je passe devant une vitrine. Je m’y aperçois. Un type raide. Regard dur. Épaules voûtées. Je ne me reconnais pas. Je ne veux pas me reconnaître. Je continue. Je vais jusqu’à l’usure. Celle du corps. Celle de l’âme. Comme si, à force d’user mes semelles, je pouvais effacer mes mots. Effacer ce que je suis en train de redevenir. Ce Samuel-là. Le froid. L’hermétique. Le violent du silence. Je l’ai construit comme une forteresse. Et ce matin, je lui ai ouvert la porte.
Je m’arrête. Un pont. Le fleuve coule en dessous, lent et sombre. Comme moi. Je m’appuie sur la rambarde. L’air me coupe la peau. Je ne veux pas rentrer. Je ne veux pas faire face. Je ne veux pas parler. Je veux disparaître.
Mais Paule…
Je la vois encore. Son regard. Sa dignité. Sa manière de rester droite même quand je l’ai enfoncée. Elle aurait pu me haïr. Elle a choisi le silence. Et moi, je l’ai interprété comme un abandon. Comme une offense. Alors j’ai appuyé. Sur la faille. J’ai piétiné ce qu’on avait construit. Et maintenant je suis là. Seul. Sur ce pont. Avec ce vide qui me tire vers le bas.
Puis… quelque chose. Une voix. À peine un souffle. Pas une voix réelle. Mais une voix que je connais.
« Tu sais ce qui me fait peur chez toi, Samuel ? Ce n’est pas ta colère. C’est ton silence. »
Marianne. Ma mère. Elle me traverse comme une lame. Elle est là, dans ma tête, si claire que j’ai l’impression qu’elle pourrait me toucher. Je la revois. Ses cernes. Sa main sur mon épaule quand je refusais de parler. Quand je devenais ce mur que je suis encore.
Elle me disait que le silence, c’était pire que la violence. Que ça creusait des trous là où il devrait y avoir de la lumière.
« Tu crois que tu protèges les autres en t’éteignant. Mais c’est toi que tu tues. »
Je serre les poings. Le vent me gifle. Mais c’est en moi que ça se fissure.
Elle avait raison. Je ne protège rien. Je sabote. Je détruis. Je blesse. Avant même que quelqu’un puisse m’atteindre. Elle n’a rien demandé à ça. Elle m’a laissé une place. Une vraie. Et moi, je l’ai utilisée pour poser une bombe.
Et si cette fois… elle m’a vraiment vu tel que je suis ? Non pas le type à aimer, à protéger, mais celui qui frappe quand il est à terre. Et si cette phrase — « Tu veux une médaille ? » — m’avait touché plus profondément que je ne peux l’admettre… alors peut-être que ce n’est pas elle que je ne pardonne pas.
C’est moi.
Je rouvre les yeux. Le fleuve continue. L’air est plus coupant que tout à l’heure. Je reste planté là, mains dans les poches, incapable de rentrer, incapable d’avancer. Debout, oui. Mais figé. L’élan s’est brisé. Et je ne sais plus dans quelle direction me tenir sans trembler.
Les jours suivants, c’est une autre forme de silence qui s’installe. Plus dur. Plus acide. Au début, je lui en veux. Viscéralement. J’ai ses mots en boucle dans la tête. Juste une phrase, une seule — et c’est elle qui m’a fait sauter. Elle savait, j’en suis sûr. Elle savait où frapper. Et elle l’a fait.
Je garde les dents serrées. Je fais mon travail. Je parle le strict nécessaire. Mais à l’intérieur, je fulmine. Pas contre elle, me dis-je. Contre moi. Contre ce que je suis devenu. Mais la nuance est floue. Et dans mes silences, c’est elle que je condamne. Je ne lui adresse pas un regard. Même quand elle passe près. Même quand ses mains frôlent mon espace. Rien. Je reste de glace.
Puis les jours s’empilent. L’un après l’autre. Trop semblables, trop pleins d’absence. Les gestes se répètent. Le laboratoire tourne, sans nous. On agit, on respire, on tranche, on dresse. Mais tout est creux. Tout est lourd. Et peu à peu, la rage retombe. L’orgueil se tasse.
Je commence à revoir son visage. Pas celui qui m’a lancé la pique. Celui qui m’a ouvert la porte. Celui qui m’a attendu, écouté, retenu. Et ce regard blessé, cet effondrement silencieux… je ne l’avais pas regardé vraiment. Je l’ai ignoré. Par fierté. Par réflexe. Par peur.
Et voilà qu’il me revient. Tout entier.
La colère s’émousse. Le mur se fissure. Je ne cherche pas à le réparer.
Je suis fatigué.
Fatigué de m’en vouloir. Fatigué de lui en vouloir. Fatigué d’être ce type-là — celui qui fait du mal à la seule personne qu’il aimerait épargner. Et dans cette fatigue, un autre sentiment s’installe. Une douleur sourde. Une faille douce.
Le regret.
Je ne bouge pas encore. Je ne parle pas. Je ne demande rien. Mais je sens en moi quelque chose qui cède. Lentement.
Je ne suis plus en guerre.
Je suis juste là. En miettes.

