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Qui a tué le haïku ?

Qui a tué le haïku ?

Publié le 16 déc. 2022 Mis à jour le 17 déc. 2022 Culture
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Qui a tué le haïku ?

Il fut un temps où l’on pouvait s’abreuver de haïkus en tapant ces quelques lettres dans un moteur de recherche. Mais ça, c’était avant. Avant le nivellement par le bas. Avant l’avènement des réseaux sociaux distribuant à tout un chacun son diplôme de spécialiste en tout et n’importe quoi.

Or, l’écriture d’un haïku est un art particulièrement difficile. Il fallait de nombreuses heures, voire des journées, pour qu’un maître accepte la version d’un élève. Autrement dit, écrire un haïku se mérite. Rien à voir avec ces textes balancés à la hâte sur internet.


Photo de Kumiko SHIMIZU sur Unsplash

 

Alors, qu'est-ce qu'un haïku ?

C’est beaucoup plus compliqué que la simple définition que l’on trouve un peu partout. Ce qui veut dire qu’un haïku n’est pas qu’un simple tercet de trois vers de 5, 7 puis 5 syllabes ou pieds.

En dehors de ces syllabes ou mores, il existe deux éléments impératifs à inclure dans un texte pour qu’il puisse porter le nom de haïku.

Kigo

Un haïku doit obligatoirement comporter un kigo que l’on définit en français par un mot de saison. Seulement, il s’agit là d’un mot au sens poétique bien sûr. Comme nous le verrons, le haïku doit imager une scène. Ainsi, le mot de saison est un élément, une notion de temps faisant penser à cette saison : les cerisiers en fleur pour la période de mars et avril au Japon, la brume sur la campagne ou les feuilles qui virevoltent pour définir l’automne.

Sans cette notion de temporalité, le haïku n’en est plus un. Il devient un muki ou senryū et cela change tout !

Kireji

Comme le kigo le kireji intervient obligatoirement dans le haïku. Littéralement "mot qui coupe",  il vient faire un gros plan sur la scène afin de la séparer de son aspect contemplatif. À cet effet, le kireji peut tout aussi bien être une exclamation. Il s’agit de casser ou l’image ou le rythme.

Deux exemples pour illustrer cette partie assez difficile.

Furuike ya 
kawasu tobikomu
mizu no oto


Traduction :
Dans le vieil étang
Une grenouille plonge
Bruit de l'eau 

Dans ce célèbre haïku de Matsuo Basho, le kireji est magistral. Souvent, nous trouvons des traductions françaises ajoutant un « ! » après le mot "plonge" ou "eau". Ainsi, la particule "ya" devrait le faire apparaître après "étang", c'est qui n'est pas vraiment opportun en français. Mais, Basho était plus subtil, forcément : le kireji est marqué par l’étang lui-même !

Imaginez la scène. Nous sommes à contempler le vieil étang. Son ancienneté lui confère un aspect immobile, quasiment mystique, baignant dans la sérénité et la sagesse. Il casse donc le rythme avec ce retour à la réalité d’une grenouille qui apparait soudainement et saute dans l’eau. La rupture est là. L’œil qui embrassait le paysage est soudainement attiré par la grenouille et son saut.

Autre exemple avec l'exclamation:

Shiraume ya
toshokan ni kizetsu
shite iru

Traduction :
Ho ! Ces fleurs blanches de prunier !
On s’évanouit 
dans la bibliothèque.


Photo de Eugene Zhyvchik sur Unsplash


Avec l’exemple du haïku de Niji Fuyuno, le repérage du kireji est plus simple. En japonais, il existe beaucoup de ce que l’on nomme des particules finales : ici, le ya.  Nous l'avons vu avec le haïku de Basho. C’est ce qui permet de donner la nuance à une phrase. La particule ya indique l’intonation exclamative : Ho ! Ces fleurs blanches de prunier !

Nous retrouvons donc les deux éléments du haïku :
- le kigo avec les fleurs blanches de prunier en mars ou avril ;
- le kireji avec le point d’exclamation qui vient séparer le moment où l’on contemple ces fleurs blanches et celui où l’on succombe à leur beauté jusqu’à l’évanouissement.

Les variantes

Dès lors que l’on s’écarte de ces deux obligations qui compliquent l’écriture, mais apportent toute la beauté du haïku, nous entrons dans d’autres registres poétiques.

- Le muki s’affranchit de la notion de temporalité. Aucun kigo ne vient poser le décor de la saison qui constitue la scène poétique.

- Le senryū, quant à lui, verse dans le cynisme, ou franchement dans le pamphlétaire. C’est un avis personnel, un jugement porté sur le sujet du poème comme l’illustre de façon magistrale Francois L. :

Drame du haïku,
Il n’y a plus de saisons -
Adieu le kigo…

C’est ici un formidable senryū  ! Et pour cause : appuyé par le kireji  “-”, on retrouve ici toute l’ironie du senryū qui définit ce qu’est un muki par rapport au haïku. Vous avez suivi? Il fallait le faire et François L. l’a fait ! Respect.

À vos plumes !

Maintenant que vous savez faire la différence, oubliez les définitions et prenez votre plume afin de partager vos propres poèmes en commentaire !

Voici, par exemple, mon haïku rédigé en japonais, transcrit en rômaji, puis en français. J'ai tenté, à la manière de Basho, de masquer le kireji en opposant le calme du troupeau au tintement des cloches qui indique alors une agitation.

朝靄や Asamoyaya Brume matinale
穏やかな群れ Odayakana mure Les troupeaux calmes
鐘の音よ kanenone yo Le tintement des cloches !


Photo de Michael Held sur Unsplash

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Commentaires (15)

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Bernard Ducosson il y a 3 mois

J'ai compris sa traduction et ça me va. Va donc pour des schmilblico-senryū !
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Bernard Ducosson il y a 3 mois

waouh d'aquita
Voilà qu'il me jappe au nez
Jean-Christoph' bluffé
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Jean-Christophe Mojard il y a 3 mois

Pas de kigo, on verse donc dans le muki, mais il y a ce côté moqueur : et voilà un senryū !
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Bernard Ducosson il y a 3 mois

Je crois bien me souvenir que c'est ton article qui m'a fait découvrir l'aïku, moi qui pensait que ça se mangeait ! Je pense en avoir compris la construction. Seul toi pourra me dire, alors n"hésite pas avec ce dernier...
Rien que pour ça un grand merci...
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Jean-Christophe Mojard il y a 3 mois

La magie de Panodyssey !

Sur un autre réseau, j’avais essayé de faire comprendre la différence à une certaine Neko. Sous prétexte d’un pseudo nippon, Neko veut dire chat/chatte, elle m’avait incendié : j’étais ce genre d’homme qui prétend donner des leçons aux femmes, on n’allait pas lui apprendre, à elle, ce qu’est un haïku, j’étais le sale macho, l’enfoiré de misogyne…
Ses amies de l’ultraféminisme se sont jetées sur moi, offert en pâture au réseau. L’admin a reçu des dizaines et des dizaines de signalements à mon sujet pour violence, harcèlement, propos injurieux ! J’avais alors reçu un avertissement avant bannissement !
J’avais dû prouver à l’admin avec copies d’écrans, qui je n’étais en rien responsable de ce déferlement, que j’avais été respectueux, mais qu’à l’inverse, c’était elle et ses copines qui s’étaient jetées sur moi. Le comble !
J’ai dû bloquer des adresses IP jusque sur mon propre site !

Rien à voir avec Panodyssey ! Il n'y a qu'à lire les échanges ici !
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Jean-Christophe Mojard il y a 3 mois

J'en avais fait un poème : https://panodyssey.com/fr/article/culture/9tpg5na5nsbb
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Chris Falcoz il y a 3 mois

Je fais partie du nivellement par le bas, ces personnes un peu bizarres qui osent faire des haïkus à leur sauce, et tant pis si parfois "y a plus de saison mes braves gens" !

Je me prête au jeu quand même ceci dit :)

Lueurs printanières
Les lucioles scintillent
Beautés éphémères
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Jean-Christophe Mojard il y a 3 mois

Tant qu'on appelle cela un muki, qui n'a rien de nivellement par le bas. Il suffit d'employer le bon terme. Et Les mukis sont tout aussi exquis, c'est juste une appellation en regard de la présence, ou non du kigo.
Et cet haïku est très réussi, notamment avec l'accentuation forcée sur la dernière syllabe du mot "scintillent", qu'il faut aller chercher, comme une diérèse pour aller à 7 mores. Cela renforce le scintillement et par la même occasion apporte le Kireji.
Bravo ! J'adore. Vous m'avez, non seulement fait sourire, mais également rendu heureux.
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Chris Falcoz il y a 3 mois

En France, on commence à peine à retenir le mot "haïku", alors utiliser "muki"... mais je comprends, je vais voir pour modifier sur mes prochains muki. (n'étant pas experte, je ne connaissais même pas ce terme!)

Merci ! De la part d'un expert, ça me fait plaisir ! Il va falloir que je poste quelques vrais haïkus par ici de temps en temps ! :)
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Jean-Christophe Mojard il y a 3 mois

Expert est un grand mot, mais si déjà le mot muki prend racine et que je vois fleurir ici vos mukis et haïkus, alors je suis le plus heureux des amoureux de la rime.
Merci.
Impressionnant votre texte !
Voici un premier test :

Les alpages blanchissent
Le silence est pur
Une pomme de pin tombe
Merci beaucoup.
Heureux surtout qu’il fasse mouche à vous lire, on y est !

La tranquillité avec la neige qui fait blanchir les alpages. La saison des premiers enneigements, le kigo est là.
Puis le silence pur (savoureux ça !). On embrasse tout un paysage de sérénité, de tranquillité. On peut ressentir le froid sur nos joues, sur la pointe de notre nez semblable aux contrefort montagneux.
Survient alors le kireji. Brusquement il nous tire de cette torpeur : la pomme de pin tout en poésie, nous sort de notre torpeur et nous synchronise à nouveau avec la réalité du temps.
Il nous reste à la ramasser pour la mettre en décoration en attendant de la faire trôner sur la table à Noël.

Voilà ce que devrait produire un haïku. Merci pour celui-ci, c’est un concentré d’émotions.
Wouah !

C'est fantastique cette expérience.

C'est impressionnant ce que vous écrivez là, d'un jet pur et franc.

Dans la série grand froid, je pense que mon écrit qui s'intitule blanche et le rouge pourrait vous plaire ;-)

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