Ysak était confus. Allongé sur la banquette installée au milieu de la bibliothèque - chambre d'amis, il regardait fixement le plafond, ressassant les paroles de Jean, ce vieil homme étrange qui se disait être un Ancien d'Ysaldore. Assis dans son imposant fauteuil de bois massif, il avait parlé durant des heures. Durant des heures, il lui avait raconté leur vie, à lui et sa tendre épouse, ici en tant que gardiens du passage. Des longues nuits à attendre dans le froid que des curieux se présentent. Des échanges passionnés avec des voyageurs ébahis. Des combats sanglants avec des brigands en quête de trésors... Il lui avait aussi parlé de leur vie avant. Avant qu'ils ne quittent Ysaldore. De ces formidables levers de Terre. De ces senteurs incroyables, enivrantes. Et de la fleur d'améthyste..., mais jamais il n'évoqua la cause de leur départ. Et même si la question brûlait les lèvres d'Ysak, jamais il n'osa la poser. 

Mais ce qui obsédait Ysak, c'était cette histoire de prédictions. Marie lui avait raconté, entre deux récits de son époux, ce que sa mère avait vu dans plusieurs de ses visions. Une véritable catastrophe s'abattrait sur Ysaldore et la plongerait dans les ténèbres. Elle n'avait jamais pu décrire exactement ce qui devait arriver, seulement que sa source de vie se tarirait. Que la fleur d'améthyste mourrait. Alors trois vaillants jeunes gens, dignes descendants des familles Urifle, Hiotis et Galdor, partiraient en quête sur Terre pour les sauver tous. Ils devraient être formés à l'art du combat, connaître tous les secrets de Luna, et surtout être prêts à affronter les prédateurs des contrées glaciales. Et leur rôle, à Marie et Jean, étaient de les attendre afin de les guider au mieux et de leur apporter toute l'aide dont ils auraient besoin.

Ysak s'était contenté d'écouter, trop las pour se risquer à contredire ce couple improbable. Il n'avait rien dit lorsque Marie avait énoncé le descendant de Hiotis, mort à la naissance, emportant sa mère avec lui. Il n'avait pas réagi au nom de Galdor, famille disparue depuis bientôt cent ans. Et il s'était bien gardé de préciser que tous avaient oublié de lui parler de ces prédictions. Qu'aucun Ancien n'avait jugé bon de l'avertir de son lourd destin. Peut-être avaient-ils pensé que toutes ces prémonitions n'étaient que foutaises, n'étaient que folie d'une vieille femme mourante. Que rien ne pouvait arriver à Ysaldore puisque seul un descendant existait. 

Ne pouvant dormir, Ysak se leva. Il se baladait à travers la pièce, à la recherche de réponses. Il découvrit de nombreux livres semblables à ceux que renfermait la merveilleuse bibliothèque d'Ysaldore, des toiles éblouissantes de la cité endormie et un arbre généalogique. L'arbre de la famille Galdor. Jean et Marie étaient donc les Anciens disparus. Parents de Luter Galdor. Disaient-ils vrai ? Si oui, pourquoi n'avait-il jamais entendu parler de Luter ? Et cela voulait dire qu'ils étaient tous deux âgés de plus de deux cents ans... chose improbable. Et pourtant ! 

Ysak ne tenait plus. Il avait besoin d'air. De quitter ces murs qui le rendaient anxieux. Il enfila les vêtements chauds et les chaussures que Marie lui avait donné et courut à travers la maison pour s'en échapper au plus vite. Peu importait s'il réveillait ses habitants. Il devait sortir... Lorsqu'il ouvrit la porte, il fut ébloui par un soleil éclatant. Ses pieds s'enfoncèrent dans la neige et l'air glacé brûla ses poumons, mais il ne s'arrêta pas. Il continua à courir jusqu'à perdre haleine. Jusqu'à ce que sa course endiablée soit stoppée net par un être immonde. Par un prédateur...

Image créée par Cédric GERARD à l'aide de l'IA Midjourney. 
Texte de L. S. Martins (45 minutes, sans relecture).