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Compartiment n°6 (Hytti Nro 6, Juho Kuosmanen, 2021)

Compartiment n°6 (Hytti Nro 6, Juho Kuosmanen, 2021)

Publié le 17 janv. 2022 Mis à jour le 17 janv. 2022 Culture
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Compartiment n°6 (Hytti Nro 6, Juho Kuosmanen, 2021)

"Compartiment n°6" confirme l'excellente impression que m'avait faite le premier film de Juho Kuosmanen "Olli Mäki": simplicité (dans la trajectoire et l'intrigue mais aussi le naturel désarmant des personnages et jusque dans le choix du thème principal de la BO, le tube eighties "Voyage, voyage" de Desireless qui résume en plus parfaitement l'esprit du film!!), justesse de ton, finesse d'observation, douceur de l'approche, regard bienveillant et tendre sur les personnages, part d'enfance irréductible qui sait aller à l'essentiel. Je déteste le terme commercial de "feel good movie" mais il est vrai que c'est un film qui fait du bien alors que le cadre a priori n'est pas très, voire pas du tout engageant alors si ça peut inciter plus de gens à franchir le pas et à aller voir ce qui peut réchauffer le corps et l'esprit dans le cinéma scandinave, la Russie et les grands espaces arctiques, c'est déjà ça. Et preuve que le grand cinéma peut être reconnu sous les apparences les plus humbles, "Compartiment n°6" a obtenu le Grand Prix à Cannes. Un prix mérité.

Le générique de "Compartiment n°6" annonce la couleur avec un air entraînant de Roxy Music au titre annonciateur "Love is the drug". Ensuite la première image doit absolument être raccordée à la dernière comme preuve du chemin parcouru. L'une et l'autre donnent son sens au film et montrent combien celui-ci a été pensé.

Dans la première image, on voit Laura, une jeune finlandaise à l'air mélancolique sortir des toilettes d'un appartement moscovite où se déroule une fête mondaine dans laquelle elle se sent visiblement mal à l'aise. Elle paraît aussi déconnectée que Olli Mäki pouvait l'être au milieu du cirque médiatico-sportif organisé autour d'un statut de champion dans lequel il ne se reconnaissait pas. Laura est en effet présentée par son hôtesse russe (et secrètement maîtresse) Irina exactement de la même façon: non pour ce qu'elle est mais pour ce qui peut la faire briller en société: ses études en archéologie et son voyage planifié pour aller voir les pétroglyphes (symboles gravés dans la pierre) de Mourmansk. Voyage qu'elle devait faire avec Irina mais (est-ce surprenant?), celle-ci se défile et la laisse partir seule. Tout au long de son périple éprouvant, Laura ne cessera de tenter de se raccrocher à Irina par téléphone (le film se déroulant en 1996, il n'y a pas de portable mais seulement la possibilité d'utiliser les cabines lors des escales) et se heurtera soit à son indifférence, soit à son silence. Eloquent. 

Dans la dernière image, on voit la même jeune femme (mais est-ce bien la même?) arborer un éclatant sourire jusqu'aux oreilles alors que l'écran est envahi par le soleil, en relation directe avec la déclaration d'amour qu'elle vient de recevoir. Et bien qu'on puisse penser que cela illustre le cliché selon lequel "les voyages forment la jeunesse", le film est beaucoup plus subtil que ça (contrairement à nombre de critiques qui, simplifiant tout à la truelle, ont accusé le film d'enfiler les clichés). En effet la partie ferroviaire de son voyage apparaît surtout comme une épreuve à traverser au point qu'elle est tentée de revenir en arrière. Et on la comprend. Il y a la vétusté du train et du réseau (manque d'eau dans les toilettes, propreté douteuse de la literie, grincements, cahots, lenteur, escales interminables) reflet fidèle de l'état du système ferroviaire russe dans les années 90, l'amabilité très relative de la cheffe de train (bien qu'avec le temps on découvre aussi ses qualités) mais surtout la promiscuité avec les autres voyageurs. Certes, Laura ne voyage pas dans l'entassement des corps de la 3° classe que l'on aperçoit à deux ou trois reprises. Mais dans sa cabine de 2° classe, elle découvre qu'elle va devoir faire tout le voyage avec un certain Lohja et qu'elle ne peut échapper à cette cohabitation (malgré plusieurs tentatives). Et sa première réaction est la peur. Déjà, l'apparence du mec n'est pas rassurante avec son crâne rasé et son visage dur. Mais en plus le jeune ouvrier russe se comporte en butor, étalant sa nourriture, enfilant des litres de vodka, harcelant la jeune femme qu'il prend pour une prostituée (sans doute parce que c'est le seul cadre référentiel qu'il connaît pour les jeunes femmes seules qui prennent le train dans son pays) sans parler de son expression corporelle brusque et de son vocabulaire limité (et ne parlons même pas de sa tête ahurie quand Laura lui parle pour la première fois du but de son voyage!).

Seule la finesse du regard de Juho Kuosmanen permet (surtout quand on est une femme et qu'on ressent par tous les pores le malaise de Laura, son sentiment d'oppression, sa peur de l'agression) de comprendre que la grossièreté se joue en fait dans les deux sens. Quand Laura se retrouve au wagon-restaurant avec Lohja et qu'elle s'empresse de faire de la place à une famille bourgeoise qui vient s'installer à leurs côtés, quand elle quitte le compartiment pour aller téléphoner et emporte toutes ses affaires avec elle de peur qu'il ne la vole, quand elle accueille un finlandais sans titre de transport dans leur compartiment juste parce qu'il présente bien et qu'elle se sent en confiance parce que c'est un compatriote, ce sont autant d'humiliations -des humiliations de classe (bourgeois intello contre ouvrier mais aussi finlandais civilisé contre russe barbare)- que l'on voit Lohja encaisser (et on voit combien cela lui fait mal, c'est ce qui dessine peu à peu la sensibilité du jeune homme sous ses dehors peu engageants). Pourtant la devise de Laura (qui a une caméra et donc adopte parfois le point de vue du réalisateur) est de "croire ce qu'elle voit". Et elle finit par voir aussi que Lohja n'est pas ce qu'il paraît au premier abord. Il s'avère serviable, soucieux d'elle, débrouillard et en même temps maladroit comme un gosse mal grandi, enfermé en lui-même voire même un peu autiste (la scène où il lance des boules de neige dans le vide avant de se casser la figure, son mal-être et sa fuite face aux sentiments et au contact physique lorsqu'il est en état de sobriété). Et lorsque le train arrive à destination, c'est la libération: on passe du confinement claustrophobique du compartiment (le film a réellement été tourné dans un train d'époque, dans des conditions éprouvantes) aux grands espaces vierges, loin de toute civilisation. Et ironie de l'histoire, c'est uniquement grâce à la débrouillardise de Lohja que Laura parvient jusqu'au site archéologique qu'elle souhaitait visiter, tout au bout du monde, dans un endroit inaccessible. Là où hors de tout jugement social, Lohja et Laura, ces deux "loups solitaires" aux prénoms quasi identiques peuvent retrouver un temps leur innocence perdue et communier avec leur véritable nature qui s'avère être identique comme s'il étaient jumeaux. Les acteurs, Seidi Haarla et Youri Borissov tous deux atypiques sont remarquables et ce dernier est fascinant dans la façon dont il peut transformer son visage, celui-ci pouvant ressembler à un homme vieilli avant l'âge ou à un enfant perdu selon les situations dans lesquelles il se trouve. C'est d'ailleurs le visage d'un enfant endormi que Laura dessine lorsqu'elle le représente.

De même que la fin reste ouverte (se reverront-ils, ne se reverront-ils pas?), la nature de la relation entre Laura et Lohja reste volontairement indécise, entre amitié fraternelle et amour. Leur voyage n'est pas sans rappeler "Elle et Lui" de Leo McCarey avec notamment une scène centrale d'escale assez semblable dans laquelle Lohja emmène Laura voir une parente à lui, escale décisive dans l'évolution du regard qu'elle porte sur lui. Un autre film qui a été rapproché de façon pertinente de "Compartiment n°6" est "Lady Chatterley" de Pascale Ferran dans le sens où le rapprochement de deux personnes de condition sociale opposée (une aristocrate raffinée et un garde-chasse fruste) aboutit au final à la même émancipation joyeuse, une joie pure en forme de retour à l'enfance dans la nature, même si celle-ci est forcément éphémère.

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