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Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes (2021) Lionel Shriver

Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes (2021) Lionel Shriver

Published Sep 3, 2021 Updated Sep 3, 2021 Culture
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Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes (2021) Lionel Shriver

Le sport est l’opium du peuple

La sortie en 2011 de We neeed to talk about Kevin a popularisé Lionel Shriver. Cette écrivaine, qui a choisi délibérément un nom d’auteur masculin, a débuté sa carrière au milieu des années 1980. Elle use d’une plume au vitriol pour étriller le couple, la famille et les Américains, qu’elle a quitté pour désormais résider à Londres. On peut supposer qu’elle a puisé dans son éducation dominée par un père religieux un des personnages de Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes, dont la bigoterie frise le fanatisme. Peut-être s'est-elle inspirée de ses expériences de nomade et du cynisme apparent de ses ouvrages précédents pour caractérisre certains traits du personnage principal de son roman. Soit une sexagénaire heureuse en ménage qui passe des moments difficiles, entre ses problèmes aux genoux et son mari qui décide de courir un marathon, sans compter ses deux enfants qui l’exaspèrent, alors qu’elle ne les voit plus qu’épisodiquement.

Un matin, Remington annonce à son épouse Serenata qu’il veut courir le marathon de Saratoga Springs. Incrédule, elle se montre circonspecte quant aux capacités physiques de son mari, sans compter le fait que cette pratique est devenu d’une banalité affligeante. Ils ont emménagé à Hudson depuis quelques mois, suite au renvoi de Remington de son administration pour des raisons plus que douteuses. À soixante ans passés, les genoux de Serenata ne sont plus aussi fiables, l’handicapant sérieusement dans ses exercices de remise en forme quotidiens. Au cours de leur dispute, elle reproche alors à son époux de ne pas aller rendre visite à son père, qui habite pourtant à quelques pâtés de maisons. Elle ne comprend pas l’attitude de son mari qui, malgré son port altier et son allure encore pimpante, n’a, selon elle, pas besoin de s’imposer un entraînement physique aussi contraignant. Pour elle, malgré le découragement qui l’accable depuis sa mise au repos professionnelle imposée, il reste aussi beau que lors de leur rencontre.

Un humour féroce se dégage de Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes. Lionel Shriver n’hésite pas à railler ses contemporain avec sa plume mordante, quitte à paraître méprisante. Tout le monde y passe, des marathoniens du dimanche aux religieux fanatiques, des coachs autoproclamées aux tyranniques de la bien-pensance. Le fait de choisir comme personnage principal une femme de soixante ans, misanthrope sur les bords, est à cet égard bien pratique. Serenata n’a plus rien à prouver à qui que ce soit, et, comme elle le dit très bien, elle a eu raison avant tout le monde. Pour preuve, elle faisait du vélo quand ce n’était pas à la mode, et son absence d’amis l’arrange très bien. Sa critique systématique de l’ensemble de l’humanité est assez risible, et l’on se demande parfois si on s’amuse plus des insanités qu’elle profère, du ton sur lequel elle les raconte ou d’elle-même, qui finit par devenir une caricature ambulante.

Ainsi les saillies et les tentatives de réflexions élaborées dans Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes, si elles sont parfois drôles, suscitent parfois de la perplexité chez le lecteur. En clair, on se demande parfois si le ton réactionnaire adopté est celui des personnages, volontairement et outrageusement parodiques, ou bien s’ils ne reflètent pas les convictions de Lionel Shriver. Par exemple, ce long passage où l’on apprend les raisons de la mise à l’écart professionnel de Remington n’est pas très fin et l’on se demande où l’auteur veut en venir. Il est de bon, et assez facile, ton de critiquer le caractère bien-pensant et la société moderne, qui valorise les minorités et met en avant le féminisme, les droits des personnes LGBTQI ou d’origines ethnique et sociales diverses. Ici, on ne voit pas trop quel est l’argument de Lionel Shriver dans sa volonté d’ériger en victimes ces fameux hommes blancs hétérosexuels de plus de cinquante ans : le discours paraît parfois creux.

Là où l’écrivaine montre plus de talent, c’est dans son style et dans la construction de son récit. Sans être ampoulées, la plume de Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes est claire et concise, équilibrée et fluide. Lionel Shriver parvient à maintenir, sur un sujet aussi peu trépidant que des sexagénaires qui font du sport, quelles bulles de suspense qui titillent le lecteur. Ainsi lance-t-elle quelques allusions, tout en laissant planer le doute, sur la raison pour laquelle le protagoniste masculin a été évincé de son travail, ou sur les événements qui ont conduit Serenata et Remington de s’éloigner de leurs enfants. La peinture des États-Unis que brosse l’autrice n’est d’ailleurs pas vraiment reluisante, et elle fait preuve ici encore à la fois d’une lucidité à toute épreuve et d’une misanthropie apparement assumée. Son roman est donc à la fois attrayant par son humour et par sa façon de raconter son récit, mais aussi déplaisant par un certain côté radical et réactionnaire.

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