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907 fois Camille (2021) Julien Dufresne-Lamy

907 fois Camille (2021) Julien Dufresne-Lamy

Published Oct 15, 2021 Updated Oct 15, 2021 Culture
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907 fois Camille (2021) Julien Dufresne-Lamy

Mon amie la rose

Durant ses études, Julien Dufresne-Lamy rencontre l’héroïne de 907 fois Camille. Celle qui deviendra une de ses meilleures amies est la fille de Dominique Alderweireld, mais elle ne le dit pas, surtout lorsqu’en 2011 le visage de celui qui se fait surnommer Dodo la Saumure apparaît dans les journaux. Proxénète lillois, il est mêlé à l’affaire du Carlton où figure le nom de Dominique Strauss-Kahn. C’est par le prisme de cette jeune femme que l’auteur revient sur ce fait divers, qui l’amène à raconter l’enfance de Camille, tout en dissertant sur la place des femmes dans la société contemporaine. Car Julien Dufresne-Lamy s’engage régulièrement quand il écrit, tantôt sur les drags queens et le ballroom dans Jolis Jolis Monstres, tantôt sur la transidentité avec Mon père, ma mère, mes tremblements de terre. Ou bien sur les affres d’une adolescence tourmentée, quand dans Mauvais joueurs il évoque la trajectoire d’un jeune homme qui, on le ressent en filigrane dans son dernier roman, semble lui ressembler terriblement.

En 1987 naît Camille, dans le sud de Paris. Sa mère se prénomme Marie et son père Dominique, mais tout le monde l’appelle Dodo, ou même « Dodo la Saumure ». Marie a été mariée vingt ans auparavant avec un amour d’enfance, Raymond, et leur couple ne résistera pas au manque d’enfant. Quand ils se sont séparés, Raymond est parti en Afrique et Marie a poursuivit une carrière d’employée de banque. Elle rencontra un soir Dodo, un fringant hâbleur qui la séduit rapidement, tandis que, elle ne le savait pas, il peaufinait un autre de ces coups fourrés. Un an après ces premiers échanges sur une piste de danse, Camille est née, au grand dam de la famille rétrograde de Marie, qui voit d’un mauvais œil ce compagnon voyou. Seulement le couple bat rapidement de l’aile, et les frasques de Dodo, entre divers escroqueries et autres maisons de passe, finissent par lasser Marie. Même au jour de son accouchement, qui se passe mal, il n’est pas présent, et Camille apprendra bien plus tard la vérité sur sa naissance.

En racontant la vie de sa protagoniste, 907 fois Camille tente d’analyser les rapports complexes qu’elle entretient avec son père. Ils sont d’autant plus difficiles à aborder que divers prismes interviennent, entremêlant l’intime et le public. Le point de vue que tient assez bien Julien Dufresne-Lamy, est celui d’une enfant qui grandit sans figure paternelle et a visiblement besoin de cet ancrage. Or, elle évolue entourée de cette aura d’un homme qui passe plusieurs séjours en prison, et elle baigne dans des discours parfois contradictoires où elle sait, ou en tout cas le perçoit-elle, que ses fréquentations sont plus que moralement discutables, et où en parallèle sa grand-mère la berce d’une image fantasmée de cet homme, son propre fils, avec qui elle entretient des rapports proche de l’idolâtrie. Dans tout ça, Camille doit, et veut, construire une relation avec ce paternel qu’elle voit épisodiquement, à chaque fois entouré de compagnes différentes et qui  n'est pas à l'aise avec sa propre paternité.

Autour de ces récits familiaux et intimes, 907 fois Camille nous propose le regard d’un tiers, Julien Dufresne-Lamy, qui a entamé son ouvrage en étant l’ami de cette fameuse Camille. Il tient donc à étayer son récit de plusieurs digressions autour de sa propre position d’écrivain mais aussi de confident. Le lecteur suit ainsi la pensée de l’auteur, tiraillé entre son désir de romancier, qui veut construire une histoire à la fois à partir de faits réels mais aussi en connaissant les limites de la fiction, voire la force que cela peut apporter à son livre, et sa volonté farouche de ne pas trahir son amie. Il se retrouve ainsi dans une position parfois peu confortable, où il est amené à entendre des anecdotes douloureuses, teintées du regard de cette jeune femme, qui comme tout un chacun fait avec les images quelquefois déformées de sa mémoire, et où en parallèle il retrouve des coupures de presse et des archives faisant état d’une réalité, qui peut encore une fois être déformée par la machine médiatique.

Tout ceci est mis en regard avec un propos résolument féministe, qui demeure en filigrane dans 907 fois Camille. La place des femmes y est permanente, sans doute pour faire un contrepoint à ce monde d’hommes gravitant autour de la prostitution. Ce qui intéresse l’auteur, c’est de voir les répercutions de tous les agissements de ce proxénète fier de l’être sur les femmes qu’il fréquentait, à la fois dans la sphère professionnelle et intime. Sans se mettre dans la peau des prostituées, il interroge leur statut, et effleure leur ressenti, qu’il projette, mélangé aux déclarations qu’il a pu lire d’elles dans la presse. De même, au travers des propos de Camille, il tente de comprendre comment une jeune femme engagée parvient à réconcilier ses idées progressistes et l’affection ou l’inclinaison qu’elle tente d’avoir envers cet homme qui l’a fait souffrir, tout comme tant d’autres femmes. C’est là une des grandes difficultés de la position de l’écrivain, qui veut rester objectif, d’autant plus au regard de son amie, mais qui se pose de nombreuses questions.

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