Teleny (1893) Oscar Wilde
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Teleny (1893) Oscar Wilde
Les amants maudits et leurs ébats glorieux
Il fallut attendre 1934 pour qu‘une première traduction de Teleny parviennent en France. L’œuvre d’Oscar Wilde n’était d’ailleurs présente dans quasiment aucune biographie de l’auteur jusqu’en 1996. Il faut avouer que la paternité du roman a longtemps fait débat. Aujourd’hui, il est communément reconnu que l’ouvrage fut rédigé à plusieurs mains (sans aucun jeu de mots), dont celle de l’auteur britannique qui en fit les corrections. Il faut dire que le projet lui tenait à cœur : c’est un des premiers romans britanniques qualifié de pornographique qui aborde frontalement le thème de l’homosexualité. D’où la frilosité de nombreux éditeurs, et sans doute également le fait qu’à sa première publication, en 1893, la trame du roman se déroulât à Paris et non à Londres.
De passage à Nice, le narrateur croise un jeune homme pâle en proie à de nombreux tourments, sans doute dus à la tuberculose. Il reconnait Camille Des Grieux, un de ses amis londoniens qu’il n’a pas vu depuis deux ans, où il avait croisé en sa compagnie l’artiste hongrois René Teleny. Logeant au même hôtel, les deux hommes reprennent vite leurs conversations, et Des Grieux se confie. Le narrateur avait eu vent de la mort tragique de Teleny, qui s’était suicidé de façon mystérieuse : le sujet est bien vite abordé, et Des Grieux raconte alors la relation qui l’unit avec le pianiste. Ils se rencontrèrent pour la première fois au Queen’s Hall, où Teleny donnait un récital auquel Des Grieux assistait en compagnie de sa mère.
Débordant de sensualité et de crudité, Teleny est avant tout une histoire follement romantique. Les scènes de sexe, autant homosexuelles qu’hétérosexuelles, sont décrites avec un érotisme débordant. L’auteur n’omet aucun détail, qu’il fut anatomique ou « mécanique », et la fureur des sens y fait pleinement rage. On se doute de la malice que pouvait éprouver Oscar Wilde en écrivant ces lignes qui en offusquèrent plus d’un, et l’on ressent tout à fait le défi qui s’opère ici : vouloir choquer les bonnes mœurs, et donner le chapitre à une forme de sexualité alors interdite.
On connait le destin de l’écrivain irlandais, assigné devant une cour de justice par le père d’un de ses amants, et condamné à une peine de deux ans de prison en 1897. On ne peut d’ailleurs s’empêcher de voir en Teleny la figure de Lord Alfred Douglas. Car Teleny est avant tout une histoire d’amour. Camille Des Grieux et Teleny sont les figures d’un amour fou, sans limite, tout autant charnel que spirituel, et forcément physique et sans issue. Dès leur rencontre, les deux hommes éprouvent une attirance magnétique et un besoin de l’autre inextinguible. Seules les convenances de l’époque et de leurs milieux les empêche d’assouvir leur passion au grand jour mais qu’importe, ils vivent cette passion pleinement et jusqu’au bout.
L’écriture sensuelle de (ou des) auteurs de Teleny nous fait partager cette effervescence avec une acuité fascinante, le romantisme échevelé des personnages peut surprendre, et paraître désuet à l'heure actuelle, mais l’ironie et les bons mots d’Oscar Wilde tempèrent au bon moment de nombreuses situations. La peinture de l’Angleterre victorienne d’alors, ses rites et ses usages, ne manque pas de piques et certaines scènes, à la fois pittoresques et osées, finissent d’attirer notre attention, et d'asseoir notre engouement. Nous avons ici, assurément, un roman brûlant et envoûtant, qui tranche avec les œuvres précédentes de l'auteur mais demeure paradoxalement dans la ligne droite de celles-ci.