Critique et université : les lois de l'hospitalité (2020) David Vasse
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Critique et université : les lois de l'hospitalité (2020) David Vasse
Qui de nous deux inspire l’autre ?
La trajectoire de David Vasse l’a tout naturellement amené à écrire Critique et université : les lois de l'hospitalité. Lors de ses études à l’université de Caen-Normandie, ce passionné de cinéma fonde avec plusieurs de ses camarades la revue Éclipses en 1994. Totalisant près de 70 numéros, ce bisannuel favorise l’exploration monographique d’une ou d’un auteur.e, s’autorisant une large liberté de format, de ton et d’approche critique. À la fin des années 1990, Vasse débute une thèse à propos de Jacques Tourneur quand il est approché par Les cahiers du cinéma et y collabore durant deux ans. Il va finalement orienter ses travaux universitaires sur le cinéma de Catherine Breillat et devient enseignant puis maître de conférences en études cinématographiques. La thématique du cinéma d’auteur français l’intéresse tout particulièrement, et il publie Le Nouvel âge du cinéma d’auteur français ainsi qu’un ouvrage sur Jean-Claude Brisseau. Autant dire que les relations qu’entretiennent analyse filmique enseignée à l’université et critique diffusée par les médias le passionnent particulièrement.
La crise que vit actuellement la critique de cinéma mérite d'être analysée sous divers aspects. En effet, depuis une vingtaine d'années, l'apparition du numérique comme outil de prescription a démultiplié les voix de cet exercice. Les discours critiques, divers et variés, pullulent, d'aucuns saluant le souffle de liberté que cela occasionne, d'autres regrettant la perte d'influence de la parole des experts. Ceci dit, le phénomène n'est pas nouveau, et il y a quarante ans la télévision était pointée du doigt par les défenseurs acharnés de la presse écrite, qui voyaient là un concurrent de taille. Or c'est le contenu et non le media qui va définir la qualité et l'intérêt d'un texte. L'apport théorique d'une critique se trouvera non dans les textes prescripteurs uniquement mus par l'actualité foisonnante des sorties en salles mais dans ceux qui abordent les œuvres d'un regard nouveau, prenant le risque de déplaire aux organes promotionnels et de sonder l'œuvre en question et sa portée artistique. Ainsi, faire progresser la pensée critique et analytique, tel est l'enjeu auquel de nombreux rédacteurs doivent faire face.
À la lecture de Critique et université : les lois de l'hospitalité, on sent que David Vasse est universitaire. Son ouvrage débute, de façon très traditionnelle, par une introduction, qu’il nomme préambule. Sur une dizaine de pages, l’auteur définit les termes essentiels du débat, présente les enjeux, à la fois historiques et contemporains, de son analyse, et bien entendu pose sa problématique. En l’occurrence, une série de questions vont mettre en perspective les chapitres qui vont suivre. C’est là que le lecteur va trouver le nœud du problème qui nous est posé, à savoir comment faire pour réconcilier les deux pratiques que sont, pour le monde des idées sur le cinéma, l’université et la critique. Chacun des sept chapitres sera ensuite développé de façon courte, avec parfois des parties pour orienter le lecteur. Le ton est très pédagogique, et si Vasse utilise des théories, il prend bien soin de les expliquer doctement et bien sûr de sourcer l’ensemble de ses apports théoriques. Le lecteur mauvaise langue pensera que le livre s’assimile à une bonne copie de doctorant, le lecteur plus indulgent fera l’analogie avec un produit qualitatif de la collection Que sais-je.
En tout cas le moins que l’on puisse dire est que Critique et université : les lois de l'hospitalité est un ouvrage référencé. Quasiment l’ensemble des théories sur le cinéma y sont présentées, elles sont d’ailleurs souvent énoncées par des cinéastes ou des critiques, les deux n’étant pas antinomiques, loin de là, que l’on pense aux cinéastes de la Nouvelle vague à des personnalités plus contemporaines comme Thierry Jousse ou bien à Olivier Assayas. François Truffaut est souvent cité dans le livre, qu’il s’agisse de défendre la politique des auteurs ou bien d’insister sur le fait que la critique n’est pas une science exacte. D’autres domaines de la critique sont également invoqués, et l’on peut lire des extraits de la pensée d’universitaires tels que Roland Barthes bien sûr, ou bien Stanley Fish, spécialisé en littérature américaine. David Vasse n’oublie pas de citer des critiques historiques comme celle de Charles Baudelaire, pour qui il n'est pas d'art sans réflexion sur l'art, et cite même des théoriciens de la psychanalyse comme Jacques Lacan. Parfois les références ne sont pas assez fouillées mais elles sont toujours citées de façon pertinente.
Ce que nous raconte Critique et université : les lois de l'hospitalité est dans le fond tout à fait passionnant, pour qui s’intéresse à ces sujet bien évidemment, même si le lecteur qui n’est pas au fait de ces enjeux se sentira peut-être un peu exclu de ces développements. David Vasse débute son propos en insistant sur le fait que de moins en moins de critiques publiées dans des quotidiens, voire des mensuels, ne prennent le temps de contextualiser les œuvres qui y sont présentées. L’attirail contemporain des réseaux sociaux et de la modernité pousse à émettre des jugements lapidaires contraires à l’analyse théorique. L’auteur prend tout de même bien soin de ne pas généraliser, et concède volontiers que le lecteur curieux saura trouver, à la fois dans des revues imprimées et sur des sites ou bien dans des blogs de nombreux textes dignes d’intérêt. Quant au débat de fond qui oppose deux mondes éloignés l’un de l’autre, difficile à dire s’ils sont réconciliables, et même si Vasse appelle de ses vœux dans sa conclusion une union éclairée, elle parait compliquée, en particulier dans un monde où la rentabilité immédiate, y compris des œuvres de l’esprit, a tant d’écho.