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Enfant de salaud (2021) Sorj Chalandon

Enfant de salaud (2021) Sorj Chalandon

Published Sep 19, 2021 Updated Sep 19, 2021 Culture
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Enfant de salaud (2021) Sorj Chalandon

Un héros très discret

Déjà en 2015, Profession du père racontait la folie d’un homme qui tyrannisait son épouse et son fils. Un an après la mort de son père, Sorj Chalandon y racontait son enfance sous la forme d’un roman. Car rien n’y était vrai, mais tout était basé sur des faits réels. Six ans plus tard, le journaliste, qui a reçu le prix Albert Londres en 1988, reproduit avec Enfant de salaud ce schéma narratif. Il place son histoire durant le procès de Klaus Barbie, pour lequel il recevra sa prestigieuse récompense, et entremêle les chroniques d’audience à un récit personnel. Il prend une fois de plus son père pour protagoniste, et nous conte les mensonges d’un personnage qui s’est toujours dérobé. Au caractère fantasque et néanmoins inquiétant de son précédent roman, s’ajoute une couche de folie, celle d’un homme qui a fait croire tout et n’importe quoi à son entourage. Partie prenante de son histoire, Chalandon raconte comment il a été manipulé et réécrit son récit familial.

En avril 1987, le narrateur est dans un village de l’Ain où, 43 ans plus tôt, la Gestapo a fait son sale boulot. Dans une maison isolée, la propriétaire accueille le journaliste, bon gré, mal gré. Depuis des années, les habitants d’Izieu voient passer des visiteurs, venus se recueillir à l’endroit même où une colonie d’enfants juifs avait été embarquée par les nazis. Personne n’a jamais su qui les avait dénoncé, tous ces gamins qui avaient trouvé refuge dans cette maison à la campagne où Sabine Zlatin les avait recueillis. Ils y ont vécu une année en paix, dans des conditions frustes, tandis que la France et l’Allemagne se faisaient la guerre. On leur donnait des cours, ils se baignaient, chantaient, jouaient. Il ne reste plus grand-chose de cette salle de classe, quelques tables, un banc, une ardoise. Puis, en 1943, un convoi d’officiers allemands est venu rompre cette apparente tranquillité.

L’histoire que raconte le père du narrateur d’Enfant de salaud est tout de même incroyable. Il va faire croire, tout au long de sa vie et à l’ensemble des personnes qu’il va rencontrer, tout et n’importe quoi à propos de ses faits et gestes durant la Seconde guerre mondiale. Ainsi le personnage fait-il penser à Albert Dehousse, qui dans Un héros très discret s’inventait de toutes pièces, et avec un talent certain, un passé de résistant au long cours. Sauf qu’ici, ce père insaisissable va-t-il se faire passer tantôt pour un français patriote, tantôt pour un soldat nazi, retournant sa veste par opportunisme au gré du vent. Au travers de cette figure versatile, c’est en creux le portrait d’une époque qui nous est esquissée, où dans un même espace géographique pouvaient se croiser résistants et collaborateurs. Du reste, on comprend au travers du procès-verbal de l’enquête, que découvre son fils bien des années plus tard, combien la confusion qui régnait à ce moment précis de l’Histoire pouvait favoriser ce genre de comportement.

Ce qui est d’autant plus glaçant, dans Enfant de salaud, c’est de voir combien cet homme n’a pas changé d’opinion au travers du temps. Il demeure fidèle à ses convictions, ce qui se lit dans le rapport d’attirance, voire de respect qu’il conserve envers Klaus Barbie. C’est d’ailleurs un autre protagoniste principal de ce roman, qui consacre une place substantielle à son procès. Et c’est tout à fait fascinant de se replonger dans ce morceau de notre Histoire, et de revivre ces moments douloureux où des victimes de la Shoah sont venus témoigner de leurs malheurs. On constate ainsi combien il est essentiel de reparler de cette époque, et de retracer ces destins brisés par une mécanique implacable. Sorj Chalandon adopte le ton juste pour retracer les étapes de ce procès hors-norme, où pour la première fois en France un homme sera condamné pour plusieurs crimes contre l’Humanité. Tout aussi effrayant sont les descriptions minutieuses des personnalités et des attitudes de Barbie et de Jacques Vergès durant ces débats.

Et en plus de ce qu’il nous raconte, la construction d’Enfant de salaud est assez remarquable.Le roman de Sorj Chalandon procède à la fois du témoignage, en ce qu’il a de fidèle aux délibérations du procès, que de la fiction, et ce que l’auteur choisit d’inventer sa propre histoire. Il se met en scène, ou tout du moins, met-il au premier plan un protagoniste qui lui ressemble furieusement, et s’autorise à revivre différemment cette époque, si cruciale pour lui. La mort de son père l’avait autorisé à raconter son enfance douloureuse, là il crée de toutes parts des dialogues avec lui qu’il n’a jamais vécu. On ne peut que supposer la part de catharsis que ce travail d’écriture a pu lui procurer, lui qui n’a jamais pu confronter son père à ses mensonges. L’adulte qu’il est devenu ne peut s’empêcher, même en sachant toute l’histoire, ou tout du moins tout ce qu’il a pu reconstituer, d’éprouver de la tendresse, de l’amour, pour une figure paternelle qui ne lui en a quasiment jamais témoigné, en tout cas frontalement.

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