Le sel de tous les oublis (2020) Yasmina Khadra
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Le sel de tous les oublis (2020) Yasmina Khadra
On ne change pas, on met juste les costumes d'autres sur soi
La trajectoire de Yasmina Khadra n’est pas vraiment banale. Ce romancier est né dans une commune du Sahara au milieu des années 1950, d’un père militaire alors officier durant la Guerre d’indépendance algérienne. Il s’engage à son tour dans l’armée, qu’il va servir durant 25 ans, où il luttera contre le GIA en pleine Guerre civile. Au début des années 2000 il prend sa retraite afin d’exercer à temps plein son métier d’écrivain, qu’il a amorcé depuis plusieurs années. Afin de déjouer la censure militaire, il choisit comme pseudonyme deux des prénoms de son épouse et construit une carrière littéraire émaillée de quelques succès, comme Les hirondelles de Kaboul, adapté au cinéma par Zabou Breitman et Éléa Gobbé-Mévellec. Il publie avec Le sel de tous les oublis une fable qu’il fait débuter dans une province algérienne marquée par les confits armés.
Dalal vient d’annoncer à son mari Adem qu’elle le quitte pour un autre homme : il la gifle et lui demande des explications. En rentrant de l’école, l’instituteur avait trouvé une valise au seuil de leur maison, et son épouse assise sur le lit conjugal. Elle lui dit qu’elle ne l’a pas trompé, et qu’elle a même repoussé les avances de l’homme qu’elle va rejoindre. Dans ce village d’Algérie, Adem se retrouve seul, et même sa sœur aînée ne parvient pas à le réconforter. Il ne retourne pas enseigner, passant ses journées allongé et traînant ses guêtres au bar le soir. Quand le directeur de l’école vient lui demander des nouvelles, Adem lui annonce qu’il démissionne et qu’il quitte tout. Il prend le bus et parvient à Blida, où il passe la nuit dans un hammam. Au petit matin, il se dirige vers la gare où les conversations tournent autour de la récente indépendance du pays, qui renaît difficilement de ses cendres.
Le fil narratif du Sel de tous les oublis est la déchéance d’un homme quitté par son épouse. Son errance le conduit à croiser plusieurs personnages plus ou moins loufoques avec qui il partage quelques aventures censément édifiantes. On se trouve donc dans une fable digne d’un Paolo Coelho, en version orientaliste. Chacune de ses rencontre est pleine de sous-entendus riches de sens, chaque tournure de phrase est lourde de poncifs pseudo philosophiques. Or, le problème réside dans le fait qu’on s’ennuie ferme et que l’on n’a aucune envie de passer du temps avec un personnage aussi antipathique. Le lecteur comprend très rapidement que ses traits de caractère sont grossis à dessein, et que tous les périples qu’il traverse ont pour objectif de forger l’âme du personnage. Reste que la simplicité du style que l'on pourrait qualifier de vide, ainsi que la naïveté du propos sont lassants.
Au-delà du caractère antipathique du personnage principal du Sel de tous les oublis, les rapports humains que le roman dépeint sont tout autant problématiques. Dès le début, Adem nous est présenté comme un homme égoïste et misanthrope, pour lequel le lecteur a du mal à éprouver une quelconque empathie. Cette posture narrative, qui évoque vaguement la caractérisation du protagoniste de L’étranger, ne fonctionne cependant pas vraiment ici. Si la coquille vide que représente ce personnage parvient à mettre en écho les incohérences du système auquel il fait face, on ne se soucie ni de ses déconvenues, aussi violentes soient-elles, ni de ses sentiments. Et là, le bât blesse, d’autant plus que les rapports qu’il entretient avec les femmes sont déroutants. Non seulement il ne s'interroge pas sur les raisons qui ont poussé son épouse à le quitter, mais en plus le traitement apporté par l'auteur à la femme qu’il rencontre plus tard, et à son mari, laisse perplexe.
Car sans vouloir être politiquement correct, on peut légitimement émettre des réserves sur les qualificatifs employés pour désigner le handicap du personnage de l’époux, et sur le regard masculin porté sur le désir qu’éprouve cette femme. On a parfois l’impression, dans certains passages du Sel de tous les oublis, de se retrouver dans un mauvais roman érotique des années 1970, où la libido féminine n’était envisagée que par le prisme du regard masculin, ce fameux male gaze qui fait aujourd’hui l’objet de quelques études. Finalement, seul le contexte du roman mérite que l’on s’y attache : il dépeint une Algérie sortant d’une Guerre d’indépendance qui a laissé des traces, dont cet anti-héros semble le symbole. Tout est à reconstruire dans ce pays ravagé, et Yasmina Khadra semble pointer du doigt le risque que les nouveaux détenteurs du pouvoir ne reproduisent les défauts des anciens colons.