L’attrape-cœurs (1951) Jerome David Salinger
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L’attrape-cœurs (1951) Jerome David Salinger
Errance sublimée d’un adolescent tourmenté
Selon les codes sociaux et moraux en vigueur dans notre société contemporaine, beaucoup plus émancipée que l'époque de la sortie du roman, il peut sembler difficile de comprendre pourquoi L‘attrape-cœurs a suscité tant de violence lors de sa parution au début des années 1950. Le court roman suscite aujourd’hui encore un grand intérêt et est considéré comme un livre culte pour beaucoup d’écrivain (notamment Frédéric Beigbeder, si tant est que ce soit une référence). Il faut dire qu’à l’époque l’Amérique tout comme la France étaient encore assez pudibondes, et les thèmes du roman (rébellion, prostitution, sexe) n'étaient pas vraiment au goût du jour. L’écriture elle-même du roman est libre et le vocabulaire est peu châtié : on est en permanence dans la tête du jeune adolescent qui fait une fugue.
À Pencey, collège de Pennsylvanie, Holden Caulfield s‘ennuie fermement. Il partage ses journées avec une bande de snobinards qui ne l’intéresse pas et n’est pas vraiment assidus aux cours. Il qualifie d'ailleurs Stradlater et Ackley, les deux « amis » avec qui il partage ses journées, de graçons superficiels. À tel point qu’il est viré du collège et doit partir avant les vacances de Noël. Comme il ne reste que trois jours avant les congés et qu’il ne veut pas l’annoncer tout de suite à ses parents, Holden décide de partir tout de suite du collège et de rejoindre New-York avant de revenir à la maison. Après un dernier au revoir à un de ses professeurs, il part tout seul et décide d’habiter à l’hôtel. Entre rencontres éphémères et soirées dans des bars, Holden nous confie sa rage de vivre et son dégoût du monde qui l’entoure.
Le héros de L‘attrape-cœurs est vachement lucide pour son âge, et c‘est-ce qui frappe au premier abord à la lecture du roman culte de J. D. Salinger. Holden a beau avoir 17 ans, il a une vision des évènements et des personnes qui l’entourent à la fois assez saisissante et très crue. Bien sûr c'est un adolescent, donc il manque de l’expérience acquise au fil du temps, et on le sent à fleur de peau, toujours sur la brèche, mais ce côté ouvert à son environnement remporte immédiatement les suffrages du lecteur. On sent une faille chez Holden Caulfield, on ressent immédiatement de l'empathie pour ce garçon qui cherche sa place dans la société, et on a envie de l’aider. Lui-même s’en rend compte, il tente par tous les moyens de s’ouvrir au monde à travers certains de ses amis, ses ex petites copines, ses professeurs ou sa sœur.
Mais il semble que ces tentatives sont d’une manière ou d’une autre vouées à l’échec, le désordre intérieur du héros de L’attrape-cœurs et ses plaies sont trop béantes, et l'on comprend très rapidement que rien ne pourrait les soigner. Le lecteur est d‘ailleurs immédiatement pris à parti : Holden s‘adresse à nous directement, on sent qu‘il a besoin d‘exprimer son mal-être. J.D. Salinger utilise un vocabulaire de tous les jours, celui que les adolescent de l‘époque utilisent couramment, n'hésitant pas à formuler des tics de langage et à utiliser un niveau de langue familier. C’est en cela que le livre était novateur, et c’est pourquoi il parvient à capter notre attention.Mais c'est aussi ce qui a suscité une grande partie des critiques contre le roman, qui considéraient ce style, novateur pour l'époque, comme beaucoup trop commun.
Mais au final qu'importe, et nombreux sont les adolescent qui se sont reconnus dans cet anti-héros dépeint dans L’attrape-cœurs, son errance et son dégoût du monde qui l’entoure. Les années 1950 ont été fortement marquées par une société sclérosée qui a peur d’évoluer, et la décennie qui suivra montrera combien était fort le désir de changement. Du reste la portée du roman a dépassé son époque, et l'on retrouve des références aux péripéties d'Holden Caulfield aussi bien dans la littérature ultérieure que dans la musique, le cinéma ou les séries contemporaines. C’est aussi ça qu’exprime l'œuvre de J. D. Salinger : l’auteur se fait le porte-parole de toute une génération, et d'autres, qui le lui rendront bien. Dix ans après la publication de son roman, Salinger se coupera du monde et vivra reclus jusqu’à sa mort récente ; sans doute Holden Caulfield aurait-il apprécié ça.