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Dîner à Montréal (2019) Philippe Besson

Dîner à Montréal (2019) Philippe Besson

Published May 26, 2020 Updated May 26, 2020 Culture
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Dîner à Montréal (2019) Philippe Besson

On s'était pas dit rendez-vous dans vingt ans

Voilà donc ce Dîner à Montréal, qui poursuit le travail entamé par Philippe Besson avec Arrête avec tes mensonges et poursuivi par la suite avec Un certain Paul Darrigrand. Soit le troisième opus que l’auteur bordelais consacre à « sa vie ; son œuvre », ou pour être plus tendance, à l’autofiction. Une forme narrative que Besson semble aujourd’hui privilégier, même si dans l’ensemble de son œuvre ses expériences personnelles apparaissaient en filigrane. La différence est qu’ici il cite des noms, sans doute fictionnels, tout du moins l’espère-t-on, et n’hésite pas à employer le « je ». Dans cet exercice de style où il implique le lecteur, Philippe Besson va même, régulièrement, jusqu’à citer ses propres romans, et expliquer ce mécanisme d’introspection. Mais il s’agace aussi, comme de nombreux auteurs, de la question lancinante des lecteurs et des journalistes, à savoir si « ça s’est vraiment passé comme ça ».

Des années après l’histoire d’amour qu’il a vécue avec un certain Paul Darrigrand, Philippe le retrouve dans une libraire de Montréal, où il fait une signature pour son dernier roman. Paul s’avance vers lui et ils se parlent brièvement, mais tout de même assez longtemps pour que ce dernier demande à Philippe s’il lui en avait voulu, car lui s’en est voulu. Cette rencontre s’est déroulée en 2007 et Philippe, à 40 ans, commençait alors doucement à sentir le poids des âges. Il arrive au Québec durant le printemps et découvre des terres pour lui inconnues. Il suit un programme établi par son attaché de presse, tandis que son jeune partenaire, Antoine, l’accompagne. Ils se sont rencontrés il y a quelques mois lors d’un voyage et ont rapidement échangé leurs coordonnées. La différence d’âge ne semble pas leur poser de problème, même si pour le monde extérieur il n’en est pas forcément de même.


Le ton de Dîner à Montréal dénote avec celui que Philippe Besson adopte dans ses autres romans, y compris avec ses derniers. Pourtant le livre intervient, chronologiquement et en terme de publication, immédiatement après Un certain Paul Darrigrand, et trois des personnages principaux de ces deux livres sont communs. Mais on ne retrouve pas ici le versant nostalgique qui imposait un ton si particulier au précédent roman. La note de tête qui s’impose ici est plutôt l’ironie et une certaine volonté d’objectivisation de souvenirs etd’émotions. Besson tente ainsi, comme un entomologiste, d’observer les comportements des uns et des autres, y compris lui-même, lors de ce fameux dîner qui a lieu après une longue séparation. Une sorte de jeu de dupes se déroule devant les yeux du lecteur, où chacun joue un rôle pas si clair, et où l’auteur s’amuse à se mettre en danger.

Pourtant le personnage de Dîner à Montréal qui se met plus en danger, c’est davantage Paul, qui lance l’invitation et y amène son épouse. On sent bien que malgré le temps passé, les sentiments et les ressentiments persistent entre les trois personnages principaux. À leurs côtés, le jeune Antoine semble s’amuser et prendre tout cela avec légèreté. Et c’est là qu’on se dit que l’autofiction est tout de même assez osée, puisque Philippe Besson semble insister sur le fait que cette soirée s’est effectivement déroulée, tout en pointant du doigt le fait qu’en tant que romancier il a le droit de s’emparer de ce genre d’expérience pour la romancer. La question n’est plus de savoir ce qui est vrai ou pas dans ces écrits, mais si les protagonistes étaient au courant qu’ils feraient l’objet d’un roman, et le lecteur-voyeur est forcément curieux de savoir comment les un-e-s et les autres ont pu réagir.

Au-delà de ces considérations, la lecture de Dîner à Montréal est tout à fait plaisante. Il semblerait que Philippe Besson s’est délesté, tout du moins pour cet opus, des lourdeurs stylistiques qui encombraient ses derniers romans. Ici les parenthèses digressives existent encore mais elles sont beaucoup plus courtes et ne perturbent pas la lecture. L’apparente froideur avec laquelle l’auteur décrit les événements évite aussi la tendance à l’emphase un peu inutile que l’on pouvait observer auparavant. Et surtout une bonne dose d’humour se dégage de ces pages, et l’on est régulièrement amené à savourer les quelques traits d’esprits dont Besson fait usage avec justesse. On salue surtout l’originalité de l’ouvrage, qui, en dehors des premières pages introductives, se joue avec subtilité de la règle des trois unités. On se retrouve presque ainsi dans une pièce de théâtre un peu cruelle, où le narrateur ne se choisit pas forcément le plus beau rôle.

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