Chapitre 6 : Le Temple

C’est le début d’une nouvelle journée de peur et de flammes pour Ethélys. L’aube

jette une lumière flamboyante sur le Canyon rouge. Entre ses immenses parois de

roche ocre se tiennent les panthères noires ainsi que leur maître, le redoutable Férus.

Le fauve est entouré de ses meilleures combattantes. Capables d’électrocuter et

même de projeter la foudre, les panthères noires canalisent l’énergie électrique,

visible à travers leurs yeux dorés. Seule l’une d’entre elles, la plus rapide, est partie

hier pour mener une mission bien particulière. Elle doit porter un message aux

panthères qui entourent le Hurle-Bois…

Férus est en sécurité entre les gigantesques parois du Canyon rouge et compte

bien en profiter pour se reposer après tant d’efforts. Durant ces dernières semaines,

il a dû rassembler toutes les panthères grâce à ses puissants rugissements et

contribuer à la destruction du solide Mur de Brume. Il est grand temps pour lui de se

recharger en énergie, bien au chaud dans le Canyon rouge. Pendant ce temps, ses

sbires sèment la terreur et soufflent leur feu partout dans Ethélys. Partout, ou

presque : aucune panthère n'approche les Montagnes de Glace au climat rude ou ne

franchit le puissant fleuve Sandroc.

Le seigneur des panthères est protégé, servi et nourri. Tandis que quelques

panthères noires partent chasser, il en reste une demi-douzaine pour veiller sur lui.

Il est totalement invulnérable. Ses énormes muscles se détendent avant d’accomplir

un ultime effort pour assouvir sa soif de vengeance. Au fond de lui, Férus sait

parfaitement ce qu’il doit faire.

Se reposer. Être patient. Puis lancer le signal. Mais d’abord : se reposer.

La large tête de Férus s’agite un peu lorsque des odeurs agréables lui parviennent.

L’arrivée des chasseuses confirme ce qu’il pensait. Le repas est déjà prêt ! Le cercle

des panthères noires s’ouvre pour laisser place au gibier. Des corps de villageois

canins sont trainés au sol, inertes. La marque de Férus est gravée sur ce qu’il reste

de leurs vêtements.

Férus se lève lentement, prend le temps d’apprécier la senteur de ses proies et

dévoile ses crocs tranchants. Un grognement suffit à écarter les panthères noires.

L’énorme félin ne tient pas à être dérangé pendant son repas. Ce moment est à

savourer seul.

Une longue digestion va se dérouler ensuite. Là non plus, pas question

d’importuner Férus. Les panthères noires se tiennent toujours autour de lui, mais

avec plus de distance. Elles se contentent des restes de nourriture que leur maître a

eu la générosité de leur laisser.

Si le corps de Férus est celui de la panthère qu’il était, sa façon de penser rappelle

celle de Suprêmiaou. En effet, c’est lui qui a été transformé par l’arrivée de l’esprit

de Férus, lorsque son corps a été possédé. Cependant, il ne peut même pas influencer

le moindre de ses désirs… Suprêmiaou est emprisonné dans le corps de cette bête

sauvage. C’est l’esprit vengeur de Férus qui décide, pas lui. Il ne peut qu’assister à

ce qu’il se passe. En vérité, Suprêmiaou ne souhaite absolument pas anéantir Ethélys.

Il veut posséder ce monde, pas le détruire !

Impuissante face à la volonté de Férus, la conscience de Suprêmiaou est

enfermée dans un corps qu’elle ne dirige pas. Cet empereur était pourtant habitué à

tout contrôler, tout gouverner. Le voilà désormais incapable d’agir.

Suprêmiaou est le spectateur d’un danger qui menace de tout dévaster, à

commencer par lui-même.

Falcon-Dog n’a pas mis longtemps à se lever. Sa douleur a disparu comme par

magie. Le voilà en pleine forme pour rejoindre le Temple !

Cela fait une bonne dizaine de minutes qu’il suit son guide, l’Ancien, sur ce long

chemin qui serpente entre les roches enneigées. Depuis la cime des Monts de la

Mâchoire, Falcon-Dog a l’impression de se trouver dans un autre monde : il peut

admirer de magnifiques paysages glacés, presque figés dans le temps. Difficile

d’observer les basses terres d’Ethélys, devenues minuscules, mais en plissant les

yeux il peut deviner la présence du Hurle-Bois à travers la brume. Cette forêt

terrifiante est désormais une lointaine tâche vert foncé.

Pendant le cheminement, l’Ancien répond à certaines questions de Falcon-Dog

mais reste silencieux face à d’autres, en précisant que les super-chiens sauront lui

apporter de meilleures réponses. L’ambiance qui règne ici, au Crogel, est

indescriptible. Falcon-Dog se dit qu’il serait parfaitement dans son élément, si

seulement il avait encore ses pouvoirs de glace… Ce triste retour à la réalité lui mine

un peu le moral.

Cette fois, c’est l’Ancien qui décide de lui poser une question :

– À ton avis, pourquoi sommes-nous si bien protégés, les super-chiens et moi, du

haut de ces montagnes ?

– C’est parce que le Crogel est le pic le plus haut d’Ethélys, tente Falcon-Dog en

se doutant que cette réponse est trop facile.

– Certes, mais ce n’est pas tout. Qu’est-ce qui rendait cette longue escalade aussi

ardue, selon toi ? Est-ce seulement la fatigue qui a provoqué ta chute ?

À bien y réfléchir, Falcon-Dog repense à une autre difficulté : les conditions

météorologiques.

– Maintenant que vous le dites, je luttais souvent contre la pluie et le vent…

Heureusement que je ne suis pas sensible au froid parce que cette escalade aurait été

complètement impossible, avec la météo contre moi !

– Ce que tu dis ne m’étonne guère, l’ami. Le climat qui règne autour du Crogel

empêche quiconque d’approcher le Temple. Et tu vas vite comprendre pourquoi…

Sur ces paroles mystérieuses, les deux compagnons marchent encore une

centaine de mètres et, enfin, atteignent le lieu tant attendu. Le Temple. Falcon-Dog

ne prononce pas un mot de plus. Silencieux également, l’Ancien s’incline et le laisse

seul, à l’entrée. Le golden retriever ne perd pas de temps : il franchit le seuil du

Temple.