La Controverse de Valladolid (Jean-Daniel Verhaeghe, 1992)
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La Controverse de Valladolid (Jean-Daniel Verhaeghe, 1992)
Après plusieurs tentatives infructueuses (lois, bulles pontificales) pour mettre fin aux abus perpétrés sur les indiens par les colonisateurs espagnols (dont l'humanité avait été reconnue par le pape dès 1537), un débat portant sur les modalités de leur évangélisation (pacifique par l'exemple ou "musclée" par la force ce qui sous-entendait que l'esclavage était légitime face à la "barbarie" des indiens) eut lieu au collège San Gregorio de Valladolid à la demande de Charles Quint en 1550 et 1551. Il réunissait des théologiens, des juristes et des administrateurs du royaume mais il eut principalement lieu entre le moine dominicain défenseur des indiens Bartolomé de Las Casas et le théologien conservateur Luis de Sepulveda. Ce débat fut épistolaire et aboutit à l'officialisation de l'égalité du statut entre les indiens et les blancs, généralisant de ce fait la traite des noirs pour alimenter le "nouveau monde" en esclaves.
En 1992, Jean-Claude Carrière publia un roman transformant "La controverse de Valladolid" en œuvre dramaturgique de fiction. Œuvre dramaturgique car la correspondance s'y transforme en un dialogue argumentatif entre les deux protagonistes principaux sous l'œil du légat du pape. Œuvre de fiction car par un subtil glissement de sens, la question centrale n'est plus celle du mode d'évangélisation des indiens mais celle, beaucoup plus contemporaine du relativisme culturel. D'une certaine manière le roman fait le procès de l'européanocentrisme et de sa prétendue supériorité culturelle sur les autres peuples reconnus comme des égaux et non plus comme des inférieurs.
Pour accrocher l'intérêt du spectateur, l'adaptation du livre en téléfilm a simplifié les débats autour d'une question compréhensible par tous "Les indiens ont-ils une âme égale à la nôtre?" (ce qui implique dans l'affirmative de devoir renoncer à l'oppression et l'exploitation sur eux). Le caractère théâtral du livre se retrouve dans le téléfilm qui se joue dans un décor quasi unique entre trois monstres sacrés: Jean CARMET dans le rôle du légat du pape, Jean-Louis TRINTIGNANT dans celui de Sépulveda et Jean-Pierre MARIELLE dans celui de Bartolomé de Las Casas. Ce dernier, imprégné émotionnellement par ce qu'il raconte renverse d'emblée les termes du débat en mettant en lumière que les espagnols autoproclamés "fils de Dieu" se sont transformés en démons devant la convoitise suscitée par l'or du nouveau monde et ont commis des pires actes de barbarie "au nom du Christ". Même si Sepulveda est un redoutable rhétoricien qui sait exploiter la moindre faille chez son adversaire, il se contredit à plusieurs reprises en reconnaissant l'existence d'une âme chez les indigènes ce que ne manque pas de relever le légat du pape (Jean-Louis TRINTIGNANT a le talent pour montrer combien Sépulveda encaisse les coups au moindre tressaillement de son visage). Mais ce sont surtout les réactions des quelques indiens exhibés comme des monstres de foire et traités comme des cobayes qui achèvent de faire basculer le spectateur dans la salle et derrière l'écran de leur côté. Réactions humaines à des expériences inhumaines comme celle qui consiste à arracher un enfant des bras de sa mère pour s'apprêter à le passer au fil de l'épée mais aussi celle du rire, non culturel mais universel. L'échec des bouffons à dérider les indiens fonctionne aussi pour nous spectateurs contemporains. En revanche lorsque le légat du pape se vautre sur le sol, les indiens esquissent un sourire que n'importe qui peut comprendre étant donné que cela fonctionne en tous temps et en tous lieux (par exemple quels élèves n'ont pas rêvé un jour de voir leur professeur se "gameller"?)