Burning (Beo-ning, Lee Chang Dong, 2018)
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Burning (Beo-ning, Lee Chang Dong, 2018)
Il met un peu de temps à démarrer ce "Burning" et c'est bien dommage car avec 15-20 minutes de moins, on tenait là un chef-d'oeuvre (mais la suite est tellement sublime que je lui pardonne aisément!). Il faut en effet patienter jusque là pour que le film entre enfin dans son sujet. A partir du moment ou le couple devient un trio, la mayonnaise prend et la tension monte. Comme chez son confrère Bong Joon-ho, Lee Chang Dong réalise un thriller sur fond d'inégalités sociales avec en plus beaucoup de non-dits, beaucoup d'ambiguïtés sur les pulsions et les désirs qui circulent entre Jongsu, Haemi et Ben. La séquence finale par exemple est très hitchcockienne car il s'agit typiquement d'une scène de meurtre filmée comme une scène d'amour (plus exactement comme un coït), scène d'explosion de violence qui n'est pas sans rappeler la conclusion de "Une Affaire de goût" de Bernard Rapp.
Il y a dans "Burning" une opposition assez nette entre la ville et la campagne. La ville est le lieu des relations policées mais aussi d'une sourde violence sociale. C'est la comparaison entre le minuscule studio de Haemi et l'immense et luxueux appartement de Ben ou sa Porsche face au véhicule agricole boueux et délabré de Jongsu. C'est aussi lors des soirées qu'il organise avec ses amis le silence de Jongsu et l'ennui (ou la gêne) de Ben et ses amis devant le comportement exhibitionniste de Haemi. La campagne est le domaine du taiseux Jongsu, le lieu de la remontée des pulsions primitives et sauvages. L'exhibition de Haemi, filmé en contre-jour dans la lumière naturelle sur la musique que Miles Davis a improvisé dans "Ascenseur pour l'échafaud" y prend un tout autre sens, celui d'un rituel quasi magique. On dirait un envoûtement, porté par l'atmosphère visuelle et sonore sans parler du travelling qui part du jour finissant et se termine à la nuit tombante: magnifique! C'est sur ce terreau que prospère toute l'ambiguïté du film. En effet Haemi est décrite comme une illusion. Elle semble davantage sortir de l'imagination de Jongsu (qui se rêve écrivain même s'il vit de petits boulots précaires et ne sait pas ou il va) que de la réalité. Celui-ci se rend dans son studio vide pour y nourrir un chat fantôme et s'y masturbe en cherchant l'inspiration alors que dans la seule scène d'amour où elle est physiquement présente, le réalisateur filme surtout le rai de lumière qui se dessine le long du mur (le mirage donc). Et puis il lui a fait refaire le portrait. Dans le film elle est ravissante et entreprenante alors que dans les souvenirs de Jongsu (qui la connaît depuis l'enfance et l'avait perdue de vue), elle était laide. On peut même se demander si elle existe tout court tant elle paraît irréelle, apparaissant et se volatilisant comme par magie (cette question du visible et de l'invisible, du dit et du non dit, de la présence et de l'absence ou du vrai et du faux traverse tout le film). La relation de Haemi et Ben n'est jamais clairement définie, elle est visiblement attirée par ses signes extérieurs de richesse et elle le distrait sans que l'on sache exactement ce qu'il veut dire par là. Mais le summum d'ambiguïté réside dans la relation entre Jongsu et Ben. Si au début, Jongsu semble dans la position peu enviable du pauvre type qui tient la chandelle, les confidences de Ben mettent littéralement le feu à son imaginaire. Il faut dire qu'une fois le sens littéral écarté (ce qui est assez rapide), l'image de la serre qui brûle ne peut se rapporter qu'à deux choses: le sexe ou le meurtre. Soit ce qui est au cœur de la plupart des œuvres de fiction. Jongsu adhère à la deuxième version (celle d'un thriller criminel porté par une figure de serial killer) d'autant qu'un faisceau d'indices semble aller dans son sens. Mais on peut se dire aussi qu'il "efface" Haemi du paysage parce que le véritable objet de son désir (narcissique) est ce "Gatsby le magnifique"* plein de fric et plein d'aisance. Haemi (qui peut n'être également qu'une projection narcissique de lui-même) a bien su se réinventer en ayant recours à la chirurgie esthétique et en cherchant à se rapprocher des étoiles, pourquoi pas lui en Gatsby? Gatsby qui s'ennuie et semble tout autant chercher les ennuis à moins que ce soit eux qui le trouvent pour un dernier (ou un premier) embrasement, lui qui n'a jamais pleuré ni visiblement jamais aimé.
* Au vu des ambitions d'élévation sociale par l'écriture de Jongsu, il est logique que les références littéraires soient nombreuses, que ce soit l'allusion au roman de Scott Fitzgerald ou à la nouvelle '"L'incendiaire" de William Faulkner elle-même à la source de la nouvelle de Haruki Murakami "Les Granges brûlées" dont le film s'inspire.