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Damian
Le tumulte des balances et des ajustements des instruments forme un brouhaha constant, et je me tiens à l'écart, déjà agacé par les complications du festival. L'absence de mon micro habituel, perdu quelque part entre l'aéroport et ici, aggrave mon humeur déjà sombre. Kurt tente de m'expliquer la situation, mais son empressement à justifier l'erreur me laisse froid.
— Écoute, Damian, si tu avais gardé ce micro avec le reste de l'équipement, on n'aurait pas ce problème. La compagnie aérienne a perdu ta valise personnelle où tu l'avais rangée…
Je l'interromps d'un geste impérieux, mon impatience et ma frustration explosent.
— Je me fiche de tes excuses, Kurt, je lance sèchement. Ce n’est pas mon travail de gérer les bagages. Trouve une solution, et vite.
Kurt reste un moment silencieux, visiblement blessé par ma réaction brutale. Je vois dans ses yeux une lueur de déception et de fatigue, mais il n'a pas le temps de s'attarder là-dessus. Son professionnalisme prend le dessus, et il acquiesce lentement.
— D'accord, je vais voir ce que je peux faire. Je vais appeler l’aéroport une dernière fois.
Je me détourne brusquement, ignorant son regard contrarié. Les autres membres du groupe continuent de s'affairer, probablement habitués à mes sautes d'humeur, mais la tension reste palpable dans l'air. L'énergie du festival, habituellement excitante, me semble maintenant être une nuisance, une intrusion dans mon monde parfait et méticuleusement organisé.
Je m'assois à l'écart, fixant mon matériel de scène avec une intensité presque obsessionnelle. L'importance de ce micro n'est pas quelque chose que Kurt ou quiconque peut comprendre. La pensée de devoir monter sur scène sans mon équipement idéal est insupportable.
Les minutes se déroulent lentement alors que je tente de me concentrer sur le spectacle à venir, mais l’irritation gronde toujours en moi comme une tempête sous-jacente. Les lumières de la scène commencent à briller plus fort à mesure que le jour se lève, et quelques festivaliers commencent déjà à se rassembler, leurs attentes palpables dans l'air.
C’est à ce moment-là que je la vois pour la première fois. Elle se tient légèrement à l'écart de la foule, son regard balayant la zone backstage avec une curiosité mêlée d'une légère confusion, comme si elle avait atterri là par erreur. Elle semble perdue, comme un satellite échappé de son orbite, cherchant désespérément à retrouver son chemin.
Ses cheveux châtains clairs tombent en cascade autour de ses épaules, captant les lueurs des projecteurs qui les transforment en éclats d'or. Son expression est celle de quelqu'un qui essaie de résoudre un puzzle complexe, les pièces ne s’assemblant pas comme elle l’avait espéré. Il y a quelque chose d'irrésistiblement authentique chez elle, une douceur qui contraste avec l’énergie brute et chaotique du festival. Son apparence semble presque irréelle, comme un rêve fugace au milieu du bruit et de la frénésie.
Ce qui attire mon attention, c’est le t-shirt qu'elle porte. Par le plus grand des hasards, c’est exactement le même que le mien – un t-shirt vintage des Stones, usé aux coutures, comme s'il avait assisté à autant de concerts que moi. Le voir sur elle me décroche un sourire involontaire. Il y a quelque chose de singulier dans cette coïncidence, comme si les étoiles s’étaient alignées juste pour nous mettre en face l'un de l'autre.
Elle a remarqué ma présence. Pourtant, elle ne réagit pas comme mes fans habituels. N'importe quelle groupie se serait déjà jetée à mon cou en me voyant, cherchant à capter mon attention à tout prix. Mais elle, elle reste là, stoïque, ses yeux fixés sur moi avec une intensité qui contraste avec son calme apparent.
Il y a quelque chose d'intriguant chez elle, quelque chose qui la distingue des autres. Malgré la vulnérabilité qu'elle semble dégager, je perçois une détermination dans sa posture, une résilience silencieuse qui me fascine. Elle est comme un paradoxe vivant – perdue dans ses pensées, peut-être, mais résolue à se tenir droite, à ne pas flancher. Douceur et ténacité se mêlent en elle d’une manière que je n’ai encore jamais rencontrée.
Cette dualité m'attire plus que je ne l'aurais imaginé. Elle n’est pas là pour jouer un rôle ou pour flatter mon ego. Non, elle est là pour une raison bien plus profonde, une raison que je n’arrive pas encore à saisir, mais que je suis déjà curieux de découvrir.
Elle s’approche, un calepin à la main, clairement ici pour plus que simplement profiter de la musique. Sa démarche est hésitante mais déterminée, comme celle d’une personne qui a une mission à accomplir, mais qui se retrouve captivée en chemin par un détail inattendu. Son t-shirt, associé à une veste en jean et des bottes de combat, ajoute une touche de rock à son allure autrement douce et introspective.
— J’aurai préféré une fan obsessionnelle, pestai-je.
Je n’ai jamais vraiment supporté les journalistes. À mes yeux, ils ne sont que des fouineurs, toujours prêts à remuer la merde pour décrocher un scoop salissant. Leur présence est une intrusion dans mon espace créatif, une menace pour mon intimité. Alors, lorsque je la vois s’approcher, son bloc-notes à la main, quelque chose en moi se crispe immédiatement. L’hostilité envers les médias est une défense instinctive, un bouclier contre la désillusion.
— Alors, tu es une journaliste ou juste une fan ? demandai-je avec un ton acerbe, espérant qu’elle recule devant ma froideur.
— Je suis là pour écrire un article sur…
— Prête à fouiller jusqu’à ce que tu trouves quelque chose que tu pourras utiliser contre nous ?
La jeune femme, bien qu’un peu déstabilisée, tient bon. Elle me fixe droit dans les yeux, une lueur de défi passant brièvement à travers son regard.
— Je suis ici juste pour parler de votre musique, rien de plus.
Sa voix est ferme, bien qu’un léger tremblement trahisse sa tension. Il y a une honnêteté dans ses mots qui me surprend et m’intrigue. Je la dévisage, essayant de percer à jour ses intentions. Avant que la conversation n’ai le temps de dégénérer, Kai intervient.
— Damian, allons, elle n’a rien fait de mal. Donnons-lui une chance.
Sa voix douce, presque apaisante, contraste fortement avec la dureté de la mienne. Il est toujours le médiateur, même quand tout autour de nous est en désordre.
Il se tourne vers elle avec un sourire encourageant, un sourire qui semble capable d’illuminer la pièce.
— Ne t’en fais pas, tout va bien se passer, dit-il tout en se tournant légèrement, il ajoute avec un clin d’œil à la jeune femme à ses côtés. Et toi, tu es avec elle ?
L’amie de la journaliste, dont je n’ai même pas encore capté le nom, me jette un regard curieux, apparemment plus intéressée par le charme de Kai que par la tension qui s’accumule.
Respirant profondément pour calmer l’irritation qui menace de reprendre le dessus, je capitule.
— D'accord, faisons cette entrevue. C’est pour quel magazine encore ?