Harcèlement scolaire, être âgé et s’en souvenir
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Harcèlement scolaire, être âgé et s’en souvenir
Je réagis à l’article dans 20Minutes du mercredi 26 janvier sur le film « Un Monde », car en très gros à côté de la photo, il est écrit « Les adultes oublient ce qu’ils ont vécu ». J’affirme que c’est totalement faux.
En septembre 1966, j’avais sept ans et je rentrais en CE2 (cours élémentaire 2° année). J’étais au collège Clémence Isaure à Toulouse quartier Saint-Cyprien. Les écoles à l’époque n’étaient pas mixtes. Le groupe scolaire comportait lycée, collège et maternelle. Le collège était en béton, tout en long, mais large aussi car il était constitué de deux ensembles distincts et totalement étanches : coté garçons avec la cour attenante à celle du lycée et coté filles avec la cour donnant sur la maternelle. Les garçons avaient des instituteurs et les filles des institutrices, avec un directeur homme et une directrice femme. Fin septembre, mon instituteur est tombé gravement malade et impossible de lui trouver un remplaçant pour l’année. Comme une institutrice était disponible et que la classe CE2 des filles était moins nombreuse que celle des garçons, la solution originale a consisté à séparer filles et garçons et composer deux classes mixtes (c’était sans doute en plus une expérimentation pour le futur). J’ai de sacrés souvenirs de cette année, et j’avais un atout pour me faire remarquer des filles avec mon frère jumeau. Notre classe de garçons de 7-8 ans s’est donc mêlée à toute l’école des filles.
Premier gros souvenir au printemps. Il avait plu dans la nuit et il y avait une grosse flaque d’eau de 5 cm de profondeur sur environ 1m². Avec 2 autres garçons et mon frère jumeau, on s’est amusé à l’heure de la récré à sauter dans cette flaque pour faire de superbes éclaboussures et gerbes d’eau (c’était bien mieux que la marelle). Malheureusement, ma mère qui était institutrice à la maternelle nous avait bien vus à travers le grillage. Elle fulminait en pensant à nos kickers neuves. Elle est intervenue, et à notre retour en classe, elle a obtenu qu’on nous enlève nos chaussures et nos chaussettes pour les mettre sur les radiateurs. Nous étions la risée de nos camarades à montrer nos pieds nus, et je me souviens que j’avais vidé mon cartable et glissé mes pieds dedans pour les cacher.
Ensuite, souvenir avec les filles. Notre place dans la classe correspondait à nos résultats scolaires, et on bougeait tous les deux mois en fonction de nos notes. Je me maintenais au milieu, mais c’était sympa de changer de « partenaire », car les tables d’écoliers étaient groupées par deux (avec une double barre métallique qui séparait les deux chaises, et faisait un tout avec le grand bureau pour deux). On était tous « amoureux » de la première de la classe (Dominique Rumeau), mais elle n’avait d’yeux que pour le meilleur des garçons qui était aussi bon qu’elle et qui était toujours assis à coté d’elle. Je me souviens de plusieurs filles qui s’intéressaient à mon frère et à moi. Elles faisaient tout un mic-mac des notes pour essayer de se trouver assises avec nous. Certaines y sont arrivées et je crois me souvenir qu’il y avait de grosses jalousies entre-elles, mais nous n’y prêtions pas beaucoup attention. Je suis loin du harcèlement, mais je traite d’abord des souvenirs. Et avec les filles, j’en ai un pharamineux. En fin d’année, pendant la journée de la fête de la fin d’année, une de ces filles qui nous tournaient autour avec beaucoup de caractère a réussi à nous inviter dans notre classe pendant que tout le monde jouait dans la cour, juste mon frère et moi (un de nos copains qu’on ne quittait jamais s’était vu exclu et restait derrière la porte dans le couloir). La petite fille, tout en maintenant la porte fermée, nous à placé à 1m d’elle face à elle, et puis brusquement elle a soulevé sa belle jupe à frou-frou pour nous montrer ses jambes et sa culotte (comme les danseuses du french-cancan), et dans la seconde qui suivait elle avait filé. À huit ans, mon frère et moi étions plutôt naïfs et nous n’avons rien fait à la suite de cette « déclaration ».
Enfin le souvenir similaire au harcèlement. La dernière semaine des résultats scolaires, on a eu la surprise (du moins les garçons) que la directrice vienne dans la classe pour prononcer les résultats avec l’institutrice. Toute la moitié des élèves qui n’avait pas la moyenne de la classe a défilé sur la haute estrade où se trouvait le bureau de l’institutrice, un par un dans le sens du classement, et a dû baisser son pantalon ou sa jupe et sa culotte pour montrer ses fesses aux autres et recevoir une série de coups de martinet. Je me souviens qu’avec mon frère, nous avons évité l’humiliation à deux places près et que j’en avais chialé sur place. Nous n’avions pas de « magie » pour lutter contre cette « compétition », même si deux ans avant, pour la fête de fin de maternelle, ma mère nous avait habillés en magiciens.
Ensuite, l’année suivante du CM1 (cours moyen 1, 8-9 ans), on est retourné dans l’école des garçons. Il y a eu cette année un mélange étrange car on a eu dans le collège une nouvelle classe de 6° transition (des garçons âgés de 15 à 18 ans). Ils étaient des adultes à coté de nous et s’emmerdaient bien à la récré. Certains nous avaient pris d’affection, mon frère et moi, sans doute parce que nous étions les seuls jumeaux. Lors d’une récré, il y eu une dispute entre petits à propos de billes (on jouait, à la poursuite sur circuit, au tir…) et un groupe de 10 garçons de mon âge voulaient s’en prendre à mon frère et moi. Trois ou quatre grands de 6° transition sont accourus et nous ont placés derrière eux, les autres leurs sautaient dessus en essayant de nous atteindre, les grands attrapaient les petits par les bras la taille ou les jambes et les envoyaient blackbouler à quelques mètres comme s’ils jouaient avec des polochons. Cette année-là, mon frère et moi n’ont plus jamais été embêtés par les autres, alors que ce fut le cas l’année suivante. Et je confirme ce que montre le film « Un Monde », car mon frère jumeau était plus harcelé que moi et cela me blessait doublement.
Les adultes, comme les jeunes, oublient ce qui n’a pas ou peu d’importance.
Mais ce qui marque reste gravé à vie.