CHAPITRE 25
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CHAPITRE 25
Fête mémorable – Inquiétude royale – La mort en invitée.
Les préparatifs de cette fête m’avaient accaparé une bonne partie de la journée, je voulais que tout soit parfait. Colbert était chagriné des dépenses que j’avais engagées pour ces célébrations. Il me demanda plusieurs fois s’il était nécessaire de faire venir des gondoliers de Venise, des macarons de Paris, des artificiers et d’offrir des parures aux dames de la Cour. Je ne souhaitais regarder à la dépense, la fête devait être fabuleuse, mémorable. Pas uniquement pour attirer les nobles à la Cour de Versailles, également parce qu’il était nécessaire à mes yeux de donner l’impression à nos ennemis hollandais que nous étions aussi riches que puissants.
Les feux d’artifice devaient éblouir tout le monde à la tombée de la nuit, je voulais voir les jardins s’illuminer de mille feux, que les nobles s’y amusent, que la jeunesse folâtre dans les embarcations, et que les plus anciens et les plus nobles soient conquis. Car il y avait toujours des dissensions en la noblesse, et il y en aurait toujours. Je ne voulais sentir indéfiniment le spectre de la Fronde sur mes épaules, j’étais convaincu qu’en les divertissant j’occuperais leur esprit. C’était le cardinal qui m’avait sagement conseillé à ce sujet, les esprits les plus brillants peuvent s’ennuyer si on ne les occupe pas, et c’est à cet instant qu’ils deviennent dangereux.
Ces célébrations commenceraient avec une représentation des Amants magnifiques de Molière et Lully. Par la suite, à la nuit tombante, les feux d’artifice éclateront dans les jardins sur la musique de Lully. J’escomptais que l’ensemble soit accompagné de douceurs afin de titiller les palais les plus gourmands, naturellement servis avec du vin en provenance de plusieurs régions du sud de la France.
Il était important que chaque région soit mise en valeur afin de plaire à chacun. Et puis qu’il était aussi dans mon intention de rappeler que la France allait bientôt entrer en guerre afin de récupérer de nouveaux territoires. Ainsi j’avais fait venir des mets des régions acquises durant la guerre de dévolution, sachant qu’ils plairont à mon épouse.
L’ensemble était exquis, et en dépit des remontrances de Colbert, j’étais assuré de la réussite de cette fête, que j’aurais le loisir d’observer assis sur la scène où je me trouverais, entre mon épouse et mon frère. Tantôt, avec Athénaïs nous avions parlé de ce dernier.
— Ton frère feint d’être encore en colère contre toi, mais il ne saurait le rester bien longtemps. Particulièrement depuis que tu as décidé de pardonner au Chevalier de Lorraine.
Cette décision avait été difficile à prendre, le Chevalier n’avait pas empoisonné Henriette, morte de cause naturelle, mais il restait une menace, un danger constant, attisant la jalousie de Philippe. Cependant, ce dernier s’enfermait à Saint-Cloud, ne sortait plus à Paris alors qu’il avait toujours adoré cette ville. J’étais inquiet de l’état d’esprit dans lequel mon frère se trouvait. Il était capable d’être ivre de tristesse comme il était ivre de joie par moment. Athénaïs et Bontemps pensaient que la fin de l’exil du Chevalier pourrait également ouvrir mon frère à l’idée d’un remariage.
— As-tu une idée de quelle princesse Philippe pourrait épouser ? m’avait-elle demandé.
Mon épouse m’avait posé la même question quelques jours plus tôt. Je voulais les pousser à œuvrer ensemble en un seul et même but : redonner le sourire à mon frère, assurer la paix de la France et un soutien solide contre les Habsbourg. La solution fut assez rapidement trouvée, la Princesse Palatine, dont le caractère champêtre et fougueux avait repoussé de nombreux prétendants, permettrait d’obtenir la voix du Palatinat, un électeur du Saint Empire. Outre l’intérêt politique, le caractère de la princesse me parut tout à fait adapté. Mon frère avait besoin d’une épouse qui serait capable de veiller sur lui.
La candidate parfaite trouvée, il me restait à l’annoncer à mon frère.
Philippe se tenait près de moi à cet instant, observant le bal dansant de la comédie proposée par nos brillants artistes, il était fier de la troupe de Molière et du succès de celui-ci qu’il avait toujours à cœur. Après la pièce, alors que nous recevions les nobles venant présenter leur respect, je pensais l’instant parfait pour aborder la question avec lui. Je lui proposais de gagner les jardins afin de contempler les feux. Philippe accepta sans joie. Je fis un signe à un domestique afin qu’un verre nous soit donné, puis prenant le bras de mon frère je l’entraînais sur la terrasse.
— La fête est des plus réussies, je t’en remercie, fis-je.
Naturellement, Philippe me connaissait, je le flattais avant d’aborder un sujet important.
— Comme tu le sais, un Prince ne saurait rester sans épouse, je pense t’avoir trouvé la candidate parfaite.
Évidemment, mon frère n’aurait le choix sur le sujet pas plus que je n’en avais eu à l’époque même si le cardinal et ma mère avaient habilement réussi à me faire croire que c’était ma volonté. C’était le devoir d’un prince de sang d’établir une alliance politique par son mariage et Philippe le comprenait parfaitement.
— Qui est la bienheureuse ? soupira-t-il avec une pointe d’ironie dans la voix.
J’ignorais les sarcasmes dans sa question, je voulais faire la paix avec lui.
— Élisabeth Charlotte de Bavière, dit Liselotte, la Princesse de Palatine, lui annonçais-je.
Philippe m'observait sans une once d’émotion.
— Je suppose que c’est une affaire conclue et que tu as accepté de me rendre le Chevalier à la seule fin que j’accepte. Tu n’avais besoin de le faire, Louis, je connais mes devoirs. Mais je te remercie toutefois de m’avoir rendu le Chevalier.
Philippe avait la voix chargée d’une tristesse qui m’inquiétait. Notre paix ne semblait s’être faite que par la lassitude qu’il éprouvait.
— Je voudrais que tu sois heureux, mon frère.
Il haussa un sourcil.
— Est-ce un ordre ?
Je posais mes deux mains sur ses épaules et les serrais en lui souriant, enfonçant mon regard dans le sien.
— C’en est un.
Tristement il hocha la tête. Le voir dans cet état m’arrachait le cœur de la poitrine et le réduisait en miettes. J’aurais voulu le rendre heureux, retrouver mon petit féfé si bagarreur et si têtu, mais depuis la mort d’Henriette, il me semblait inconsolable. Même nos discussions sur la stratégie militaire ou les spectacles parisiens ne l’amusaient qu’un temps. Les feux d’artifice qui explosèrent ensuite ne parurent lui chasser ces nuages sombres de ses pensées. Seul le vin coulant à flots l’amena à rire plus tard dans la soirée.
Tandis que les jardins étaient illuminés, que les embarcations voguaient joyeusement, Lully menait la danse avec une assurance qui était belle à voir. Je pris le bras d’Athénaïs pour rejoindre les danseurs. Elle s’enquit de la réaction de Philippe à l’annonce de sa fiancée, et ne parut guère inquiète quant à son état émotionnel.
— Laisse-lui le temps. Son mariage n’était pas des plus heureux, tu sais combien il en a souffert. Henriette ne l’a jamais aimé et je crois bien qu’en dépit de Guiche et de Lorraine, il aurait voulu que leur union fonctionne. Ton frère a toujours eu ce sentiment d’injustice, de passer après toi. Il en souffre, mais il l’accepte. Laisse-lui le temps et il reviendra vers toi.
Sa voix douce chassa les ombres, et nos pas dansants laissèrent la lumière revenir. Nous profitâmes des festivités jusqu’à ce que nos corps soient rompus de fatigue, j’allais me coucher en compagnie de ma favorite tandis que les jardins et les salons étaient encore remplis de courtisans, certains festoieraient jusqu’aux premières lueurs du jour.
Autrefois, je les aurais accompagnés volontiers, lorsque j’étais jeune et insouciant, mais le conseil des ministres avait lieu chaque matin à dix heures que ma nuit fût courte ou pas, jour du Seigneur ou pas. Je gagnais donc la chambre de ma maîtresse, non sans jeter un dernier regard à mon frère qui s’était trouvé un mignon pour l’occuper. J’eus un sourire, cela commençait à ressembler à du bonheur, au moins essayait-il.
Si j’avais su que durant cette soirée magnifique, cette fête délicieuse, la mort marchait parmi nous, buvait dans nos verres, dansait au milieu de nous, je ne sais si je serais parti me coucher aussi promptement, mais nous ne voyons jamais les oiseaux de mauvais augure, nous ne constatons qu’ensuite les traces de leur passage.