CHAPITRE 36
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CHAPITRE 36
Rêves et créatures maudites – danse macabre – hantise à Versailles.
M’assoupissant dans les bras de la marquise je pensais retrouver le plus doux des sommeils. Mes résolutions étaient prises de ne plus laisser les créatures dominer mes pensées et de leur livrer bataille à ma manière, je croyais avoir enfin trouvé la paix. Il me fallait libérer mon esprit, j’en avais besoin pour vaincre Guillaume d’Orange. Les préparatifs de la guerre m’apportaient une tranquille quiétude, l’assurance d’un avenir auréolé de gloire ainsi que de réconciliation durable avec mon frère. Cependant, dès que je fermais les yeux, les créatures ne cessaient de me harceler.
Cette nuit-là, mon sommeil fut grandement troublé, je les revis au bal de Saint-Cloud, je revoyais leurs bras enlacer le pauvre danseur dont j’avais pu examiner les traits à loisir sur la table froide de la morgue, mais il n’était pas encore tout à fait mort dans mon songe, il se débattait encore, tendant une main presque squelettique dans une supplique silencieuse qui m’était adressée. Je pouvais constater que leurs baisers aspiraient la vie de ce pauvre homme, que leurs délicates embrassades et leurs délicieuses silhouettes aux pas gracieux l’entraînaient dans la mort, et que rien ne pouvait le sauver.
Dans mon songe, je tentais malgré tout de l’aider en brandissant ma foi, une croix à la main, hurlant des prières à Dieu, mais celles-ci n’eurent de réponse et les créatures se moquèrent.
— Pourquoi votre Dieu vous aiderait-il ? Vous le trahissez à chaque instant avec cette relation adultère ! Vous pensez pouvoir ignorer les enseignements de votre Eglise et l’appeler à vous lorsque vous avez besoin de son aide ?!
Les créatures riaient en faisant tournoyer le danseur tout à fait mort dans leurs bras. Alors que le désespoir me gagnait, mes cruels ennemis prirent l’apparence de la mort. C’était un bal de spectres dans lequel je me trouvais, et le décor n’était plus le somptueux palais de mon frère, mais une ruine sombre à l’odeur d’humidité assez semblable à celle du sanctuaire.
La métamorphose eut lieu sans que je le remarque, et en quelques mouvements. Ce que je crus n’être qu’une illusion s’avéra être un piège dans lequel je tombais stupidement. Je le compris en contemplant ces lieux que la nature avait envahis, jetant à terre les pierres, où les jeux d’eau étaient devenus une sinistre cascade où ricanaient d’affreuses créatures au visage effrayant, j’étais tombé en leur royaume.
Si les enfers ressemblaient à quelque chose comme cela, je n’en serais point étonné, en tant que catholique, j’en avais l’image d’un supplice rougeoyant, mais la froideur de cet endroit, son sinistre abandon et l’obscurité régnant sur ces lieux où le ciel n’était qu’un amoncellement de nuages sombres me paraissaient tout à fait adaptés à ces créatures. Que faisaient-elles de ces mortels qu’elles attiraient entre leurs griffes ?
Le pauvre homme dansait encore, prisonnier entre leurs griffes d’un bal éternel. Il n’était pas le seul, d’autres danseurs glissaient sur la pierre morcelée, ignorant les racines et les ronces de leurs pas délicats et assurés. Je fus jaloux de la perfection de leurs pas.
Leurs voix voluptueuses s’adressèrent de nouveau à moi, trompeuses :
— Ici, vous pourriez danser sans éprouver la roideur qui vous a atteinte avec l’âge. Votre corps ne faiblirait jamais si nous vous en donnions le don. Nous sommes des fées, nous pouvons offrir des dons merveilleux aux hommes…
Je reculai, effaré, ne souhaitant tomber dans leurs griffes, répondre à leurs suppliques, me laisser aveugler par leurs fausses promesses, j’étais là dans quelque enfer et je ne devais rien faire qui puisse m’y retenir prisonnier, songeai-je en me remémorant les lais que contaient ces dames dans le salon. C’était la seule arme que je pouvais leur opposer : mon savoir, ma connaissance, toute sommaire qu’elle était. J’avais grande honte de n’avoir de souvenirs précis des histoires dont m’avait bercé Perrette.
En m’éloignant des danseurs, je me mis à courir dans des bois sauvages remplis de dangers et tombai sur une maisonnette qui paraissait charmante. J’y vis une pauvre femme qui me parut aux portes de l’épuisement tant elle avait les traits tirés et les yeux hagards. Elle travaillait sans relâche, tissant et cousant de belles robes pour les danseurs. Autour d’elle des lutins s’activaient joyeusement, eux ne semblaient peiner à la tâche contrairement à elle qui souffrait les mille maux et n’osait rien en dire.
Un hurlement d’enfant m’arracha à la triste scène. Plus loin, un tableau plus tragique encore s’imposa à ma vue : un poupon tout à fait humain était entouré de ces créatures, ailées avec de grandes oreilles pointues et des yeux brillants. L’enfant riait à en pleurer, mais son rire dans sa sonorité me parut être en vérité un hurlement. Ces fées ne l’amusaient point, elles l’effrayaient. Le pauvre enfant n’arrivait à se faire comprendre et personne ne pouvait l’en délivrer.
À la simple idée qu’il puisse être le mien, je pénétrai dans la mansarde et tentai de l'arracher aux mains de ces horribles créatures, mais sitôt qu’elles me virent, leur apparence changea, et d’adorables fées elles se transformèrent en abomination sans nom. Leurs mains devinrent des serres et leur bouche le bec d’un oiseau, mais leur corps conservait les marques de leur féminité, une poitrine usée par le temps se balançait à chacun de leurs mouvements.
L’horreur de la scène me stupéfia, mais un seul hurlement de l’enfant suffit à me redonner la rage de me battre, je dégainai l’épée que j’avais à ma ceinture dont je ne questionnais la présence et je fis des grands moulinets pour écarter ces harpies. Ces gardiennes monstrueuses tentèrent de me faire reculer, mais mon épée tranchait les griffes qui s’approchaient trop de moi. Leurs hurlements aigus vrillèrent mes tympans pour autant je ne faiblis, convaincu de pouvoir sauver l’enfant. Mais c’était sans compter sur leurs ailes devenues gigantesques, elles saisirent l’enfant et s’envolèrent au loin, laissant quelques-unes de leurs sœurs s’occuper de moi. J’embrochai l’une d’elles, mais cela parut ne rien lui faire, elle vivait encore la garce !
Je m’éveillai en hurlant ce mot : garce. Mes yeux s’ouvrirent et constatèrent que j’avais embroché non pas une créature, mais un buisson taillé du jardin. Autour de moi, des laquais et gardes effrayés se tenaient à une distance raisonnable. Bontemps, à la figure aussi fatiguée qu’inquiète, me regardait. Le pauvre avait sa chemise déchirée, visiblement d’un coup d’épée j’avais tranché le tissu et s’il n’avait esquivé le coup, j’aurais pu l’embrocher lui. Je jetai l’épée à terre de colère, comment ces créatures avaient pu ainsi berner mon esprit, tromper ma raison et mes sens, me pousser à faire une aussi cruelle erreur ?
— Sire, vous avez encore fait ce songe, n’est-ce pas ?
Bontemps paraissait rassuré à présent que je me laissais guider jusqu’à mes appartements où un domestique m’apporta une tisane destinée à calmer mes nerfs et améliorer mon sommeil.
— C’était pire encore, j’étais en leur monde, et il y avait tant de mortels qui y étaient prisonniers…
J’étais résolu à lui cacher que je continuais à faire ces rêves, mais tenter de dissimuler quoi que ce soit à Bontemps était aussi inutile que vain.
— Vous n’avez cessé de songer à eux, murmura-t-il avec une pointe de déception. Vous avez tenté de me faire croire que vous ne pensiez à eux, tenu éloigné quand vous en parliez à la Reine ou à la marquise, maintenu à distance de tout cela afin que je ne m’inquiète plus pour vous. Mais Majesté, c’est mon travail de me soucier pour vous, et je ne peux faire correctement mon travail si vous m’en empêchez !
Je baissais la tête, reconnaissant qu’il avait raison. J’avais voulu fuir ses remontrances comme je l’avais fait autrefois avec Mère. Mais Bontemps n’en avait pas encore fini.
— J’ai eu tort, pour ma part, de ne pas prêter attention à vos cauchemars, de croire que l’impression que vous aviez eue dans les bois passerait. Sire, vous allez tout me raconter sans omettre quoi que ce soit. Et nous verrons ensemble ce que nous pouvons y faire.
Je fus soulagé d’entendre cela. J’avais toujours considéré mon Valet comme mon meilleur ami et mon premier conseiller, devoir le tenir éloigné de ces tracas qui m’occupaient tant avait été des plus frustrants et difficiles. Aussi, c’est avec un plaisir que je ne cherchais à dissimuler que je lui fis le récit de tout ce j’avais vu : des souvenirs d’enfance à ces intrus au bal, en achevant avec le songe que je venais de faire.
— Sire, pardonnez-moi de ne vous avoir cru.
Je levais une main d’apaisement.
— Vous ne pouviez les voir et n’avez cherché qu’à me protéger, cela est également votre travail. Cessons de regretter le passé et concentrons-nous sur l’avenir. Ces créatures me pourchassent, Bontemps, et jusqu’à présent, rien n’a semblé les arrêter. J’ai peur qu’elles me rendent faible à un moment où je me dois d’être fort.
Bontemps réfléchit longtemps à cette question. Afin de préserver mon sommeil, il fit couvrir ma chambre de croix et Bossuet vint la bénir, mais rien n’y fit. Les cauchemars continuaient. Tout comme la bénédiction des bassins, celle de ma chambre n’avait, semble-t-il, le moindre effet sur ces créatures. J’étais gagné par le désespoir.
Je fis tous les efforts du monde pour ne point songer à ces créatures et ne leur laisser la moindre parcelle de mon esprit en pâture, mais elles revenaient chaque nuit, tentaient de me perdre dans leur royaume, m’y entraînaient chaque nuit un peu plus loin. Même les préparatifs de la guerre et du mariage de mon frère ne diminuèrent en rien l’emprise de ces créatures sur mes rêves. Seule la présence d’esprit de Bontemps semblait m’en protéger. Mes nuits étaient courtes et agitées, et mon esprit fiévreux commençait à se voir, Colbert s’en inquiéta. Bontemps finit par admettre que le plus simple serait que je parte à la guerre, Louvois et Colbert s’y opposaient, mais sur le champ de bataille, je serai loin de ces créatures pensait-il.