CHAPITRE 47
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CHAPITRE 47
La sévérité de Colbert – Nécessité de négocier – Les révélations de Bontemps.
Une fois la créature relâchée, nous restâmes un long moment, tous à nos pensées, réfléchissant à ce qu’elle nous avait révélé. Colbert fut le premier à briser le silence.
— Majesté, si cette créature dit vrai et qu’une espèce de seigneur vit dans les marais et prend des vies humaines comme des sacrifices, je crois que les mesures que nous devons prendre sont assez évidentes. Nous ne pouvons permettre de telles atrocités, pas plus que nous n’allons laisser des créatures imposer leur loi. Le curé d’Anselme nous a donné des instruments afin de lutter contre elles.
Cette pensée, je crois que nous l’avions tous eue à cet instant. Se débarrasser des fées et ainsi du problème, cela paraissait si simple, évident. Presque trop.
— Nous ne procéderons ainsi.
Ma voix claqua dans l’air et intima immédiatement le silence. Colbert avait tendance à prendre un peu trop facilement les choses en main. La plupart du temps, je le laissais faire, surtout dans le domaine des finances où il excellait, de l’art où son mécénat était des plus éloquents ou encore dans la marine où il avait consolidé nettement notre flotte. Mais en l’écoutant à cet instant, je songeais qu’il avait passé peut-être un peu trop de temps avec Louvois pour proposer des mesures aussi radicales.
— Ces créatures étaient ici avant nous, les chasser serait cruel. Cependant, nous ne pouvons leur permettre de s’adonner à des meurtres rituels pas plus que nous ne le permettons à mes sujets.
Je n’ignorais pas qu’il existait encore bon nombre de sorcières pratiquantes dans ces zones marécageuses. C’était un repaire de bandits avant que je ne décide d’y installer le palais de mes rêves. Et il faudrait encore des années avant que le village rempli de ces âmes damnées ne se transforme en une cité splendide.
La créature que nous avions capturée ce soir n’était en rien menaçante. Bien évidemment, ce n’était pas le cas du Seigneur des marais, mais la personnalité de Donnie me donnait quelques espoirs pour une résolution plus pacifique. Je me tournais vers le curé d’Anselme :
— Qu’en pensez-vous ?
Ce dernier prit une longue inspiration avant de répondre.
— Les fées des marais sont versatiles et dangereuses, majesté. Je vous déconseille de parlementer avec elles. Elles adorent pactiser avec les mortels, car elles en tirent toujours profit.
J’observais les deux hommes et dans un claquement de langue, je finis par leur déclarer qu’il me fallait y réfléchir. Je ne voulais prendre de décision précipitée. Je désirais m’enquérir de l’avis de la sorcière et des gens du coin. Si le peuple des marais régnait ici en maître au point que les habitants leur octroyaient des sacrifices, ces derniers devaient être capables de m’en dire plus à son sujet.
Et puis, après avoir réussi à négocier avec la majorité de l’Europe et libérer ainsi Guillaume de toutes ses alliances avant de l’attaquer, je pensais ne pas être mauvais à ce jeu. Mais le Seigneur des marais pouvait également être pareil aux Hollandais, prêt à pratiquer la politique de la terre brûlée. Toutes créatures qu’ils soient, toute magie qu’ils possèdent, ils n’en demeuraient pas moins des êtres ayant à cœur leur domaine, leur famille et leur race. Et la modernité dans laquelle entrait la France ne pouvait qu’être une menace pour eux, cela expliquait leur comportement : un dernier acte de rébellion, une dernière agitation.
La pensée me vint que je ne devais sans doute pas être le premier Roi à avoir affaire aux fées et qu’il faudrait me renseigner là-dessus. Qui mieux que Bontemps pourrait répondre à ces questions, sa famille a toujours servi la mienne, si lui ne savait, Pierre de LaPorte pourrait peut-être m’aider, il avait été mon valet avant Bontemps. Mais avant de faire venir son prédécesseur, je préférais me tourner vers celui qui avait assisté à l’échange avec la fée et s’était chargé de la raccompagner hors du palais avec D’Artagnan.
Entre-temps, Colbert et le curé d’Anselme avaient disparu. J’étais seul dans le salon, plongé dans mes réflexions quand Bontemps arriva.
— Depuis que cette affaire de fée a commencé, vous m’avez mis en garde contre elles. J’ai cru au début que vous vous inquiétiez de la folie qui aurait pu me gagner, connaissant mon caractère. Mais j’ai longuement réfléchi à tout cela. Vous avez tout fait pour que je ne m’en préoccupe pas, que je n’y accorde aucune attention. Pourquoi ? Je ne crois pas que vous ne pensiez qu’elles n’existent. Je doute même d’être le premier roi à les rencontrer.
Mon valet baissa des yeux chargés d’émotions : de tristesse, de colère, de dépit et de lassitude après une dure bataille menée et, hélas, perdue. J’avais deviné juste, rien qu’à son attitude je le sentais. Jusqu’à présent, ça n’avait été qu’une supposition, qu’une extrapolation d’une infinité de détails, dont aucun ne m’avait échappé. Bontemps était quelqu’un de discret, mais il était mon ombre, je l’avais toujours dans mon champ de vision, et l’on se tromperait à mon sujet si l’on pensait que je ne prêtais attention à mes gens. Finalement, après quelques minutes il releva la tête, l’expression lourde de sens sur ses traits, révélant la pénibilité de l’instant.
— Sire, si je vous ai caché quoi que ce soit, c’était pour vous protéger.
— Je sais que vous ne faites que votre travail Bontemps, mais j’aimerais que vous me disiez tout à présent. Garder le secret plus longtemps nous mettrait tous en danger. Je ne peux plus ignorer ce problème ! Ils pratiquent des sacrifices humains, Bontemps, des personnes de ma Cour sont mortes.
À nouveau, il baissa les yeux, puis inspira, cherchant le courage d’avouer ce qu’il avait sur le cœur depuis si longtemps, ce qu’il me cachait depuis des mois, peut-être même des années.
— Je ne voulais, Sire, que vous attachiez de l’importance aux fées, car elles se nourrissent de la foi qu’on leur porte. Plus exactement, lorsqu’un mortel leur prête de l’attention, elles se sentent attirées par lui. De sorte que vos inquiétudes à leur sujet ont fait de vous une cible de choix.
Comment connaissait-il tout cela, et pourquoi m’avait-il laissé dans le noir si longtemps ? Je comprenais qu’il avait cherché à me pousser à les oublier, mais dès qu’il avait réalisé que c’était devenu une obsession, pourquoi ne m’avait-il pas tout conté ?
— Pardonnez mon erreur de jugement, Sire, je pensais que ce n’était qu’une tocade, qu’en rationalisant, je pourrais vous en détourner. Malheureusement, je crains de vous y avoir encouragé en agissant ainsi.
Il me fallait le corriger sur ce point.
— Vous ne m’avez poussé qu’à vous cacher mes inquiétudes. Mais vous aviez raison d’agir ainsi. J’ignorais pourquoi vous le faisiez et je ne pouvais oublier ces créatures. Je n’étais qu’un petit garçon trempé de fièvre quand je les ai vues penchées sur mon lit. Philippe aussi les a vus. Elles nous effrayaient, mais nous fascinaient également. C’est ainsi que tout a commencé, Bontemps.
Une fois lancé dans mes aveux, je ne pouvais plus m’arrêter. J’avais tu tant de choses à mon Valet et ce silence entre nous m’avait été douloureux. Ne pas se confier à son meilleur ami est terrible.
— Je les avais oubliés, pensant que c’était des rêves d’enfant, mais en les revoyant, j’ai su que ce n’était point un songe ni le fruit de mon imagination. Et tout ce que j’ai pu apprendre depuis à leur sujet me le confirme. Mais je dois savoir : pourquoi venaient-elles à nous enfant et pourquoi reviennent-elles maintenant ?
Parler asséchait notre gosier, épuisait nos corps qui avaient dansé et pourchassé une créature. J’avançais donc une chaise afin qu’il s’y assoie et je pris place dans mon siège royal, comme le voulait l’Étiquette exigeant que je sois assis sur une chaise avec accoudoir. La royauté n’était au fond qu’une suite de rituels complexes dont chaque règle avait une importance historique remontant parfois à nos plus lointains ancêtres.
Assis, nous pûmes reprendre notre conversation.
— Vous étiez le dauphin, les fées s’intéressent à tous les enfants, mais les princes les attirent toujours plus. Je ne sais d’où cela vient. Ce que je sais c’est ce dont ma famille a tenté de protéger la vôtre.
Un sourire ourla mes lèvres. J’avais donc raison, d’autres rois avaient été confrontés à ces créatures.
— Mes ancêtres ont donc eu affaire eux aussi à des fées ?
Bontemps hocha la tête avec gravité.
— Autrefois, avant que les Romains ne viennent, elles faisaient les rois et les reines. Bien que leur emprise ait diminué avec les siècles, il semblerait que si une lignée royale est bénie des fées, elle prospère, à l’inverse, si elle s’attire leur courroux elle s’éteint. Les troubles survenus en Angleterre lors de la guerre des roses seraient dus à des discordes entre les peuples des fées. Majesté, je ne suis un expert dans le domaine, je ne sais que ce que mon père m’a raconté, mais vous avez raison de vouloir négocier avec elles plutôt que les affronter. Vous avez toujours su ce qu’il fallait faire, vous êtes doté du meilleur instinct qu’il soit. Cependant, Sire, vous devez rester vigilant. Les fées sont des créatures redoutables.
J’en convenais, car de ce que je voyais, elles étaient capables de prendre des vies et de pousser les humains à en faire autant. Nul doute que les sorciers prospéraient grâce à elles. Mieux valait éviter de s’en faire un ennemi.
— Chaque pays a ses fées ? Chaque roi doit-il traiter avec elles ? Mon père en avait-il fait autant ?
— Chaque contrée a ses créatures. La magie existe encore, Sire, mais je ne sais pour combien de temps encore. Leur puissance diminue, mais pareil à des animaux blessés, cela ne les rend que plus dangereuses. Quant à votre père, je ne sais s’il a eu affaire à elles.
Suivant le fil de sa pensée, et de ses révélations, j’en tirais la conclusion évidente :
— Des traités ont dû être établis avec les fées. Il nous faut les retrouver, Bontemps. Je ne puis défaire ce qui a été fait et plus encore, ignorer le passé sans risquer de tous nous perdre.