CHAPITRE 1
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CHAPITRE 1
Où la prudence serait de mise – Le danger dans les bois – Découverte sordide.
C’était une belle journée, idéale pour la chasse. L’on dit que c’est le sport préféré de ma famille, ce l’était pour mon père. Il n’ait que peu de choses que mon père et moi ayons en commun. La chasse en fait partie, ainsi que notre amour pour Versailles. Sans doute parce que ces bois regorgent de gibiers. Je ne puis affirmer avoir désiré bâtir mon palais ici uniquement pour cette raison, il y en a d’autres, toutes aussi valables, mais il est vrai que je goûte le plaisir d’arpenter les terres où mon père chassait. C’était l’un des rares endroits où je l’ai vu sourire, paraître heureux. Peut-être ai-je pensé que je le serais aussi.
La bête que je traquais était un coriace sanglier, une créature dangereuse capable de charger et de faire tomber un excellent cavalier de sa monture. Traquer un gibier pareil n’était pas sans danger, mais c’était justement là tout le plaisir que j’y trouvais.
De l’audace, je n’en manquais point, peut-être même, en avais-je trop. Installer la Cour à Versailles l’était, décider de diriger seul et sans ministre l’était également, refuser d’abandonner mes visites nocturnes à mes maîtresses au risque de voir Mère s’enfermer au Val de Grâce l’était plus encore. Mais un monarque a besoin d’audace. J’en suis convaincu. Comme un roi de France doit avoir le goût pour la chasse et ne point redouter des proies dangereuses.
Le sang de la bête gouttait sur les feuilles des branchages, je la suivais à la trace. Cela faisait plusieurs mètres déjà que la végétation se faisait plus drue et le chemin moins praticable. Je n’avais besoin de tourner la tête pour savoir que j’étais désormais seul. Cette bête féroce m’avait isolé de ma troupe. J’aurais dû ressentir le danger et renoncer à cette folie. Bontemps allait être furieux ! Mon frère se réjouissait peut-être déjà.
Je suis cruel en disant cela, toutefois je sais parfaitement qu’il est naturel pour le frère d’un roi de s'enhardir lorsque son aîné encourt un danger mortel. Mais je ne lui souhaite guère pareille aventure. Le poids de la couronne écraserait sa tête bien trop précieuse pour être assez solide. Ne croyez point que je me moque, Philippe a d’innombrables qualités, mais très peu d’entre elles sont suffisantes pour régner.
J’aurais dû rebrousser chemin. Les branchages étaient plus resserrés ici et plus je m’aventurais dans ces bois, moins j’étais certain de pouvoir faire demi-tour. Ma monture éprouvait des difficultés à avancer. Il me fallait renoncer. La vie d’un roi est trop précieuse pour être mise en danger, c’est ce qu’on me répétait. Pourtant enfant, un boulet de canon m’avait frôlé, j’avais attrapé la fièvre pourpre en vivant avec les soldats, et tous ces dangers qui avaient manqué de m’emmener dans la tombe m’avaient donné l’amour de mon peuple. Mon père avait été sur tous les fronts en menant son armée. Et cependant, on attend de moi que je reste confiné au Palais.
Un roi doit savoir prendre des risques. Celui-ci était-il calculé ? Hélas non, la sagesse aurait voulu que j’abandonne la traque de cet animal et lui reconnaisse sa victoire. Malheureusement, c’est là mon plus grand défaut. Je ne sais renoncer. Si j’avais fait demi-tour, les évènements que je m’apprête à vous décrire se seraient-ils produits ? Je ne puis le dire. Je regrette les vies perdues. Seule la grandeur de la France gagnée apaise un peu ma conscience dans mes vieux jours. Mais reprenons la chasse où nous l’avions laissée.
Ce sanglier que j’avais blessé me guidait Dieu seul sait où. Il me fallut laisser ma monture que j’attachais à un arbre, car je crois bien que Bontemps aurait eu une attaque s’il avait vu mon cheval revenir seul. Et puis, je n’étais pas certain de pouvoir rentrer à pied, je m’étais considérablement éloigné. De plus, je redoutais les terres marécageuses qui parfois engloutissaient ceux qui passaient dessus, mais ces bois et les racines des arbres devaient m’en protéger pour le moment. Le plus grand danger restait l’animal traqué, d’autant plus dangereux qu’il était blessé. J’avais empoigné ma dague bien que mon pistolet soit la seule arme valable. Je ne pouvais décemment pas tenter de tuer une bête de cette taille avec une simple lame.
Le feuillage que j’écartais se refermait derrière moi comme les portes du palais quand je claquais de mes souliers. J’aimais cela. Cette chorégraphie qui s’orchestrait autour de moi. Beaucoup s'étonnaient que mon existence soit devenue théâtrale, que chacun de mes gestes soit l’occasion d’une représentation, scrutée par la noblesse que j’invitais à m’observer, m’admirer, mais surtout à quérir mes faveurs d’un regard. Tous attendaient cela presque avec impatience. C’était peut-être de l’orgueil, plus sûrement de la vengeance, mais également une nécessité. Cette noblesse que j’avilissais avait cherché à me tuer enfant.
Tous les Rois doivent renoncer à leur vie intime, pourquoi en aurait-il été autrement pour moi ? Quant à son côté théâtral, j’avoue avoir toujours eu le goût pour les représentations et le spectacle. Mieux vaut un bon divertissement à un délétère ennui.
Un grognement se fit entendre, et je le suivis, sans méfiance, mais sans impatience. Père ne m’avait appris que peu de choses, hélas je ne l’ai guère connu, et le cardinal Mazarin n’avait le goût pour ces choses-là. Ce sont mes oncles qui m’ont enseigné que la chasse requiert cette qualité : il s’agit d’attendre que l’animal vienne à vous, qu’il se croie hors de danger, qu’il oublie jusqu’à votre présence et plus encore la menace que vous représentez.
Toutefois, le cardinal m’apprit une leçon d’égale importance, la patience est tout autant une vertu pour un roi. Et qu’il faut davantage écouter et observer les choses dans leur état naturel afin de comprendre la situation et de trouver une solution qui s’accommode au mieux de tous les paramètres. Parfois cela consiste à ne rien faire ou simplement, à flatter et à contenter.
Je m’avançais d’un pas prudent, mais assuré, observant le sang perlant sur le feuillage, sentant encore sa tiédeur sur le bout de mes doigts. Nul sourire pourtant n’ourla mes lèvres. M’approcher de la bête ne signifiait en rien que j’allais la vaincre.
Autre leçon durement apprise : ne point croire qu’être au contact du danger vous rendra victorieux, au contraire, faites preuve d’autant plus de méfiance et de prudence, car l’ennemi vous sentant approcher n’en devient que plus dangereux.
Repoussant le feuillage dru, je réalisais où le gibier m’avait mené. L’ancien sanctuaire. Ses pierres grossières semblaient tenir ensemble par je ne sais quelle magie. Il n’y avait rien de saint en ces lieux, tout ici était païen, obscur et mystique. Je reconnaissais sans peine le récit qu’on en faisait : ces ruines aux formes étranges s’élevant vers le ciel avant de s’effondrer en un gouffre de ténèbres. Selon la légende, c'était là que se tenaient les sabbats des sorcières si l’on croyait en ces choses-là. Et je dois bien confesser, tout roi chrétien que je suis, qu’en ces lieux, devant ces pierres à la surface lissée par la pluie, je sentais le doute m’engourdir.
Car s’il y a un Dieu, il y a aussi le Démon, s’il y a la lumière, il y a également l’obscurité. Les récits de magie noire et de sorcellerie faisaient frémir et jaser, c’était une croyance qui courait au sein du peuple et parfois remontait jusqu’à la Cour. Mère portant si fervente dans sa foi, si respectueuse des dévots qui l’entouraient, avait consulté un astrologue à ma naissance et connu ainsi le destin qui m’attendait. Je n’en ai jamais consulté moi-même, car j’ai toujours souhaité prendre mes décisions guidé uniquement par ma raison et par Dieu. Mais au tréfonds de moi-même, je ne pourrais nier avoir senti un tremblement intérieur alors que j’observais le sanctuaire. Il me semblait que j’avais atteint les limites du Royaume de Dieu et des hommes.
Je ne sais ce qui me prit, mais je n’eus l’ombre d’une hésitation en distinguant une silhouette dans la pénombre, je m’avançais dague à la main. Pourtant je savais que ce n’était la bête. Je ne l’entendais plus depuis que j’avais atteint le sanctuaire, et si les légendes disaient vrai, le sanglier avait sans doute disparu à présent. Certaines créatures n’appartiennent aux hommes à ce qu’on raconte. Le petit peuple les protège. Ce que je découvris ce ne fut point un animal grondant, ce n’était pas non plus une étrange créature digne d’un conte, c’était un homme tout à fait mort, et ce depuis un bon moment. Quand j’en fus certain, je reculais d’un pas prudent et appelait à l’aide.
Je devais laisser mes mousquetaires s’en charger, il était fort possible que ce corps, ce squelette presque, dépossédé de sa chair comme de ses vêtements, fut la proie des bandits de grand chemin qui en dépit de mes efforts continuaient de rôder autour de Versailles et dans ces bois. Le simple fait de m’être éloigné de la troupe m’avait mis en danger. Ce n’était pas seulement la bête et les marécages, mais le risque de croiser des bandits qui n’hésitaient pas à tuer. Ce pauvre hère avait-il rencontré un voleur ou était-il venu ici pour mourir ?
Le sanctuaire semblait être le genre d’endroit où l’on pouvait agoniser et espérer rejoindre un ailleurs, pas le Paradis dépeint par la Bible cependant. Mais peut-être qu’il avait été sacrifié. Des rumeurs de messes noires mentionnaient des sacrifices humains bien que je n’y avais jamais cru avant cet instant. Devant cette scène macabre au théâtre de cette végétation, mes convictions furent balayées et le doute s’insinua en moi. Bien sûr, je n’en dis mot.
Quand les hommes m’eurent rejoint, mon frère en tête, je me contentai de leur désigner la dépouille et de m’éloigner. Je percevais déjà le reproche silencieux dans les yeux de mon valet.
François Vanhille hace 2 años
Le mystère reste entier. Voire s'épaissit. :-)