CHAPITRE 38
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CHAPITRE 38
La guerre de Hollande – La traversée du Rhin – Des frères combattants ensemble.
Partir en campagne est toujours plaisant. La guerre est certes une meurtrière plus assidue que ne l’est la mer ou la maladie, mais c’est aussi une nécessité. J’en suis venu à regretter de m’y être autant dédié, j’aurais aimé prendre moins de vies valeureuses. Et cependant, ces guerres menées contre le reste de l’Europe ont apporté la gloire, agrandi la France et ses territoires. Avant que je ne me lance dans ces conquêtes, nos voisins nous voyaient comme faibles et fragiles, à présent, ils nous considèrent avec crainte. J’ai continué l’œuvre de mon père et de Richelieu, effacé les souvenirs troublés de la Fronde, donné l’image d’un pays fort et puissant avec lequel il faut compter. Mais à quel prix ?
Il est vrai que j’ai toujours aimé les champs de bataille, la fureur de ceux-ci faisait autrefois battre mon cœur plus fort. Mes plus beaux souvenirs d’enfance, au milieu du chaos et de l’humiliation que fut la Fronde, c’est lorsqu’à la tête de l’armée, je me tenais devant ces cités rebelles et que je leur faisais regretter leur choix de s’être opposé à moi. J’étais si fier alors. Mon frère était à mes côtés, ainsi que les hommes les plus valeureux et les plus inspirants que j’ai connus. Je n’étais plus un Roi sans gouvernement, même pas respecté par son propre parlement, j’étais le fier chef d’une armée. Je crois qu’avoir eu une enfance faite de batailles rangées et d’incertitudes quant à l’avenir m’a préparé mieux que toutes les leçons à mon travail de Roi.
Je partis en campagne accompagné de Condé et Turenne, mais également de Louvois et Vauban, ainsi que de D’Artagnan. Je n’emportais cependant pas toute la Cour, comme nous l’avions fait autrefois. Lorsque nous combattions alors pour reprendre les territoires perdus lors de la Fronde, nous ne pouvions la laisser en un palais risquant de tomber aux mains des Frondeurs sitôt l’armée partie.
Nous campions simplement, chevauchions ensembles sans carrosses pour nous séparer, bien que je dus en faire venir un pour D’Artagnan que son âge avancé rendait plus fragile. Je continuais à le voir comme le grand héros de mon enfance, le gardien de notre paix, et surtout de la sécurité de Mère. Il avait toujours été un preux soldat, un féroce guerrier, comment aurais-je pu voir à quel point il était en vérité usé par les années ?
Quand je quittais Versailles, j’avais avec moi l’Angleterre et la certitude que l’Espagne me laisserait faire. Quant au Palatinat, il m’ouvrirait son territoire. Et même si j’avais encore tout le Saint Empire contre moi, je pensais vaincre. L’empereur Léopold n’était pas aussi courageux qu’il le prétendait, il se contenterait d’envoyer quelques troupes, mais oh grand jamais il ne quitterait son Empire pour soutenir la Hollande et ce faisant, il me l’offrait sur un plateau. Je crois qu’il avait espéré que Rome me ferait renoncer à la guerre.
Chevauchant avec Philippe, j’étais heureux de le voir resplendir. La nuit, il trouvait parmi les soldats quelques minets qui lui faisaient oublier le Chevalier de Lorraine. Ce dernier partira en campagne plus tard avec les autres troupes, j’avais ainsi l’espoir qu’il ne distrairait mon frère. Je ne cherchais à les séparer, j’avais compris qu’ils s’aimaient profondément, en dépit de tous mes efforts, et de ceux d’Henriette, ils étaient demeurés fidèles, si ce n’est en acte au moins en pensées.
— Tu m’as l’air heureux, mon frère, fis-je en souriant.
— Toi aussi.
Plus tard, nous soupâmes ensemble. La rudesse de la guerre ne nous a jamais fait peur, bien qu’habitués aux fastes de la cour, Philippe et moi n’avons rien oublié de la simplicité de notre enfance, des lits de camp, de la paille où nous dormions, et de ces palais froids et abandonnés que nous occupions n’avaient pas grand-chose à envier aux tentes et aux abbayes qui nous accueillaient pour la nuit.
Les abbayes avaient l’avantage de nous permettre de parler avec les bonnes sœurs et ainsi d’avoir un aperçu de l’opinion publique. L’on m’a trop souvent dépeint comme un Roi absolu n’ayant cure de l’avis de son peuple, c’est faux bien évidemment. Chaque jour saint, j’allais toucher les malades et demander à Dieu de les guérir, répétant le geste pour lequel mon ancêtre Saint Louis reste célèbre. C’est un rite important, qui me permet de garder le contact avec le peuple, et de renouveler auprès de Dieu ma servitude à son égard.
De plus, j’ai toujours voulu être accessible à mon peuple que ce soit après la messe lorsqu’elle était dite à Saint-Germain où chacun pouvait quérir faveur, pension, ou une quelconque attention sur l’un de ses problèmes ou dans les jardins des palais, plus tard, ce sera en la galerie des Glaces. Ainsi quand la Cour s’est fixée à Versailles, il suffisait à n’importe lequel de mes sujets de louer une épée pour assister au grand lever ou aux dîners. Cette location fut d’ailleurs la source d’une discussion amusante avec Charles II qui s’étonnait qu’on permette ainsi à n’importe qui de s’approcher du Roi armé, oubliant que cette épée était là par déférence, leur permettant ainsi de défendre leur Roi comme leur honneur.
Dès que nous nous arrêtions, nous menions conseil où avec Louvois et Vauban nous tracions les grandes lignes de notre stratégie. Louvois voulait me persuader d’aller directement attaquer Amsterdam tandis que je maintenais la nécessité d’assiéger les villes sur notre chemin. Nous avions suffisamment de généraux pour mener une telle stratégie : Condé, Turenne, mon frère et moi-même pourrions nous charger chacun d’une cité.
Mes nuits étaient alors apaisées, courtes, mais bonnes. Je dormais d’un sommeil tranquille, ne rêvant que de la fureur de la guerre et de Guillaume d’Orange qui pourtant, n’était alors que le chef des armées. Mais je me reconnaissais en lui, il avait bien trop d’ambition pour se limiter à un rôle militaire, il finirait par prendre le pouvoir lui revenant aux dépens de son tuteur De Witt. L’histoire me donnerait raison à ce sujet. Il y a certains domaines où j’avais des visions, je ne sais si ce sont mes efforts qui ont contribué à leur accomplissement ou si j’avais simplement flairé l’air du temps.
Nous nous rapprochions, mais le Rhin s’opposait encore entre ma grande armée et la Hollande. Si sa traversée est restée dans les mémoires, c’est parce que le fleuve est d’une largeur conséquente et ses remous importants. Toutefois, ce n’était la première fois que mon armée traversait un fleuve. Je les aurais accompagnés avec joie, mais Louvois insista lourdement pour que j’aille avec l’artillerie lourde qui dû passer par le pont. Ainsi, je ne pus qu’en être témoin.
Si je l’avais faite, à la nage comme Voltaire et les historiens l’ont exagérément reporté, car nos chevaux savaient parfaitement nager, de sorte que peu d’hommes ont dû réellement se mouiller, aurais-je pu sentir la présence d’ondines ? Sur le moment, je n’y songeais point, je pensais avoir laissé ces créatures à Versailles, je croyais m’en être délivré, je ne pensais point qu’avoir flirté avec elles en mon enfance avait pu m’ouvrir le troisième œil comme avait prétendu la voyante d’Athénaïs. Je ne songeais aux créatures à aucun moment de la campagne, pas avant d’avoir atteint Amsterdam du moins.
Pourtant, durant nos batailles rangées, j’ai vu des corbeaux s’amasser dans les cieux avant d’attaquer les dépouilles que nous n’avions encore enterrées, mais je n’y ai vu là nul mystère, je n’ai songé à Morgane emportant les âmes des soldats terrassés par la guerre. Hélas, nous n’avions le temps de pleurer les trépassés, il nous fallait songer à l’affrontement suivant. Je n’ai donc point vu les ombres glisser le long des rangées de cadavres, je n’ai point vu ces fées exsangues à la peau sombre, spectres affreux et délétères s’accrocher aux morts, en arracher leurs âmes pour les emporter ailleurs, dans les limbes et l’au-delà.
Je ne perçus que la présence divine dans l’éclat du soleil sur le champ de bataille avant que les trompettes ne résonnent, la distinguant en le cerf, symbole royal, qui s’attarda un instant à l’orée des bois attenants.
Tout à mon songe de gloire, à ma stratégie et à mes batailles, je ne voyais que la lumière se disputait aux ténèbres, j’étais enivré par nos victoires et ne sentais l’étreinte glacée de nos ennemis aux multiples visages. Cela valait sans doute mieux, la terreur m’aurait alors saisi. Depuis de longs mois, mon sommeil avait été éprouvé autant par les fées que par les espions hollandais, et à présent, au milieu de la fureur de la guerre, je ne sentais que l’ivresse de l’action, que le mouvement et sa vigueur, j’en oubliais mes nuits agitées et dormais, enfin, d’un sommeil apaisé.