CHAPITRE 55
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CHAPITRE 55
Réflexion avant la guerre – début d’un plan de bataille – négociation entre frères.
Ma nuit fut agitée, ma journée le fut encore plus. J’expédiais le conseil des ministres, demandant à Louvois de se concentrer sur la guerre dont les nouvelles n’étaient guère bonnes. La volonté des Hollandais, loin d’avoir été brisée par ces longs mois de famine dus aux champs noyés, était au contraire d’autant plus résistante. Condé et Turenne voulaient envahir des terres plus à l’Est afin d’isoler Amsterdam et couper l’arrivée de leurs alliés, j’approuvais cette tactique.
Colbert évoqua notre dette qui s’était nettement enflée avec la campagne, il s’inquiétait des effets désastreux sur notre budget si elle s’éternisait.
— Nous aurons de nouveaux sujets à taxer une fois que nous aurons gagné, répliquai-je sans une once de patience.
Mon humeur ne s’arrangea avec la messe, au dîner je fus morose, plongé dans mes pensées qui ne quittaient le Seigneur des Marais.
Comment pouvais-je penser à autre chose après le Songe qu’il m’avait envoyé ? Le message était on ne peut plus clair, il souhaitait notre départ et s’il pouvait emporter le plus de mortels avec lui, il le ferait. C’était la guerre qu’il voulait et nous ne pourrions y échapper ! Toute ma Cour risquerait sa vie sans même savoir pourquoi. Je devais les faire quitter Versailles au plus vite, mais cela signifiait que je devais également partir. Il y avait plusieurs heures à cheval entre Versailles et Saint-Germain, je craignais l’effet désastreux d’une direction des opérations à distance.
Mon frère perçut mon humeur sombre, à présent qu’il savait tout, je pouvais bien me confier à lui. C’est ce que je fis en début d’après-midi, je ne lui cachais rien, ni le Songe que j’avais eu, ni le traité que j’avais lu, ni mes inquiétudes pour la Cour. Philippe avait beau avoir du mal à y croire, il proposa son aide.
— Je peux faire une fête à Saint-Cloud, et inviter toute la cour…
— Je devrais y être, et Saint-Cloud est trop proche encore…
Mon frère regarda Bontemps, ce dernier s’ajouta à la réflexion.
— Majesté, vous étiez souffrant ce matin, vous avez besoin de vous reposer, et de vous éloigner d’ici. Laissez donc les courtisans s’amuser à Saint-Cloud, pendant que vous réfléchirez à une contre-attaque.
Je levais une main pour les faire taire, ma tête était douloureuse et mon corps encore brûlant de fièvre. Bontemps avait raison, mais je ne souhaitais montrer ma faiblesse à ces créatures en reculant. Il me fallait frapper maintenant.
— Nous ne pouvons paraître faibles.
— Vous ne l’êtes pas Sire, mais si vous ne vous reposez pas, vous ne serez plus capable de les affronter ni de partir en guerre contre les Hollandais, vous serez cloué au lit.
J’enrageais, je ne pouvais attendre sagement que le Seigneur rassemble ses troupes ou pire qu’il s’en prenne aux paysans du coin par revanche.
— Cette fièvre que ces créatures m’envoient devrait me terrasser, mais je ne les laisserai pas faire Bontemps. Philippe, j’accepte ta proposition. Mais tu dois me jurer de ne quitter Saint-Cloud sous aucun prétexte.
— C’est bien la première fois que tu m’ordonnes de rester chez moi, répondit-il amusé.
La Cour protégée à Saint-Cloud, j’aurai les coudées franches pour agir. Mais un seul prêtre ne serait suffisant, il pouvait tomber malade, voir sa vitalité aspirée par ces maudites créatures, il allait me falloir plus de ressources que cela.
— Bontemps, faites venir d’autres prêtres et curés, qu’ils soient une dizaine à bénir les marais où travaillent les ouvriers. Que chacun d’entre eux reçoive une croix de fer. Il n’est pas nécessaire qu’ils connaissent la nature de la menace, mais qu’ils en soient protégés.
Bontemps hocha la tête, rassuré que je possède encore assez de vitalité pour donner ces ordres, espérant que je me reposerai ensuite.
— Nous paraîtrons à Saint-Cloud ce soir, à la fête que tu prépares, mon frère. Mais avant de partir, je dois retourner voir la sorcière. Bontemps il faut que vous restiez ici pour préparer le départ, Colbert se chargera de faire venir les traités à Saint-Cloud, je pars avec le prêtre et D’Artagnan au village.
Cette décision parut déplaire fortement à Bontemps qui m'observait avec un froncement de sourcil.
— Majesté, je ne peux vous laisser seul. Colbert peut parfaitement se charger des préparatifs pour le départ.
Je m’approchai de mon valet, je le considérais comme un ami, un confident. Il était toujours mon précieux allié, mais pas à cet instant.
— Vous êtes trop inquiet Bontemps et vous ne connaissez rien à la guerre. J’aurais besoin de Louvois à mes côtés, mais il ne sait rien de tout cela, je me contenterais de moi-même.
Philippe nous regarda, lui aussi aimait beaucoup Bontemps, et je savais que ces deux-là s’inquiétaient parfois ensemble pour moi. Lorsque j’étais malade, en colère, trop entiché d’une passion, ils conversaient en essayant de trouver la meilleure manière d’endiguer ce qui m’accaparait autant. À cet instant, Philippe et Bontemps s’échangèrent un regard et je pus presque deviner ce qu’allait dire mon frère.
— Louvois ne sait pas, mais moi si. Rappelle-toi que j’ai été éduqué par un vieux militaire, je suis tout à fait capable de t’aider.
Je secouais la tête, je ne voulais pas que mon frère risque sa vie lui aussi.
— Tu ne peux pas, nous ne pouvons pas nous mettre en danger tous les deux.
— Tu as un dauphin, tu as même deux héritiers, et ta femme est une bien meilleure régente que je ne le serais jamais. À quoi te suis-je utile ? Divertir la Cour ? Me charger de l’Étiquette, je suis doué pour cela, mais ce n’est pas aussi urgent que de livrer la guerre à ce Seigneur. Tu l’as dit toi-même, nous devons corriger l’erreur que Père a faite pour nous protéger tous les deux. Nous lui en sommes redevables, toi et moi.
Philippe insista, me regardant dans les yeux avec un air qui me défiait. À cet instant, il me sembla voir la force et la volonté de Mère en lui.
— Laisse-moi mener cette bataille avec toi, mon frère, tu as besoin de moi et tu le sais. Tu ne pourras pas l’emporter seul face à cette créature.
Il avait raison, si je voulais attaquer le Seigneur et pouvoir négocier avec la Reine, il me faudrait de l’aide, toute l’aide possible. Je hochais la tête alors.
— D’accord, tu feras les plans de bataille contre le Seigneur, et m’aideras à éblouir le Haut Roi et la Reine. Ceux qui gouvernent toutes les fées. Nous devons rendre si jaloux le Seigneur des Marais qu’il ne pourra qu’accepter nos termes et ceux-ci ne comprendront aucun sacrifice ! Mais avant cela, je veux le faire souffrir, je veux le rendre exsangue, et pour cela, nous allons devoir continuer d’assécher ces marécages, j’ai donné des ordres pour qu’on protège les ouvriers.
Mon frère approuva d’un mouvement de tête, je vis une lueur dans ses yeux.
— Ne prends pas de simples ouvriers pour cela, mais des soldats. Tu en as beaucoup qui se trouvent inoccupés en attendant le gel, utilise-les. Beaucoup sont superstitieux, cela pourrait nous être utile, il faut qu’ils aient conscience de la menace, mais qu’ils ne craignent ces créatures, qu’ils se sachent protéger par Dieu, qu’ils soient convaincus que notre action permettra d’offrir à la France un futur apaisé, paisible, et prospère.
Il parlait comme un Roi, cela devrait me faire ombrage, attiser ma jalousie, titiller mon ego, mais il n’en fut rien, j’étais fier de lui, heureux qu’il me rejoigne sur ce champ de bataille. Je posais ma main sur son épaule.
— Tu parles comme je le ferais, je suis heureux que tu m’aides Philippe dans cette bataille. Tu te chargeras de choisir les soldats et de les prévenir contre les dangers qui les guettent. Des prêtres vont venir, ils accompagneront les soldats, béniront le marais.
Mon frère me regarda.
— Je crois que cela pourrait marcher.
— Je l’espère.