C'était Bory (2011) Daniel Garcia et Janine Marc-Pezet
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C'était Bory (2011) Daniel Garcia et Janine Marc-Pezet
Retour sur une légende du Masque et la plume
Si C’était Bory existe, c’est par la volonté de la Société Civile des Auteurs Multimédia, qui défend les droits des auteurs. Pour fêter son trentième anniversaire, ils avaient souhaité rendre hommage à un artiste aux nombreuses facettes : écrivain, critique, scénariste. Ils ont demandé pour ce faire à Daniel Garcia, qui avait écrit une biographie de Jean-Louis Bory en 1991, et qui ne savait pas vraiment au départ comment articuler son récit. Il décida d’en faire un livre-CD contenant une vingtaine d’interventions du critique de cinéma au Masque et la plume, et reprenait pour l'occasion les textes qu’il avait publiés vingt ans auparavant, étoffant certaines parties et ajoutant à la fin plusieurs textes écrits par Jean-Louis Bory à divers moments de sa vie. Un très bel objet qui complète parfaitement la pièce Instants critiques qui fut mise en scène par François Morel.
Le début
C’est en 1919 que naît Jean-Louis Bory dans le village de Méréville, dans l’Essonne, où il va plus tard conserver une maison. C’était alors encore un bourg de campagne comptant un millier d’habitants, avec des champs à perte de vue. Sa mère est institutrice puis directrice de l’école communale, et son père est pharmacien et fils d’instituteurs. La méritocratie, l’ascension sociale par le biais du savoir et de la connaissance, tels sont des thèmes chers au jeune homme qui fera ensuite une carrière d’enseignant. Car c’est un élève appliqué qui dans les années 1930 excellera en particulier dans les matières littéraires. Il décroche cependant invariablement le Prix d’excellence et réussit dans toutes les matières, ce qui l’amène au lycée Henri IV où il commence une khâgne, et où il croise notamment un certain Éric Rohmer.
Analyse
Le portrait qui nous est dépeint dans C’était Bory est non seulement passionnant mais également très émouvant. Pour de nombreux auditeurs, certes plus tout jeunes, la figure de Jean-Louis Bory est celle d’un homme flamboyant, capable de s’emporter de façon lyrique sur les films qu’il a aimé. Ses duos avec le journaliste Georges Charensol sont, dans Le masque et la plume, l’occasion de joutes oratoires particulièrement brillantes où deux cultures s’opposent frontalement. Mais on apprend que le critique de cinéma a débuté sa carrière non seulement en tant qu’instituteur mais s’est fait connaitre en 1945 pour un livre intitulé Mon village à l’heure allemande. Alors enseignant dans un lycée de Haguenau, il se voit attribuer le prestigieux Prix Goncourt avec le soutien actif d'une certaine Colette.
Ce prix trop tôt décerné va hanter très longtemps Jean-Louis Bory, alors que les livres qu’il publiera plus tard n’auront pas de succès. Malgré la notoriété qu’il gagnera à la radio, il restera marqué par cet absence d’estime que subissent nombreux des lauréats de cet illustre prix, et qu’il exprimera très joliment. Et C’était Bory nous permet également de connaître mieux le personnage intime, l’homme que fut Jean-Louis Bory à la fois de façon publique et privée. Homosexuel il l’était, et il ne s’en cachait pas, ce qui détonnait fortement dans la France des années 1960 et 1970. Il fait son coming-out en 1973, à travers un livre qui s’appelle Ma moitié d’orange, vendu à sa sortie à plus de 50 000 exemplaires, un succès pour l’époque. Notons d'ailleurs qu'il militera dans des associations de lutte contre l'homophobie, telle qu'Arcadie ou le Front homosexuel d'action révolutionnaire (FHAR).
Ainsi, alors que l’homosexualité montre timidement le bout de son nez dans le débat public, Jean-Louis Bory devient pour beaucoup l’étendard du droit à l’indifférence, une des revendications phares de l'époque. Cette casquette le poursuivra longtemps, comme nous le montre C'était Bory, et participera sans doute à son mal-être et à la dépression qui le mènera au suicide en 1979. Car Bory était un homme qui souffrait depuis longtemps, et dont la face cachée est à l’opposé de l’image du trublion médiatique qui le fit connaitre, et de fort belle manière. Quel dommage qu’il soit parti si tôt, il n'avait somme toute même pas 60 ans, tant son talent éclate à travers les textes et à travers sa voix que l’on écoute avec ravissement dans des débats mythiques et homériques que l’on aimerait entendre plus souvent.