Dernier chapitre : Adieu, Falcon-Dog…

Après deux heures de bataille acharnée, la plupart des panthères se sont enfuies

pour diverses raisons : blessures trop importantes, abandon de la lutte devant tant de

difficulté, infériorité numérique…

Les trois fauves restants sont encerclés par les loups, qui sont prêts à bondir. D’un

pas solennel, le Père des loups approche ; sans Lisa et Mauve, cette fois-ci. Le mâle

alpha prend le temps d’observer ses derniers adversaires. La première panthère a le

visage déformé et rayé par les griffures. La deuxième est incapable de se déplacer, à

cause de deux pattes en sang. Et la troisième agonise, lentement, depuis que sa gorge

a été tranchée. Leurs yeux semblent demander la pitié du grand loup. Elles veulent

simplement la liberté, pour essayer de survivre ailleurs malgré leurs handicaps.

Pendant quelques instants, le Père préfère laisser planer le silence. Les loups

attendent le verdict, tout autour, pour savoir s’il faut laisser les trois panthères en

vie. Sa décision est déjà prise, mais il reste là, impassible, à les scruter. Finalement,

le chef de la Meute sacrée pousse un hurlement et donne le signal. Les loups se font

un plaisir d’achever leurs victimes…

La bataille de la colline semble enfin terminée. Le clan des loups a vaincu ce

groupe de panthères, au premier regard. Cependant, ce bataillon-là n’était que le tiers

de l’immense armée de Férus. Sans compter que cinq loups ont été blessés trop

sévèrement. Même les meilleurs pouvoirs de guérison ne pourront pas les soigner.

L’équipe de la Révoltruffe n’a subi aucune brûlure, même si les boucliersgamelles sont restés dans l’aéro-niche, au village des épagneuls. Néanmoins, depuis

la disparition de Falcon-Dog, Lisa et MégaBilly ne peuvent pas rester tranquilles. Ils

le cherchent activement sur toute la colline, mais sans succès. L’Amiral Cabos se

sert de ses jumelles, pour essayer de repérer le super-chien malgré la nuit qui tombe.

En se déplaçant au-delà de la colline, il parvient à apercevoir un corps gisant au sol.

— C’est Falcon-Dog ! hurle Cabos. Il est là, regardez… Il faut vite le rejoindre !

Tous réunis autour du super-chien inanimé, les Canins et les loups sont sous le

choc. La panthère noire a été vaincue, mais elle a eu le temps de lui infliger un choc

électrique, peut-être fatal. Lisa est la première à s’accroupir près de lui, en

sanglotant :

— Falcon ! Est-ce que tu m’entends, dis-moi ?! Réponds, Falcon !

Aucune réponse pendant de longues minutes. Petit-à-petit, ses paupières

s’ouvrent légèrement. Ses yeux bleus ont du mal à reconnaître le visage qui lui fait

face, mais une voix faible se fait entendre :

— Lisa, c’est … c’est bien toi ?

Après l’avoir serré avec vigueur, Lisa pousse un long soupir de soulagement.

Billy s’accroupit près de son ami. L’Amiral Cabos est rassuré lui aussi, et lui

demande, après avoir observé la panthère noire :

— Que s’est-il passé, dis-moi ? J’ai du mal à comprendre comment les

événements ont pu se dérouler.

Falcon-Dog prend le temps de se relever, avec l’aide de ses amis. Il jette un coup

d’œil vers le fauve, embroché par le pic de glace, et se rappelle de la colère qui l’a

animé. À aucun moment, le super-chien n’avait connu une telle haine. Sauf quand

cela concerne ses proches, comme Mentalos, Falcon-Dog ne connaît pas le désir de

vengeance. En se remémorant la scène, avec une pointe de regret, il raconte :

— J’ai poursuivi cette panthère noire, au cours de la bataille, jusqu’à m’écarter

de la colline. Je lui ai couru après, sans jamais m’arrêter, pour venger Mentalos.

Quand elle m’a sauté dessus, j’ai attaqué au même moment et… c’est là que j’ai dû

m’évanouir.

— La panthère noire a sûrement eu le temps de te frapper, comprend Cabos. Mais

son pouvoir ne t’a pas… hum, électrocuté.

— Le choc électrique m’a simplement assommé, j’imagine.

Néanmoins, même s’il a repris connaissance, Falcon-Dog sent que quelque chose

a changé en lui. Il ne pourrait pas l’expliquer, ce n’est qu’une intuition. C’est comme

si l’électricité l’avait « transformé », en quelque sorte… Tout-à-coup, sous le regard

de ses amis, Falcon-Dog se tient le ventre en grimaçant de douleur.

— Qu’est-ce qui ne va pas ? s’inquiète Lisa.

— Mon… mon ventre… gémit Falcon-Dog, plié en deux.

Comme s’il avait avalé de l’acide, le super-chien a l’impression que l’intérieur

de son corps va se dissoudre. Tout-à-coup, il comprend tout. Il comprend ce qu’il se

passe. Il comprend les lourdes conséquences du choc électrique. Il comprend que …

Afin de s’en assurer, Falcon-Dog se redresse et prévient :

— Ecartez-vous un peu, je dois vérifier quelque chose…

Lisa, Billy et Cabos s’éloignent.

Falcon-Dog exerce un geste technique avec une patte avant, mais rien ne se

produit. Il réessaie plusieurs fois, en levant la patte d’un geste vif après avoir inspiré

profondément.

— Rien, soupire Falcon-Dog. Rien !

Lisa affiche un visage attristé : elle semble avoir compris.

Une vague d’épuisement Falcon-Dog, qui tombe à quatre pattes. Il relève la tête

vers ses amis et déclare, d’une voix affaiblie :

— Mes pouvoirs ont disparu…

Au bord du Hurle-Bois, un campement vient d’être dressé pour la nuit. Les

Canins sont épuisés par toutes ces aventures. Même si leurs lits de feuilles sont peu

confortables, ils trouvent vite le sommeil. Autour d’eux, les loups dorment en

formant un cercle. Seul l’Etranger, comme à son habitude, se tient à l’écart. Parfois,

il s’isole lui-même. Sa blessure à l’épaule n’a pas été soigné par les loups sacrés,

comme Lisa l’avait prévu. « Les loups me respectent, se dit-il, mais ils ne m’aiment

pas. Et c’est réciproque, de toute façon. »

Au beau milieu de la nuit, Falcon-Dog traverse un mauvais rêve. Il se retrouve

face à son vieil ennemi. Celui qui a réduit son village en poussière. Celui qui a tout

fait pour écraser la Révoltruffe. Celui qui avait un orgueil suprême. « Suprêmiaou ! »

crie Falcon-Dog, enchaîné, dans son bureau. Le fameux chef suprême des félins se

tient là, avec son sourire narquois et ses airs de petit prince. Derrière lui, l’un des

murs de son bureau est caché par les nombreux super-chiens empaillés. Ce sont ses

trophées de guerre. Ce détail-ci fait partie de la réalité. Dans la suite de son rêve,

Falcon-Dog entend la voix aiguë de Suprêmiaou : « Misérable chiot, tu n’as rien de

menaçant ! Regarde un peu mes trophées suprêmes : ils sont beaux, non ? Tu vas

finir comme eux… » Le golden retriever se rend compte qu’il est redevenu chiot, en

l’espace de quelques secondes, et se sent impuissant. En repensant aux mots de

Suprêmiaou, il trouve le courage de relever la parole : « Tous les super-chiens qui

ont existé, où sont-ils ? C’est à cause de toi, c’est ça ?! Les karaté-cats les ont tous

vaincu ! » Le visage de son ennemi est tordu par une grimace suprême. « Hélas,

non ! Mon armée suprême ne les a pas tous capturés… parce qu’ils ont fui ! Voilà la

vérité : tes héros courageux se sont tout simplement enfuis ! » La déception de

Falcon-Dog est immense, surtout quand il remarque la présence de Mentalos parmi

les trophées de guerre. Suprêmiaou pousse un rire moqueur, qui devient de plus en

plus grave. Même s’il ne lui a jamais fait peur, son ennemi prend tout-à-coup un air

terrifiant. Un détail alerte Falcon-Dog : l’œil gauche du félin change de couleur. Sa

pupille, devenue orange, prend des reflets flamboyants. C’est au moment où le superchien tombe dans un immense volcan que son cauchemar s’arrête.

Incapable de contrôler les battements de son cœur, Falcon-Dog ne parvient pas à

retrouver le sommeil. Il préfère alors se relever et marcher dans l’obscurité de la nuit.

Le golden retriever passe entre les corps des loups encore endormis et remarque la

présence de l’Etranger. Celui-ci ne dort pas non plus et l’observe un moment, avant

de demander :

— Un cauchemar ?

Impossible pour Falcon-Dog de savoir si sa question est sincère, ou si ce n’est

que du sarcasme.

— Tu t’es réveillé à cause d’un cauchemar ? ça arrive souvent aux chiots.

— Non mais… ! s’exclame le golden retriever, vexé. Je ne suis PAS un chiot !

Pourquoi vous aimez provoquer les autres, tout le temps ?!

— Détends-toi un peu. Vous êtes si susceptibles, vous, les « Canins » … Assiedstoi, plutôt. Et raconte-moi ton rêve. Ne sait-on jamais, les rêves peuvent parfois être

intéressants, non ?

Décidément, ce personnage semble difficile à suivre… Malgré tout, Falcon-Dog

ne sait pas pourquoi, mais il finit par accepter l’invitation. C’est avec calme qu’il

raconte l’entièreté de son rêve. Pendant ce temps, l’Etranger reste si immobile qu’il

semble dormir. Cependant, c’est loin d’être le cas : son esprit cogite à grande vitesse.

Il analyse chaque élément, chaque détail, chaque sens caché. D’après lui, les rêves

ont souvent un double-sens.

— Dans tout ce que tu m’as raconté, commence l’Etranger, il y a beaucoup

d’éléments à relever. Ce que dit Suprêmiaou au sujet des super-chiens, c’est la vérité.

Falcon-Dog est profondément déçu sur ce point-là. À son réveil, il s’est rassuré

en se disant : « Ce n’était qu’un mauvais rêve ! » Et pourtant…

— Beaucoup de super-chiens ont abandonné la lutte contre les karaté-cats, au fil

du temps. En revanche, ce n’était pas du tout par lâcheté. À leur place, j’aurais fait

exactement la même chose. Il existe un endroit, dans les Montagnes de Glace, où les

derniers super-chiens se sont réunis. Selon les rumeurs, ils se sont exilés au point le

plus haut des quatre Monts de la Mâchoire.

— J’ai déjà aperçu les Monts de la Mâchoire, affirme Falcon-Dog, nostalgique.

Mon village se situe dans des Montagnes de Glace, et j’allais souvent jouer près de

ces quatre monts.

— Leur sommet, où se trouvent apparemment les super-chiens, s’appelle le pic

du Croc-Gel.

— Le pic du « Croc-Gel » ? Jamais entendu parler.

— Ce ne sont que des rumeurs, mais j’adore ce genre de récits… Qui sait ? Peutêtre qu’il reste des super-chiens, là-haut, qui observent Ethélys en ce moment, et qui

se disent : « Quel chaos, tout de même ! »

Même s’il sourit un peu en entendant cela, Falcon-Dog se pose réellement la

question, au fond de lui. L’Etranger reprend, avec un ton beaucoup plus sérieux :

— Dans ton rêve, il y a autre chose qui m’a interpelé. Cela concerne l’œil de

Suprêmiaou… Il s’est coloré en orange, à la fin, et ce n’est sûrement pas un hasard.

J’ai ma petite hypothèse, pour expliquer ça. Dans la légende qui porte son nom, Férus

possède également un œil orange vif.