Au fond du Hurle-Bois, l’équipe est toujours en train de suivre le loup qui a

accepté de les escorter. Drôle de guide, tout de même ! Quoi qu’il en soit, les Canins

sont enfin en sécurité, désormais.

Ils doivent leur vie à l’Etranger, qui est parvenu à

les sauver d’une manière inattendue. En y repensant, Lisa est encore impressionnée

par les gestes qu’il a effectués avec son collier. Elle décide de lui demander plus

d’informations, accompagnée de Falcon-Dog et de Mauve, et guidée par la curiosité.

— On ne peut rien te cacher, décidément… soupire l’Etranger, tout en continuant

à marcher. Je vais être obligé de raconter une petite anecdote, j’ai l’impression.

« Tout a commencé lorsque je suis tombé sur la légende du Hurle-Bois, dans

mon livre des Cinq Mondes. Je commençais à m’intéresser fortement aux loups et,

en me promenant dans les tréfonds de la forêt, j’espérais bien en rencontrer un.

N’ayant peur de rien, je m’y suis aventuré sans arme ni équipement. Ce n’était pas

du tout du courage, mais plutôt de l’inconscience !

« À force de marcher, marcher et marcher encore, sans relâche, j’ai réussi à

apercevoir une grotte. Je me suis arrêté près d’un ruisseau et, après une hésitation,

j’ai eu peur. Peur, oui. J’ai eu peur de ce qui m’y attendait. J’ai pris peur et je me

suis enfui. C’est alors qu’un hurlement a résonné dans la grotte. Mais ce cri ne venait

pas d’un loup menaçant, certainement pas : c’était plutôt celui d’une bête souffrante.

J’ai donc décidé de me rapprocher prudemment de la grotte.

« En effet, au fond de la cavité rocheuse, j’ai découvert un vieux loup sacré. Je

l’ai vite compris, en me plongeant dans ses prunelles profondes. Il souffrait, c’était

évident. Pour la première fois de ma vie, je me trouvais près d’un loup… quelle

sensation incroyable ! Et il ne m’a pas menacé. Je distinguais autour de lui, malgré

l’obscurité, plusieurs squelettes. J’ai donc compris

que je ne me trouvais pas dans une grotte ordinaire,

mais un cimetière de loups sacrés. J’ai utilisé mes

meilleurs remèdes végétaux pour apaiser les

douleurs du loup sacré, et ça, il l’a bien compris.

Hélas, je ne pouvais rien faire pour cette vieille

bête mourante, alors je me suis décidé à quitter les

lieux.

« Le loup sacré a poussé un léger hurlement, affaibli mais curieusement puissant.

J’avais l’impression qu’il voulait me dire quelque chose. Il a consacré ses dernières

forces à se traîner auprès du squelette d’un ancien loup sacré, semble-t-il, pour y

saisir quelque chose avec sa mâchoire. Puis il m’a tendu une magnifique dent, terne

et obscure, mais inexplicablement belle. Son dernier regard m’a fait un drôle d’effet :

j’avais l’impression que c’était là un remerciement, un cadeau, un adieu…

« Depuis ce jour inoubliable, je porte toujours cette dent de loup sacré à mon cou.

Pour me porter chance, en quelque sorte. Il est vrai que, jusqu’ici, il s’est avéré utile

pour obtenir le respect des loups sauvages. En apprenant un langage ancien, afin de

communiquer avec ces créatures antiques, je suis parvenu à devenir le maître des

loups.

« Voilà toute l’histoire. Si mon collier est unique, c’est grâce à cette dent de loup

sacré.

À leur arrivée au cœur du Hurle-Bois, les Canins n’en reviennent pas : devant

eux se tient la mythique grotte abritant la Meute sacrée. L’immense colosse de roche

est entouré d’un profond sillon, où coulent des eaux sombres et froides. L’équipe

s’approche de cette douve, avec méfiance, alors que Billy s’écarte discrètement. Le

loup sauvage est parti. Ils sont seuls, désormais, et se demandent comment atteindre

l’autre rive, quand … Crach ! Un énorme tronc d’arbre déraciné se couche

bruyamment en travers du sillon, comme un pont idéal. Tous les visages se tournent

vers Billy avec stupeur, qui monte dessus en premier et clame :

— Voici un pont plutôt solide, pas vrai ? Allez, on traverse dites donc !

Les équipiers de la Révoltruffe félicitent le super-chien, dont la force démesurée

les surprendra toujours, et se met à traverser le pont. La fameuse grotte se tient

devant eux. Cependant, deux énormes loups montent la garde, impassibles. Cela ne

surprend pas vraiment l’Etranger. Ce dernier s’incline devant les immenses bêtes,

qui se mettent à grogner, puis sort son collier :

— Terios av ourtamad, cerrep’irto eivio. Gturad.

L’un des deux gardes pousse un nouveau grognement et, cette fois, l’Etranger

semble un peu déçu. Il se retourne vers l’équipe et annonce :

— Je suis navré, mais ces loups ne pourront laisser passer qu’une seule personne.

C’est une mesure de sécurité. Et ils seront obligés de la surveiller, même devant la

Meute sacrée. Cela risque d’être intimidant, voire même stressant…

Une question se pose, implicitement, sans être dite à haute voix : qui ? Qui est

prêt à se retrouver cerné par des loups ? Qui aura le courage de toiser ces immenses

créatures que personne n’a jamais vu en vrai ? Qui accepte de porter la responsabilité

de la mission et les espoirs de la Révoltruffe ? Falcon-Dog s’avance, avec sang-froid,

mais une voix l’empêche de pénétrer dans la grotte :

— Attends, Falcon, s’il te plait… implore Lisa. Tu sens toujours que le devoir

t’oblige à prendre ce genre de risque. Mais non. Non, tu n’as pas à te forcer, tu n’as

pas à te sacrifier pour nous.

Le super-chien baisse la tête. Elle n’a pas tort.

— Alors, tu veux vraiment y aller ? demande Falcon-Dog, hésitant.

Lisa hoche la tête.

Après une longue inspiration, elle franchit le seuil de la grotte

et, accompagnée des deux loups aussi hauts que des montagnes, disparaît dans les

ténèbres.