Chapitre 2 : « Alerte, Falcon-Dog ! »

— Je hais cette forteresse, même en ruines… râle l’Amiral Cabos, en avançant

péniblement parmi les décombres poussiéreux. Même après deux ans, il s’en dégage

une atmosphère bien trop… féline. Je ne peux pas supporter ça.

— Je comprends parfaitement ton exaspération, concède le super-chien Mentalos

en menant la marche. La bataille me rappelle les mêmes mauvais souvenirs que toi.

Depuis son château fort, Suprêmiaou contrôlait toutes ses troupes en étant totalement

inattaquable.

Ce nom… Rien qu’en entendant ce nom, l’Amiral se met à grogner : trop de

pertes, trop d’échecs et trop de souffrance se rattachent à la simple évocation de

Suprêmiaou. Entièrement détruit par les félicoptères, le premier quartier général de

la Révoltruffe lui était si précieux que même la base Spectror ne pouvait pas

vraiment le réconforter. Si le chef de la Révoltruffe a mis autant de temps et

d’énergie dans la destruction de la Forteresse Suprême de son ennemi juré, c’était

pour l’empêcher de nuire au monde d’Ethélys, c’était pour la sécurité de tous les

Canins, c’était pour la réussite de la Révoltruffe. Mais c’était aussi pour se venger.

La vengeance, le ressentiment, la rancune… L’Amiral s’est toujours efforcé de

l’enfouir plus profondément, sa rancune.

— Deux ans… répète Cabos, depuis qu’il est arrivé, en gardant son nouveau

sniper-à-croquettes en joue. Deux ans que sa forteresse a été réduite en miettes. Nous

marchons sur ses ruines en ce moment, mais je continue à redouter la présence de

karaté-cats. Certains ont dû rester et survivre ici.

— C’est probable, confirme Mentalos, en continuant de regarder autour de lui.

Tu as raison de te méfier de ces lieux qui semblent abandonnés, mais qui abritent

peut-être des ka…

Soudain, une croquette frôle le visage du super-chien et touche un karaté-cat en

plein vol, qui lui saute dessus. En s’écroulant, le félin sauvage se frotte la tête et

repart aussitôt. Mentalos reprend ses esprits et dit :

— Alors là, c’était moins une !

Le super-chien adresse un regard amical à Cabos, ce tireur d’élite toujours aussi

réactif et fine gâchette, sauf que celui-ci ne le lui rend pas. Le visage grave, l’Amiral

continue à avancer en ruminant :

— Deux ans. Deux ans et je ne peux toujours pas oublier ce qu’il nous a infligés.

Non, je ne peux pas rester ici plus longtemps.

— Je sais, mais souviens-toi de la raison de notre arrivée. Elle en vaut largement

la peine.

Mentalos a raison. Si les deux Canins se sont risqués à venir jusqu’ici, en faisant

remonter de mauvais souvenirs, ce n’est pas pour rien : ils recherchent d’anciens

documents secrets. L’Amiral Cabos se consacre depuis longtemps à réunir les

fragments de son livre le plus précieux nommé « les Cinq Mondes ». Il s’agit d'un

ouvrage encyclopédique relatant de nombreuses histoires sur Ethélys et quelquesunes au sujet d’autres mondes. Bien que son contenu soit controversé, certaines de

ses « légendes » les plus étonnantes se sont avérées exactes, comme celle qui assurait

l’existence des tigres ; en effet, le bras droit de Suprêmiaou - le Colonel Firat - était

un tigre. Le livre des Cinq Mondes est le seul ouvrage qui soit aussi riche en

informations et en croyances.

Décidés à réunir le plus de documents possibles sur l’histoire d’Ethélys,

Mentalos et Cabos se sont engagés dans de longs périples à travers de nombreuses

contrées. Selon eux, les ruines de la Forteresse suprême sont une destination

incontournable pour retrouver d’anciens textes et des légendes. Malgré sa

mégalomanie, Suprêmiaou avait certainement une grande culture. Le chef des félins

abritait donc probablement des documents précieux concernant Ethélys, pour assurer

sa conquête suprême.

— Tu n’as pas tort, Mentalos. Rendons-nous directement à l’ancien bureau de ce

maudit Suprêmiaou. Fouillons tout ce qui peut être fouillé, trouvons tout ce qu’on

peut trouver ! Et ne trainons pas, une réunion du Conseil nous attend ce soir,

souviens-toi…

Les deux Canins, pleins de détermination, poursuivent leur route à travers les

vestiges de la Forteresse suprême, bien décidés à compléter leurs infatigables

recherches.

— Votre attention s’il vous plaît, clame solennellement un sabrador au centre de

la salle d'entraînement. Par les pouvoirs qui me sont conférés et au nom de tous nos

frères, j’adresse une récompense à la hauteur des prouesses de notre plus prodigieuse

sabrador ici présente.

Lisa n’a pas l’habitude de se sentir aussi émue, mais elle n’en laisse rien paraître.

En s’inclinant modestement devant son confrère, elle reçoit l’arme dont elle a

toujours rêvé, aussi puissante que symbolique.

— Lisa mérite l’illustre « sabre d’excellence », l’une des plus hautes distinctions

de notre confrérie. Elle saura le manier pour la bonne cause, sans jamais le pointer

vers un confrère, bataillant toujours pour la réussite de la Révoltruffe. Félicitations

à toi, Lisa, pour ta dévotion sans faille et ton investissement. Que les sabradors

t’honorent !

Sous les applaudissements d’une salle remplie de

Canins, Lisa range calmement son sabre, dont la lame

scintille de mille feux, dans le fourreau situé dans son

dos. Elle conclut la cérémonie en s’inclinant une

dernière fois. Au loin, Falcon-Dog lui fait un clin

d’œil et s’écarte : elle sait que des apprentis super-chiens

l’attendent…